Les Verts fêtent leurs 40 ans : dans l’air du temps ou projet du siècle ?

Contexte

Qu’est-ce qui a fait émerger les Verts allemands, qu’est-ce qui les unit ? Regard en arrière du philosophe et politologue Reinhard Olschanski, qui constate que l’écologie a été une idée nouvelle et décisive... Pourtant, au cours des 40 ans de l’existence des Verts et des 30 ans de Bündnis 90 (Alliance 90, après la fusion avec les Verts de l’Est), c’est un parti politique très divers qui a vu le jour, qui a fait avancer la libéralisation de l’Allemagne – tout en sachant en tirer parti.

Bündnis 90 / Die Grünen
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Bündnis 90 / die Grünen Nordrhein-Westfalen

Le contexte politique a donné naissance au cours du temps à de nombreux projets de partis politiques, qui ont souvent eu une vie publique assez courte : de rares apparitions dans les médias et une place tout en bas des listes électorales. Dans le passé, les Verts ont eux aussi subi le même sort, et il semblait alors peu probable que le parti représente plus qu’une brève impulsion politique. Alors, comment expliquer qu’ils existent toujours, quarante ans après leur création ? Et qu’entre-temps, ils soient même devenus une force politique solide et stable au sein du système politique allemand ?

Ce n’est en tout cas pas ce qu’on leur avait prédit à la naissance. Car il s’agissait à ce moment-là d’une politique disparate – constituée de mouvements peu structurés, d’opposants au nucléaire, de féministes, d’activistes de la paix, de groupes d’aide humanitaire, d’étudiants issus de petits groupes d’extrême-gauche, les K-Gruppen, lassés de toujours rejouer les années 1920, ou encore des adhérents à des partis dominants, révoltés contre leurs politiques. Les Verts fondateurs du parti représentaient certainement l’arc-en-ciel politique le plus coloré jamais devenu un parti. Leur évolution n’en est que plus surprenante.

Comment celle-ci a-t-elle été possible ? Répondre à cette question n’est pas facile au vu de l’abondance des faits et des événements qui ont eu lieu au cours des 40 ans de son histoire. Par où commencer pour ne pas se limiter à une simple énumération ? Et, entre les premières listes vertes établies à la fin des années 1970 et les actuelles envolées – qui ne relèvent pas seulement de l’étude des sondages, où faudrait-il creuser pour atteindre le cœur du sujet ?

E pluribus duum – les deux valeurs de l’ADN des Verts

Au risque de faire l’impasse sur des détails importants, j’aimerais tout de même défendre une thèse assez simple : si les Verts allemands durent et rencontrent un incontestable succès malgré les perturbations et malgré les ramifications de leurs idées, c’est grâce à deux valeurs, visibles et reconnaissables, constitutives de leur ADN, qu’ils ont su développer et ancrer dans la conscience collective de la République allemande. Tout d’abord, les Verts apportent une nouveauté passionnante : l’écologisme. Mais ils représentent également le renouveau du déjà connu, en reprenant dans leur programme des nuances importantes de trois courants politiques fondamentaux plus anciens – le libéralisme, le conservatisme et le socialisme – et en les actualisant. Le parti des Verts représente une pluralité qui, au cours des quarante dernières années, s’est constituée en une dualité solidement intégrée (« e pluribus duum »), à la fois un parti écologique mais aussi un parti social-libéral d’un genre nouveau, avec quelques touches conservatrices en ce qui concerne les valeurs.

Les deux valeurs formant la marque de fabrique du parti sont pertinentes sur le plan pratique. Avec elles, le parti couvre désormais une thématique très large. Et en interaction, elles créent une musique unique en son genre. Les Verts affichent une gamme politique complète, qui se fait entendre dans tous les débats d’actualité importants, et leurs les propositions ne passent pas inaperçues.

Écologie ou industrialisme ?

