« Nous devons tirer les leçons du passé et de nos aînés et dire aux nouvelles générations de vouer leur vie à la construction de la paix. » Une leçon sur la résilience en matière de don de soi et d’aide à autrui
Nomarussia Bonase est une force de la nature avec laquelle il faut compter. Impressionnante. Passionnée. Le genre de personne qui ne cesse de donner - d’elle-même, de son temps et de ses compétences. Sa vie a été marquée par la violence et la souffrance ; des expériences qui ont façonné la femme qu'elle est devenue et le chemin qu'elle a suivi. « Je crois en la construction de la paix et de la sécurité pour restaurer la dignité humaine », déclare-t-elle. « Même aujourd'hui, avec la pandémie de coronavirus, les gens continuent de souffrir - ils ne savent pas quoi faire. Il n'existe pas suffisamment de plateformes pour les aider à comprendre ce qu'ils peuvent faire. Je pense toujours à ceux qui sont émotionnellement, physiquement et mentalement épuisés. » C’est à cela que Nomarussia Bonase a consacré sa vie : travailler avec les victimes de violence, lutter contre les inégalités sociales, et prendre position contre l'injustice. Sa vocation à travailler pour la justice sociale remonte à l’enfance. Lorsqu’elle avait 4 ans, ses parents l'ont fait asseoir et lui ont raconté une histoire. Ils lui ont expliqué que lorsque sa mère était enceinte d'elle, une nuit, alors que son père travaillait à la mine, la police était venue vérifier leurs papiers et l’avait violée, avant de la laisser blessée et en sang. Lorsque son père est rentré le matin, il a dû la transporter d’urgence à l'hôpital de Baragwanath afin qu’elle se fasse soigner. Heureusement, le bébé avait survécu à l'attaque. Ce fut là le début de son militantisme et de sa lutte acharnée pour sa survie.
La naissance d'une militante
« Après que mes parents m'aient raconté cette histoire, j'ai commencé à regarder autour de moi, à remarquer ce qui se passait, et j'ai décidé que je voulais aller à l'école. » Au début, l'école ne veut pas d’elle car elle est trop jeune, mais elle insiste et finit par rejoindre un groupe d’élèves de six ans. C’est alors que commence un apprentissage et un épanouissement personnel qu’elle poursuivra toute sa vie. Enfant, elle a vu sa mère prendre part à des réunions de militantisme communautaire dans la province rurale du Cap-Oriental. Sa mère lui a toujours dit d'être aussi forte que possible et de ne jamais laisser personne l'intimider. Nomarussia Bonase a cherché à marcher sur ses traces, à être le genre de femme qui contribue aux changements dans le monde.
Au lycée, Nomarussia créé un groupe d'étudiants et s'implique activement dans la protestation politique contre le régime de l'apartheid. Une fois son diplôme obtenu, elle souhaite poursuivre ses études, mais sa famille n'en a pas les moyens. À l'époque, ses deux parents sont au chômage et sa famille se sustente en fonction des récoltes de leur jardin. Ils décident alors que Nomarussia se rendra à Johannesburg pour trouver du travail et subvenir à leurs besoins. Une fois sur place, elle s'installe chez une tante qui travaille comme employée de maison et commence à se rémunérer en préparant du thé et en faisant du ménage dans une entreprise de matériaux de construction. Mais Nomarussia Bonase en veut plus, alors, pendant son déjeuner, elle se porte volontaire pour aider le personnel administratif à classer les dossiers. Elle s’inscrit en parallèle à une formation en gestion qu’elle suit à temps partiel. Désireuse de se trouver un travail dans l'administration, elle se voit rapidement vu offrir un poste de commis au classement dans une entreprise de transport. Mais l'administration ne lui suffit pas. Lorsqu'elle découvre que seuls les hommes de l'entreprise sont autorisés à adhérer à un syndicat, elle décide de rallier d’autres travailleuses à sa cause. Elle réussit à contraire le syndicat à intégrer des femmes issues de différents groupes raciaux. Elle laisse une telle empreinte sur le syndicat que, lorsque celui-ci se met en grève contre les pratiques de travail déloyales, son employeur déclare à la police qu'elle a joué un rôle décisif dans la grève, ce qui conduit à son arrestation.
