Réforme de la PAC : quelles perspectives pour l’agriculture en Europe ?

Compte-rendu
En février dernier, la Commission européenne a lancé le processus qui devrait aboutir à une nouvelle réforme de la PAC. Revenus décents pour les paysan-ne-s, changement climatique, développement rural, nourriture saine de qualité pour tou-te-s : comment l’Union européenne doit-elle faire face à tous ces défis ?
C'est ce dont discutaient Pierre-Marie Aubert, chercheur en politique agricole et alimentaire à l’IDDRI, Florent Marcellesi, député européen EQUO (Parti Vert Espagnol), Antonio Onorati, membre de ARI, organisation paysanne italienne membre de la Via Campesina et Lucile Leclair, journaliste, co-auteure de Les néo-paysans lors de l'atelier "Réforme de la PAC - Quel avenir pour l'agriculture européenne" dans le cadre des Journées d'été des Écologistes à Dunkerque, le 25 août 2017.
L'atelier "Réforme de la PAC - Quel avenir pour l'agriculture européenne" dans le cadre des Journées d'été des Écologistes à Dunkerque, le 25 août 2017
Teaser Image Caption
L'atelier "Réforme de la PAC - Quel avenir pour l'agriculture européenne" dans le cadre des Journées d'été des Écologistes à Dunkerque, le 25 août 2017

Si nous faisions une photographie de la PAC en 2017, cela donnerait quoi ?

Antonio Onorati : La PAC distribue aujourd'hui une cinquantaine de milliards chaque année. Certains pays reçoivent ce qu'ils ont versé, d'autres plus, d'autres moins. A l'intérieur des pays, les aides PAC sont inégalement réparties : les petits agriculteurs, pourtant majoritaires en surface cultivée, en capacité de production, en emplois, sont minoritaires en termes de subventions publiques reçues. En France par exemple, 20% des exploitations touchent 80% des subventions. En Italie, 20% des exploitations touchent 87% des subventions. Par ailleurs, une bonne manière de mesurer la diversité des contextes nationaux est d'observer la part des consommations intermédiaires[1] dans le produit global du secteur agricole. En Allemagne, 73,5% des aides PAC financent des consommations intermédiaires. En France, ce chiffre s'élève à 64%, en moyenne à l'échelle des pays européens, il est de 60%. Plus l'agriculture est industrialisée, plus elle dépend de l'amont et de l'aval de la filière et donc moins il y a de marge de manœuvre pour les agriculteurs !

Une politique non figée. Vers quelle vision de l'agriculture tend la PAC ?

Florent Marcellesi : Une réforme se prépare pour 2020. Il ne s'agit pas d'une véritable transition : il n'y a pas de changement d'objectifs depuis les années 1960-1970. Le modèle reste productiviste, avec une contrainte de compétitivité qui pousse à la concentration des moyens et à la concentration du capital. Nous tendons vers une PAC qui, malgré la volonté affichée, est contradictoire. Elle évolue à l'opposé des exigences réaffirmées au moment de la signature de l'Accord de Paris. Le bio progresse partout, mais de quel bio parle-t-on ? Du bio industriel ou du bio de proximité et des AMAP ? En Espagne par exemple, le bio est essentiellement destiné à l'export.

Mobiliser plus largement sur l'enjeu alimentaire. Qui peut agir ?

Pierre-Marie Aubert : Si l'on veut changer la PAC, il faut trouver des alliés dans le camp agricole et en dehors du camp agricole. Comment rapprocher par exemple la société civile des agriculteurs adhérents au syndicat majoritaire ? Ces agriculteurs pensent souvent que la société civile qui travaille sur les questions agricoles est leur ennemi. Comment leur montrer que les propositions de la société civile peuvent porter leurs fruits ? Il faut aussi tenir compte du secteur privé : les grands industriels de l'agro-alimentaire sont devenus puissants. La question d'un récit commun, à faire émerger entre tous ses acteurs, est une question cruciale si l'on veut peser sur les gouvernements nationaux et sur la commission européenne.  Pour beaucoup, la transition n'est pas possible parce qu'il faut produire plus pour nourrir la population. A l'IDDRi, nous élaborons un scénario 100% bio à l'horizon 2050. La question est de savoir comment atteindre une agriculture entièrement bio, à la fois sur le plan agronomique et sur le plan économique et politique.

Quels sont les moyens à disposition des décideurs politiques européens, des professionnels de l’agriculture et de la société civile pour permettre une agriculture viable et qui dure sur le long-terme ? 

Antonio Onorati : Il y a un problème de représentation de l'agriculture paysanne. En Italie par exemple, nous - ARI - n'arrivons pas à nous imposer dans les négociations institutionnelles. Pour gagner en marge de manœuvre, il faut faire apparaître le lien très fort entre emplois et produits de qualité. Mais ouvrir l'espace de l'alimentation à haute qualité nutritive doit se faire sans logique de niche pour ne pas produire d'injustice socialement.

Florent Marcellesi : La PAC pourrait être utilisée pour financer les changements d'approvisionnement de la restauration collective, il y a là un levier pour augmenter la consommation d'agriculture biologique. Il faut aussi travailler à la réduction de la consommation de viande, avec les éleveurs extensifs et écologiques.  La première bataille à gagner est culturelle, elle se joue dans les imaginaires. Ensuite, il est fondamental - puisque production et consommation font partie d'un même tout - que la PAC se transforme en PAAC, c'est-à-dire en Politique agricole et alimentaire commune.

Pierre-Marie Aubert : L'interdiction des pesticides est un élément systémique qui peut faire bouger les choses. L'avantage de cette porte d'entrée : elle rassemble des acteurs extérieurs au monde agricole comme les acteurs de la santé par exemple.

Pierre-Marie Aubert : Le débat sur la viabilité du modèle agricole est quasiment aussi vieux que l'intervention publique en agriculture. Une bonne manière de couper court à la question consiste à expliquer, comme Edgar Pisani, qu'il faudra toutes les agricultures, qu'il y aura de la place pour tout le monde. Non ! Un moyen de ne pas neutraliser le débat consiste à construire et partager une vision de l'agriculture pour 2050, identifier les trajectoires pour y parvenir. C'est tout l'enjeu du scénario TYFA et EFFF que nous réalisons avec IPES Food.

Quelles sont les limites de la réforme de la PAC ?

Florent Marcellesi : Nous avons gagné la bataille contre le TAFTA. Il faut, pour engager la transition, faire converger nos luttes. Réviser, non seulement la PAC, mais également les règles du commerce international pour protéger les agriculteurs de la concurrence internationale. Aussi, pour en revenir à la Politique agricole commune, pour moi la question " Et si on supprimait la PAC ? " doit être posée autrement :  les citoyens ont-ils droit à une alimentation saine ? Si oui, il faut des politiques publiques. L'avantage de la PAC, c'est de créer du collectif à l'échelle européenne. Si nous la supprimons, ce sera la guerre économique : des politiques agricoles nationalisées et une dynamique concurrentielle plus forte entre pays européens

 

[1] Les consommations intermédiaires sont les biens et services utilisés pour produire (en agriculture, le terme fait référence aux constructeurs de machines agricoles et semenciers notamment).