La naissance des Verts est largement due à la prise de conscience par un plus large public de l’épuisement des ressources, notamment après la diffusion, en 1972, du rapport du Club de Rome. Des problèmes comme les pluies acides, la pollution des cours d’eau, les pratiques agricoles non écologiques, l’assèchement abusif des sols ou encore la déshumanisation des villes au profit d’une ville dite « adaptée à la voiture » ont également contribué à la constitution des listes vertes et colorées. Celles-ci se sont d’abord réunies en « Autre groupement politique – Les Verts » (« Sonstige Politische Vereinigung – Die Grünen ») pendant la campagne électorale pour les européennes de 1979 avant de devenir finalement le parti « Die Grünen » lors de l’Assemblée fédérale des 12 et 13 janvier 1980 à Karlsruhe.

Au cours de la genèse du parti, le nucléaire a naturellement joué un rôle particulier, tant militaire que civil. L’opposition aux centrales nucléaires et aux surgénérateurs a fortement mobilisé la génération des fondateurs du parti. La résistance civile sur des sites comme Gorleben, Brokdorf, Kalkar ou Wyhl a forgé l’identité du parti de façon presque mystique. Il en va de même pour le mouvement pacifiste et sa lutte contre le déploiement en Allemagne de nouveaux missiles à moyenne portée. Petra Kelly, qui deviendra chef du parti, Gert Bastian, général de division démissionnaire, ou encore l’artiste Joseph Beuys faisaient partie des figures de proue de la révolte.

La lutte contre l’énergie nucléaire et les euromissiles a entraîné une rupture profonde avec les partis en place qui (leurs dirigeants du moins) se rangeaient à l’opposé. Les vieilles élites des partis se moquaient des manifestations dans les rues et sur les chantiers, et parfois même, les diabolisaient. Or, les craintes et les réserves exprimées de vive voix par les Verts ne relevaient aucunement du mythe,du symbolique ou de la diabolisation. Tchernobyl et plus tard Fukushima ont montré de façon dramatique à quel point ils avaient raison et à quel point un enthousiasme dénué de sens critique pour la technologie passait outre les dangers qu’elle pouvait générer.

En critiquant la technologie, les Verts n’en revenaient pas pour autant à un romantisme rétrograde, même si parfois, la critique était formulée par des hommes et des femmes qui tricotaient des pulls en laine, et qui y intégraient pas mal de « German Angst ». Mais les Verts ont vite compris qu’il ne s’agissait pas de dire oui ou non à la technologie. Leur critique a permis de rapprocher de façon constructive l’économie et l’écologie, et a ouvert la voie à une autre technologie, responsable et respectueuse de l’environnement. Aujourd’hui, dans le monde entier, le triomphe des énergies renouvelables est la preuve concrète qu’une telle technologie est possible et intelligemment applicable.

La portée de l’idée écologique ne s’est révélée que progressivement – pareille à la chouette de Minerve hégélienne qui, elle aussi, ne prend son envol qu’à la tombée de la nuit. Aujourd’hui, lorsque la chouette verte survole des zones industrielles, elle y reconnaît l’esprit industrialiste qui était la vraie conception du monde de l’époque qui s’achève. Elle reconnaît aussi que les acteurs principaux du combat politique à cette époque – aussi virulentes qu’aient été leurs querelles au sujet du socialisme, du capitalisme ou autre, et même si les deux blocs se menaçaient mutuellement de destruction – faisaient partie d’une seule et même Internationale, une Internationale industrialiste. En dépit de tous leurs désaccords, ils étaient unis par les convictions fondamentales de l’industrialisme : il n’y avait qu’une seule voie, celle du développement technologique, et l’environnement étant gratuit, on pouvait le soustraire des coûts de production. Tel était le second grand credo de l’esprit industrialiste de l’époque.

