Soyez courageuses, soyez audacieuses dans la quête du droit

Portrait

« Libère-toi, [et] tu libères la terre », disait son père. Hanan Ashrawi a été la première femme à devenir membre du comité exécutif de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP). 

Portrait Hanan Aschrawi

Le Dr Hanan Ashrawi est un nom bien familier de la plupart des foyers palestiniens et un de ceux qui traversent les générations. Elle dirige le département de la diplomatie et de la politique publiques au sein de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) et est membre réélu de son comité exécutif.

Malgré son riche et dense curriculum vitae, Hanan Ashrawi peine à trouver les mots pour se décrire. « C'est probablement l'une des questions les plus difficiles », avoue-t-elle en riant. « Au fond, je me vois toujours comme un simple être humain : comme une femme, une mère, une chef de famille, une épouse, une grand-mère. Mais aussi comme une universitaire, une militante politique, une écrivaine, une chef de département », explique Hanan Ashrawi. En une phrase : « Je suis la somme de toutes mes expériences de vie. » Sa voix pleine d'une assurance qu’elle puise dans sa modestie, elle ajoute : « J'espère que cela fait de moi un être humain à part entière. »

Après la déclaration d'indépendance de l'État d'Israël en 1948, la notion de citoyen palestinien s’est vue brouillée par les éléments qui accompagnent l'occupation israélienne imposée. Hanan Ashrawi, comme la plupart des Palestiniens, n'a pas fait exception à la règle. « [Les Palestiniens] s’opposent aux définitions simples », explique-t-elle, « car nous vivons une situation d'injustice très complexe et qui revêt plusieurs facettes. » Bien consciente de cela, Hanan aime à se rappeler la devise héritée de son père, Daoud Ashrawi : « Libère-toi, [et] tu libères la terre. ».

Avoir et donner de l'espace

 

Le voyage d'Hanan Ashrawi pour devenir un « être humain à part entière » a débuté dans l'espace intime de son foyer. Les leçons qu'elle retiendra de sa mère et de son père, Wadia et Daoud, résonnent encore en elle. Parents de cinq filles, Wadia était féministe, tandis que Daoud défendait fermement les droits des femmes. « [Mon père] nous a toutes élevées avec deux espoirs en tête : premièrement, que nous n’acceptions jamais les limites et les restrictions qui nous sont imposées par les autres et la société », se souvient le Dr Ashrawi. « Deuxièmement, que nous obtenions des diplômes universitaires. »

Se découvrant une passion pour le monde universitaire, Hanan Ashrawi fonde le département d'anglais de l'université de Beir Zeit entre 1973 et 1978 et devient plus tard la doyenne de la faculté des arts.

Malgré le soutien de sa famille, dont son mari Emile, et ses deux filles Amal et Zeina, elle reconnaît que c’est tout un monde qui venait lui imposer ses propres défis. Aussi, elle admet que si « le système de soutien immédiat était présent, la réalité globale était toute autre ». En tant que femme, les expériences d'Hanan Ashrawi n’ont pas été sans épreuves. « Chaque fois que vous avez une femme qui travaille sur la base de principes, avec un objectif clair, vous trouverez beaucoup d'hommes qui essaieront de la briser et de la redéfinir dans leur propre langage », soupire-t-elle. « C'était très difficile pour moi. Ils me regardaient comme si je prenais une place qui leur revenait de droit. »

Le travail qu’elle a entrepris sur les droits de l'homme et de la femme, l’élaboration de politiques, le rétablissement de la paix et la construction de la nation a été considérable et est le résultat d'une accumulation d'expériences – parfois douloureuses : son militantisme pendant ses années de licence à l'Université américaine de Beyrouth (AUB), son voyage à travers les États-Unis et ses diverses rencontres avec des militants des alliances d'étudiants noirs et des travailleurs des mines, ou encore son appartenance au Conseil national palestinien.

 

Voir plus grand, se montrer courageux

Ses années à l'AUB restent gravées dans sa mémoire et, lorsqu’elle se rappelle l'association étudiante, elle confesse avec tendresse : « nous nous sommes protégés les uns les autres, nous avons pris soin les uns des autres ». Mais la protection implique aussi de ne pas avoir une vision restreinte de ce que sont les droits des femmes. La quête de justice sociale de cette activiste franche et sans complexe allait bientôt devenir indissociablement liée sur le plan politique aux efforts de construction de la nation. Cela lui a valu de nombreuses accusations qui lui ont coûté cher et en dépit desquelles elle a dû se battre.

