L’Albanie après le non de l’Europe : « c’est la faute à Macron »

Repost

Depuis le refus de l’UE d’ouvrir les négociations d’adhésion avec l’Albanie, le gouvernement socialiste tire à boulets rouges contre le Président français. L’éditorialiste Andi Bushati rappelle pourtant qu’il serait trop simple de faire porter cet échec au seul Emmanuel Macron, pointant les contradictions et les défaillances du gouvernement Rama. Point de vue.

Commission européenne

À en croire la propagande de « Renaissance albanaise » — ce faux-nez du Parti socialiste (PS) albanais, dont le nom fait référence à la renaissance nationale de la fin du XIXe siècle — l’Union européenne (UE) avait déjà ouvert les négociations avec l’Albanie il y a un an. Du coup, le parti au pouvoir est aujourd’hui bien à la peine pour justifier les raisons de notre échec. Au centre de tous leurs arguments se trouve « l’ennemi Macron », le Président français qui aurait utilisé les Albanais comme de la « chair à canon » pour ses propres intérêts.

Depuis vendredi, Edi Rama et nombre de commentateurs évoquent la « haine historique » de Paris à notre égard, s’en prenant même parfois à l’âge de la femme du Président, et sont en train d’expliquer que l’Albanie est donc un dommage collatéral de la politique française. Ils fabriquent une série de mensonges qui doivent être déconstruits, dans le simple but d’éviter que le gang de kleptocrates qui dirige Tirana ne sorte blanchi de cette histoire.

• Premier mensonge : « seul Macron nous a dit ’non’ ! »

Cette affirmation n’est pas vraie. Lors de sa conférence de presse, le Président français a souligné que près de la moitié des États-membres de l’Union européenne ne voulaient pas ouvrir de négociations avec l’Albanie, contrairement à la Macédoine du Nord. Les Pays-Bas, le Danemark et l’Espagne, au moins, ont aussi fait connaître leurs réserves. Or, il suffisait du véto d’un seul des États-membres pour que nous restions à l’écart. Cette vérité est volontairement écartée par le gouvernement afin d’ignorer nos propres échecs, qui nous ont éloignés de la Macédoine du Nord. Voilà pourquoi nous aurions besoin d’un nouvel « ennemi », le Président Macron.

• Deuxième mensonge : « Macron nous a utilisés pour des enjeux de politique intérieure »

Il n’y a pas d’accusation plus ridicule que celle-ci. En jetant un œil depuis vendredi aux principaux journaux français, (Le Monde, Libération ou Le Figaro), il est pratiquement impossible de trouver ne serait-ce qu’une ligne sur « l’élimination » de l’Albanie et de la Macédoine du Nord. Ces titres parlent du Brexit, de la trêve entre Erdoğan et Trump, mais pas du tout de l’élargissement aux Balkans occidentaux. Pourquoi instrumentaliser un sujet qui suscite si peu de débats ? À quoi bon mentir à propos de quelque chose qui n’intéresse personne ?

Les militants de Renaissance affirment que Macron nous aurait utilisés pour combattre le Front national de Marine Le Pen, mais quiconque connaît la politique française sait à quel point cet argument est absurde. Les électeurs d’extrême droite, même ceux qui le prétendent, n’ont aucune idée de ce que signifie « ouvrir des négociations d’adhésion ». Ils n’ont que faire des Albanais et des Macédoniens, en comparaison avec les millions d’immigrés déjà installés en France. Par conséquent, personne ne serait assez stupide pour utiliser ce problème comme un argument pour peser sur la politique intérieure française. Il ne sert qu’à détourner l’attention des erreurs de Rama.

• Troisième mensonge : « Macron nous a utilisés contre l’UE »

Le Président français souhaiterait institutionnaliser une Europe à deux vitesses. Au moment de la « crise des réfugiés », l’ancien ministre italien de l’Intérieur, Matteo Salvini et les pays de la « nouvelle Europe » (Hongrie et Pologne en tête) ont manqué de solidarité avec les membres fondateurs, et c’est ce qui aurait poussé la France à proposer un nouveau mode de fonctionnement pour l’Union européenne. Emmanuel Macron a d’ailleurs vite signifié qu’il souhaitait changer la méthode de l’élargissement.

La thèse de Paris est la suivante : nous devons d’abord changer les règles, puis poursuivre le processus. Mais parallèlement à ces déclarations, la France a également souligné les problèmes des pays comme le nôtre pour aller de l’avant. La question des demandeurs d’asile, mais aussi celle de la mafia, de la criminalité et de la corruption ont été fortement soulignées. Donc présenter le « non » français comme un dommage collatéral des politiques européennes, c’est n’évoquer qu’une moitié de la question et cacher nos problèmes structurels.

• Quatrième mensonge : « les demandeurs d’asile, un alibi... »

Le Président Macron et son Premier ministre Edouard Philippe ont, il est vrai, à plusieurs reprises évoqué les 5000 citoyens albanais qui ont, cette année encore, demandé l’asile en France. On peut trouver cela étrange, dans un pays où, selon les nationalistes, des millions d’émigrés sont en train de détruire l’identité française... Il faut cependant se demander : que pouvons-nous faire pour pour régler cette question ? Tous les ministres français de l’Intérieur depuis Bernard Cazeneuve ou Gérard Collomb, qui sont même venus à Tirana, ont demandé à leurs homologues albanais de résoudre ce problème des demandeurs d’asile. Cette histoire dure donc depuis une époque où Macron n’était qu’un simple conseiller du Président Hollande et ne savait même pas qu’il utiliserait cet « alibi » un jour.

Au lieu de nous occuper d’Emmanuel Macron, nous devrions d’abord réfléchir sur ce phénomène : pourquoi cette hémorragie n’a-t-elle pas commencé dès le moment de la libéralisation des visas, en 2010, mais s’est brusquement accélérée après les premières années d’Edi Rama au pouvoir ? Refuser de répondre à cette réponse, c’est protéger ceux qui sont à l’origine du phénomène. Il n’est donc pas difficile de comprendre cette haine soudaine envers Macron. Les mêmes personnes qui nous disaient il y a un an que les négociations étaient déjà ouvertes n’ont, aujourd’hui, pas d’autre argument que de rendre le Président français responsable de leur propre échec.