Au début, les Verts ont probablement entrevu plus qu’ils n’ont mesuré la portée de leur critique. Mais ils savaient quels étaient les points clés : l’environnement n’est pas gratuit. Et des alternatives technologiques durables sont possibles ! C’est sur ces convictions qu’ils ont résolument basé leur politique des décennies durant, en arborant le slogan selon lequel nous ne faisons qu’emprunter la terre à nos enfants. Aujourd’hui, quarante ans plus tard, les enfants en question – peut-être même déjà leurs enfants – sont dans la rue et manifestent pour le climat et le développement durable lors des « Fridays for Future ».

L’écologie, la quatrième idée politique principale de la modernité

Avec la prise de conscience grandissante de la nature de l’industrialisme, d’autres chimères autour de l’idée écologique disparaissent également, par exemple celle selon laquelle elle ne serait réservée qu’aux nantis – aux enfants de la bourgeoisie qui n’ont pas d’autres soucis matériels. Or, contrairement à cette idée, l’écologie n’est en aucun cas une idée postmatérialiste ; elle est bien plus « matérialiste » que ne le pensent les économistes biberonnés à la pensée marxiste. L’écologie montre en effet à quel point nous sommes, de par notre corps, de véritables êtres de la nature et qu’en détruisant la nature autour de nous, c’est à nous-mêmes que nous nuisons.

En effet, le changement climatique, conséquence la plus considérable de deux siècles d’industrialisme, met en danger la base matérielle de la vie humaine sur la Terre. Si le réchauffement de la planète se poursuit de manière incontrôlée, ce ne sont pas des millions, mais des milliards de vies humaines qui seront détruites, et en première ligne celles des plus pauvres, qui ne pourront alors plus vivre dans des régions devenues tout simplement inhabitables. Le changement climatique constitue donc le plus grand défi mondial de notre temps. Les Verts, qui le savent depuis longtemps, en ont fait leur priorité, tandis que d’autres continuaient à nier le changement climatique ou, au mieux, affrontaient le problème de manière rhétorique et symbolique.

L’idée écologique n’est donc pas quelque chose de léger ou de postmatérialiste, mais elle touche aux fondements élémentaires de la vie. C’est pourquoi il ne s’agit pas simplement d’un style de vie, mais d’une transformation majeure à la racine de l’économie. Elle prend en compte ce que le sociologue économique Karl von Polanyi exigeait déjà dans les années 1940, après avoir constaté que la « grande transformation » vers l’économie de marché et l’industrialisation n’avait pas seulement libéré la main-d’œuvre des liens féodaux transmis de génération en génération, mais également les terres et les sols, et, avec eux, l’environnement et la nature, pour en faire des marchandises. Perspicace, il concluait que la modernité avait besoin de deux transformations supplémentaires : une réintégration sociale des relations humaines par le biais de l’État providence et une réintégration de la relation avec la nature. L’environnement et la nature ne devaient plus être traités comme de simples biens consommables et commercialisables à l’envi, mais de manière à préserver durablement les fondements de l’existence. L’approche écologique se consacre précisément à cette mission. Avec cette approche, les Verts ont fait leur la deuxième grande question fondamentale et longtemps refoulée de la modernité industrielle, et c’est la raison la plus importante de la réussite de leur développement. Ils ont posé la question du siècle, formulé des réponses constructives et, dans certains cas, les ont déjà mises en pratique.

L’importance de la « superstructure » de la politique verte grandit en même temps que l’importance de l’écologie. L’écologie ne reste plus reléguée à l’arrière-plan – trop petite et insignifiante pour avoir le droit de jouer à la table des grands. Depuis longtemps, l’idée écologique a rejoint les rangs des représentants libéraux, conservateurs ou socialistes qui étaient les courants de pensée majeurs des deux derniers siècles, et elle est la motivation de bien des gens dans leurs activités pratiques. C’est pourquoi notre époque moderne ne compte plus trois, mais quatre grands courants politiques. Et c’est également pour cette raison que les Verts ont remonté la pente pour s’approcher des partis issus des trois courants plus anciens.