Vivre avec le deuil
À 29 ans, Nomarussia rejoint le Groupe de soutien de Khulumani, un mouvement social dirigé par des femmes, créé en 1995 par celles qui avaient subi des violences à l'époque de l'apartheid. À partir de 1985, l'East Rand, où vit Nomarussie, est en feu. La région est en proie à un conflit extrême et brutal : de nombreuses personnes trouvent la mort à cause des forces de sécurité et de nombreuses femmes sont violées par celles-ci. « Chaque jour, il y avait des cadavres autour de nous - quand vous traversiez la rue, il y avait des cadavres. Pendant que nous marchions, les balles volaient. » Le deuil viendra toucher sa propre famille en 1993, lorsque son frère est assassiné par la police. « Mon frère venait de commencer à travailler à Germiston. Il avait vingt-trois ans. Un matin, à cinq heures, il attendait à la gare de l'Union pour se rendre au travail lorsque des soldats sont passés et l'ont abattu. Il se tenait juste là. Trois personnes sont mortes ce jour-là. » Rongée par le chagrin, Nomarussia se rend à la morgue pour voir son corps. « Les corps étaient empilés comme des sacs de ciment à l'extérieur. J'ai dû tous les passer tous jusqu'à ce que je trouve ce qui ressemblait au pied de mon frère. J'ai dû demander à quelqu'un de m'aider à le sortir. »
La mort de son frère et les nombreux autres décès auxquels elle assiste décuplent son besoin de contribuer à créer un ordre social différent. « Des gens étaient tués et des femmes violées ; je devais agir pour contribuer à la paix et au changement. En rassemblant les individus, nous brisons le silence du passé. »
Lorsque la Commission de vérité et de réconciliation (CVR) a été mise en place en 1996, un processus visant à envisager une justice réparatrice pour les victimes des atrocités de l'apartheid, Khulumani travaille en partenariat avec les communautés pour discuter du concept de réconciliation. « Nous avons dit non, non, non, en tant que survivants de la violence, nous voulons en faire partie. Nous voulons voir ce qu'il faut pour panser les blessures. » Nomarussia Bonase est chargée d'essayer d'obtenir des réparations pour les victimes de violence, aussi bien les individus que les communautés. Mais le processus de vérité et de réconciliation échoue en ce sens. Les auteurs de violence sont amnistiés et les victimes repartent les mains vides. « L'incapacité de la CVR à ouvrir les véritables discussions dont nous avions besoin a un lien direct avec les niveaux élevés de violence à caractère sexiste que nous constatons aujourd'hui, la criminalité et le manque de dignité humaine. Les individus au niveau local se sont retrouvés dans une position de vulnérabilité. »
En 2010, alors qu’elle n’est âgée que de 43 ans, elle subit une autre perte importante avec le décès de son mari. Elle se retrouve seule pour élever leurs quatre enfants. À l'époque, elle est inscrite à un cours de formation sur la transformation. La mort de son mari n’entache pas sa motivation à la suivre et elle s’efforce de surmonter son chagrin pour la mener à bien. Deux ans plus tard, lorsque la police sud-africaine abat neuf mineurs de la mine de platine de Lonmin, à Marikana, Nomarussia tend la main aux épouses des mineurs tués pour leur offrir son soutien. Elle apporte non seulement un soutien d’ordre pratique aux veuves, mais elle les mobilise et créé des plateformes où leurs voix peuvent être entendues et sur lesquelles elles peuvent exprimer l'impact de la perte qu’elles ont connue sur leur vie. Ni le gouvernement, ni les mines ne souhaitaient alors fournir ce type de soutien. Les fruits de ses efforts se concrétisent en 2019 lorsque les veuves reçoivent une indemnisation.
Au-delà des frontières
L'engagement de Nomarussia Bonase en faveur de la construction de la cohésion sociale s'est étendu au-delà des frontières de l'Afrique du Sud. En 2007, elle contribue à la formulation de la Déclaration de Nairobi sur le droit des femmes et des filles à un recours et à réparation, une vision de grande envergure pour les réparations dans les sociétés post-conflit. En 2008, l'Institut de Kiel l’invite à venir partager avec les femmes et les filles ses idées sur la manière de construire un militantisme pour la justice sociale sur une plateforme mondiale. En 2017, elle reçoit le Prix des femmes Anne Klein pour son courage et son engagement à défendre les droits des femmes et une démocratie respectueuse de l'égalité entre les femmes et les hommes. Bien que son travail ait été reconnu au niveau international, Nomarussia Bonase se heurte toujours à un obstacle majeur : la recherche de financements adéquats pour son travail de promotion des droits des femmes et de lutte contre la violence. « Le gouvernement alloue de l'argent à la construction de la paix et de la sécurité, mais quand il s'agit de leur mise en œuvre, nous n’en voyons pas la couleur. Nous avons vraiment du mal à trouver les ressources pour nos programmes qui sont nécessaire pour aider les survivants de la violence. »
Le foyer est le lieu où réside l'activisme
La mission de Nomarussia ne fait pas la distinction entre vie privée et vie professionnelle. Pour beaucoup, la maison est synonyme de havre de paix, de lieu pour lequel les gens viennent de loin. « J'utilise mon garage pour les ateliers et j'ai une pièce où les gens peuvent venir discuter. Parfois, mes enfants doivent dormir dans le salon lorsque nous faisons de la place pour les personnes qui ont besoin d'un endroit où loger. » La pandémie de coronavirus a mis en évidence l'héritage d'iniquité créé par l'apartheid, montrant le fossé profondément enraciné entre les nantis et les démunis. « Le coronavirus est comme une peine de mort pour notre peuple. Son effet sur ceux qui ont peu en raison de l'inégalité historique conduit à la mort de personnes. Pendant le confinement, les soldats sont venus tirer avec des balles en caoutchouc, faisant une nouvelle fois de nous des victimes. » Mais Nomarussia Bonase ne se laisse pas abattre et contribue également à des actions de protestation et de soutien par le biais de projets communautaires tels que la confection de masques et la fabrication de produits sanitaires afin d’aider les individus à subvenir à leurs besoins. « Lorsque nous parlons de consolidation de la paix, nous devons avant tout aider les gens à survivre. Nous protesterons jusqu'à ce que nous n’en puissions plus ; nous n'abandonnerons jamais tant qu'il n'y aura pas de paix dans le monde. »
Un témoignage vivant et parlant
Nomarussia croit en l'importance de tirer les leçons intergénérationnelles du travail pour la paix. « Nous devons tirer les leçons du passé et de nos aînés et dire aux nouvelles générations de vouer leur vie à la construction de la paix. Il le faut. » Ses quatre enfants ont été élevés avec cet engagement absolu. « Ils comprennent mon travail », déclare-t-elle. Et lorsqu’elle dit que nous devons vouer notre vie à la construction de la paix, ce ne sont pas des paroles en l’air. Elle est un témoignage vivant et parlant de ce que signifie vivre au service de la création d'un monde différent, d’un monde dans lequel chaque personne possède sa dignité et est à l'abri de la violence.