En même temps, la perspective écologique jette un nouvel éclairage sur les idées plus anciennes. Elle peut contribuer à renouveler une grande partie de la pensée sociale, libérale ou conservatrice concernant les valeurs. Pensée qui, sans fondement écologique, risque tout simplement de tomber en désuétude. L’écologie a le moyen de lancer une modernisation non seulement industrielle et technologique, mais également culturelle et mentale plus globale.

Entre pop et révolte – les Verts comme nouvelle force libérale

Avec l’écologie, les Verts ont soulevé la question du siècle. Mais les autres questions, même si bien des gens se les posent d’une autre façon, n’ont pas perdu leur importance. Les Verts eux-mêmes ne sont pas uniquement issus du mouvement écologiste, mais représentent à eux seuls une coalition arc-en-ciel. Dans la diversité verte-multicolore, il existe effectivement un second fil, socioculturel celui-là, qui relie et maintient la politique des Verts.

D’un point de vue socioculturel, les Verts sont nés de Woodstock et du mouvement étudiant. Leur première socialisation a eu lieu quelque part à mi-chemin entre Janis Joplin et Rudi Dutschke. Chemin faisant, ils ont intégré tout ce qui était véhiculé par le jazz et l’existentialisme dans les années 1950, mais aussi dans les années 1960 et 70 les larges influences du folk, du rock et de la pop sur la société, ainsi que tout ce qui trouvait une expression politique à la fois dans les mouvements de droits civiques, dans la lutte pour les droits des femmes, des gays et des lesbiennes, dans le mouvement pacifique et contre la guerre du Vietnam, ou encore dans le désir de plus de démocratie. Les Verts sont le fruit d’une libéralisation fondamentale, d’un style de vie ouvert sur le monde et libéral, qui, parti de cultures jeunes et parallèles, petites et d’abord marginales, a façonné les sociétés occidentales et représente désormais le courant dominant.

Depuis longtemps, la partie conservatrice de la population veut également avoir sa « part de Woodstock ». Ou, pour reprendre les mots de Heidegger, elle veut également se retrouver dans la nouvelle « clairière de l’être » qui a triomphé de l’esprit autoritaire. La ligne de fracture socioculturelle de cette nouvelle revendication longe désormais l’aile droite des chrétiens-démocrates, et, de là, jusqu’au fameux « mur politique » de Franz-Josef Strauß à l’extrême droite. En tout cas, même si elle ne vote pas écologiste, la très grande majorité de la population a fait sien le mode de vie libéral dans une société ouverte, tel que les Verts l’incarnent politiquement. Sur le plan socioculturel, il n’y a plus de grands murs de séparation.

En principe, le FDP, parti héréditaire du libéralisme en Allemagne, aurait pu, aurait dû même reprendre le flambeau de cette libéralisation. Mais sous Otto Graf Lambsdorff, il a pris une autre direction, marginalisant sa propre ligne traditionnellement social-libérale par un libéralisme économique pur et dur. Et sous le SPD de Helmut Schmidt, on pouvait encore moins attendre un tournant intégratif. C’est au plus tard depuis « l’automne allemand » en 1977 [climat de terreur et d'oppression en Allemagne, caractéristique de l'apogée de la RAF, précipitant son déclin] qu’il a abandonné ses idées plus libérales et contribué, par des paroles et des actes de plus en plus autoritaires, à refroidir la jeune génération et ses revendications de libéralisme et d’autodétermination.

La vieille élite des partis s’est ainsi coupée de la force de renouvellement de cette jeune génération engagée, et a donc involontairement contribué à l’émergence des Verts. La crise des partis populaires que l’on pointe aujourd’hui est aussi une conséquence tardive de cette erreur. La pop et la révolte, ajoutées à l’incompréhension de l’establishment ont impulsé la création du parti vert, et ont conduit la génération des fondateurs à tenter son projet contre vents et marées.

Perspectives sociales et conservatrices concernant les valeurs

L’orientation libérale de base fondée sur l’autodétermination et l’ouverture sur le monde allait de pair avec une empathie sociale particulière. Chez les Verts, celle-ci ne repose plus ni sur un système de classes ni sur une vision collectiviste (des choses) telle qu’elle est née des conditions de vie et expériences relativement homogènes de l’époque industrielle et fordiste. Mais elle s’empare des exigences croissantes d’une vie autodéterminée pour formuler, dans une vision citoyenne et kantienne, une politique orientée sur le caractère généralisant et normatif de règles. Les règles que la société se fixe doivent s’appliquer à tous et permettre à chacun de jouir d’une vie bonne et librement choisie.

De ce principe découle l’idéal de justice avec lequel les Verts complètent, renouvellent et élargissent la vieille idée sociale-démocrate de justice, principalement axée sur des questions de répartition. Ils en élaborent une notion complexe, qui comprend d’une part l’accent particulier mis sur l’égalité des chances, et formule une politique différenciée pour la garde, l’éducation et l’instruction des enfants. Et d’autre part, une conception nouvelle de la famille. La politique des Verts est aussi particulièrement soucieuse de l’égalité des sexes et des genres, poursuivant en cela la longue histoire de la politique des droits de la femme et de l’antidiscrimination, qu’elle met au goût du jour. Le parti des Verts doit aussi sa force croissante à son quota de femmes, avec lequel il a déclenché une véritable révolution culturelle.

Enfin, les Verts proclament l’idée d’une justice intergénérationnelle, qui est d’une grande importance au regard du problème du changement climatique et de ses coûts écologiques externes. En politique sociale toutefois, l’idée court le risque de faire de la notion de durabilité une idéologie. Car une société complexe fondée sur la division du travail avec des augmentations de la productivité ne fonctionne pas selon le principe archaïque du comptage des têtes : les vieux contre les jeunes ! Les Verts feraient mieux de protéger les projets qui leur sont chers (comme le développement durable ou la subsidiarité) contre le greenwashing et autre pratique frauduleuse. Mais qu’ils y soient obligés est aussi la rançon de leur succès.

En fin de compte, les Verts ne sont pas seulement les héritiers et les innovateurs d’importantes traditions sociales et libérales. Ils constituent aussi un parti avec, pour ce qui est des valeurs, leurs propres touches conservatrices qui ne font pas référence au conservatisme national qui hantait épisodiquement ses débuts, mais plutôt à celui du social-démocrate « vert » Erhard Eppler qui a sorti la pensée conservatrice de la niche où elle avait été reléguée à droite, en faisant une distinction critique entre conservatisme des valeurs et conservatisme structurel. Où ce dernier devait-il désormais se manifester davantage que dans la résistance aux énergies renouvelables des vieux lobbies du pétrole, du charbon et du nucléaire ? Ces lobbies en sont même à défendre les structures d’un industrialisme dépassé et non durable, même contre la tentative de concevoir le conservatisme comme empli de valeurs, au sens de « conservare », c’est-à-dire soucieux de conserver et préserver les ressources naturelles. Le conservatisme de valeurs vert représente notamment un pont avec celles et ceux qui abordent les questions de l'environnement et du changement climatique sous l’angle de la préservation de la création.

Une nouvelle opposition du principe directeur ?

Dans la pratique de leur politique, les Verts ont repris l’héritage du libéralisme de gauche et du libéralisme social. En cohérence avec cet héritage, ils défendent des idées conservatrices en ce qui concerne les valeurs et s’inscrivent dans des traditions plus anciennes que leur existence. Il serait bon qu’ils saisissent l’occasion de leur anniversaire pour regarder également plus loin que l’histoire de leur parti au sens strict.

Par ailleurs, ils ne devraient pas oublier non plus les événements qui les ont rapprochés il y a seulement 30 ans, de Bündnis 90 et allaient, par la suite, non seulement leur donner la seconde moitié de leur nom de parti, mais aussi très concrètement et à court terme assurer le maintien de leur présence au Bundestag après la désastreuse campagne électorale de 1990. D’un autre côté, la partie du mouvement pour la liberté dans l’ancienne RDA, qui a atterri chez les Verts, ne devrait pas se laisser historiser prématurément, car elle représente bien plus que la contrepartie muséale du socialisme étriqué de la RDA. Elle symbolise un élan de liberté qui a beaucoup à nous dire, aujourd’hui surtout, à l’ère du renouveau des mouvements autoritaires et des possibilités de surveillance inédites et terrifiantes. Et elle sait aussi que « Nous sommes le peuple » n’est pas un slogan nationaliste, mais profondément démocratique, libéral et participatif.

Nous nous trouvons probablement face à un changement global des paradigmes politiques. L’ancienne opposition politique entre droite et gauche qui servait de principe directeur pourrait être remplacée par celle qui existe entre les forces libérales et illibérales. Car l’expérience actuelle montre aussi que nous n’avons atteint ni la fin de l’Histoire prédite après 1989, ni une démocratie libérale perpétuelle. La démocratie doit plutôt relever un défi que personne ou presque ne pouvait imaginer.

La nouvelle idée est en fait ancienne : chaque génération doit reconquérir la démocratie (et la société ouverte). Elles ne tombent pas tout simplement du ciel. Les Verts ont les moyens de diriger un large camp ouvert sur le monde, et c’est exactement ce à quoi il s’emploie. Ils représentent aujourd’hui le parti de la démocratie et une antithèse importante à l’illibéralisme et au populisme rampants.

Un succès sans secret

Les Verts se sont lancés en politique en tant que parti anti-establishment. Entre-temps, ils se sont établis et sont tout sauf politiquement éphémères. Avec l’écologie, ils ont établi un nouveau paradigme politique. C’est un gros atout qu’ils peuvent exploiter. Ce sont aussi – autre gros atout – les premiers représentants d’un profond changement socioculturel qui a touché le monde occidental et de nombreux jeunes dans le monde entier.

Depuis longtemps, les Verts ne sont pas seulement présents dans les parlements, mais aussi dans les gouvernements. Après la sidération des « années Kohl », ils ont, pendant sept ans au gouvernement, fait énormément avancer le pays. Aujourd’hui, ils sont même le premier parti dans le Bade-Wurtemberg, et ont à leur tête, le ministre-président de la région la plus innovante d’Europe.

Les Verts ont utilisé avec succès les moyens dont dispose la démocratie – avec un travail de longue haleine et des contenus profilés, des dirigeants parfaitement visibles, une apparence contemporaine, une authenticité seulement présumée désuète… et parfois aussi une fantaisie sympathique. Ils font un travail méticuleux à tous les niveaux, accompagné d’un discours vert parfois vif, puis à nouveau plus modéré, et jouissent d’un réseau d’adhérents actifs dont le nombre frôle le million.

L’arithmétique particulière des ailes [« réalos » vs. « fundis »] – bien qu’elle se soit un peu estompée depuis – a beaucoup contribué à ce qu’il y ait parfois des étincelles. Mais aussi à ce que le parti ne se désagrège pas – comme on a pu le craindre dans les premières années en assistant aux affrontements et aux bagarres. Les querelles des Verts attiraient les médias. C’était aussi l’affrontement de toute la société et de ses concurrents pusillanimes qui redoutaient plus la confrontation que le vide des contenus. C’est pourquoi les Verts sont aujourd’hui résolument un parti de contenus, qui aspire à plus qu’à seulement animer les débats.

Somme toute, le succès des Verts en Allemagne a un sens. Il peut être reconstitué de façon rationnelle et ne pose pas d’énigmes insolubles. Mais tout n’est pas allé de soi et tout ne va toujours pas de soi.