Un souvenir particulièrement vibrant est celui de l’époque où le ministère palestinien de la condition féminine était encore en cours de formation et où Hanan s’y était fermement opposée. Faisant preuve d’audace, elle avait alors tenté de faire pression pour la création d’un conseil de femmes habilité au niveau du premier ministre ou du président à la place. Cette démarche avait conduit à une série d'accusations formulées par des fonctionnaires et des groupes de femmes qui lui reprochaient de vouloir s’octroyer un poste politique. En réalité, pour Hanan Ashrawi, « il est facile de se doter d’un ministère de la condition féminine et de lui confier l’ensemble des questions relatives aux femmes ; toutes les autres institutions sont alors libres de faire ce qu'elles veulent ». Dans un éclat de rire, Hanan repense à ce moment : « Comme on dit en arabe, c’était un peu comme si on disait : ’allez, gentille petite fille, va jouer dans le coin.’ »

En 2009, Hanan Ashrawi devient la première femme dans l'histoire palestinienne à occuper un siège au sein de la plus haute instance exécutive de la Palestine : le comité exécutif de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP). Sa capacité à avancer tient à deux choses : « premièrement, ne pas travailler seul, [et] deuxièmement, m’en tenir à mes principes ». Hanan Ashrawi reconnaît en effet fièrement que sa position actuelle est le fruit d'un effort collectif de femmes qui se sont élevées les unes les autres. Elle affirme d’ailleurs que ce sont les femmes qui ont voté pour sa nomination officielle au sein du comité exécutif, expliquant que cela aide à briser le mythe selon lequel « les femmes ne votent pas pour d'autres femmes ». La contribution d'Hanan à la création d'espaces pour les femmes s’étend également à son investissement dans le cadre du projet de construction de la nation. Celui-ci œuvre à la mise en place d’ « institutions pouvant réellement remettre en question les systèmes fermés qui limitent la place et le pouvoir des femmes ». En d’autres termes, il consiste à rejeter toute idéologie qui viendrait saper ses principes en matière de justice sociale et d'égalité, non seulement pour les femmes, mais aussi pour la société dans son ensemble.

Diriger, ce n'est pas seulement gouverner

Au début des années 1990, Hanan Ashrawi, membre à part entière d’une génération ayant fortement contribué à la construction de l'instance dirigeante de l'Autorité nationale palestinienne, assiste à la transformation des comités populaires locaux formés au cours de la première Intifada[1]en une structure sociale institut institutionnalisée. De nombreux Palestiniens chevronnés, actifs politiquement dans les années qui avaient précédées, se virent attribuer des fonctions officielles. En tant que membre du comité diplomatique et du comité politique de l'Intifada de 1988 à 1993, Hanan Ashrawi a joué un rôle déterminant dans la conférence de paix de Madrid en 1991. Elle faisait partie de la délégation palestinienne de haut rang dirigée par le très vénéré Dr Haidar Abdel Shafi et le légendaire habitant de Jérusalem Faisal Husseini. Porte-parole de la délégation, et unique femme la composant, Hanan s’est rapidement distinguée sur la scène diplomatique, représentant avec détermination et fierté les positions palestiniennes. Malgré ses prestations remarquables et sa notoriété  nouvellement acquise lors de ces négociations difficiles, Hanan Ashrawi ne témoigne aucun intérêt à faire partie d'un gouvernement national qu'elle juge encore peu apte à pourvoir aux besoins de sa communauté. « Abou Ammar[2] et moi nous sommes fortement disputés sur le fait que je ne souhaitais pas devenir ministre dans le gouvernement de l'Autorité nationale palestinienne », se souvient-elle, mentionnant le nom de guerre de Yasser Arafat sous lequel il est connu. « Je répétais sans cesse que je voulais faire partie de la société civile. »

En 1993, alors que les représentants de l'OLP signent les accords d'Oslo, Hanan, qui émet encore des réserves, avec le soutien de Yasser Arafat, met en place la Commission indépendante palestinienne pour les droits des citoyens. Celle-ci deviendra plus tard la Commission indépendante pour les droits de l'homme, officiellement reconnue par un décret présidentiel et inscrite dans la loi comme disposant du pouvoir d'exercer un contrôle institutionnel.

Sa seule nomination officielle ayant été celle de ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche en 1996, Hanan Ashrawi déclare avec aplomb : « Je ne voulais pas faire partie de notre système. Je voulais faire partie d'une force qui garantirait que le système de gouvernance soit basé sur la justice et les droits de l'homme. » Hanan Ashrawi a donc poursuivi ses efforts pour mettre l'accent sur le devoir de responsabilité et la transparence. « La santé d'une nation ne se reconnaît pas à un système exécutif abstrait où siègent des politiciens, mais à une société civile dynamique, diverse et fondée sur des principes », explique-t-elle. Mue par cette conviction, elle fonde en 1998 le MIFTAH, l’Initiative palestinienne pour la promotion du dialogue mondial et de la démocratie en Palestine, et en 1999 l’AMAN, la Coalition pour la responsabilité et l'intégrité en Palestine.

Un être humain, pas une superwoman

Malgré ses réalisations, la lutte générale des Palestiniens contre l'occupation militaire a souvent relégué les questions relatives aux femmes au second plan. Mais Hanan Ashrawi a toujours refusé cette vision binaire. « Vous ne pouvez pas refuser le droit à l'autodétermination, à la justice et à l'égalité aux femmes de votre propre société et prétendre que vous luttez pour elles contre l'occupation », assure-t-elle fermement. « Ce n'est pas quelque chose que l'on laisse au placard en attendant d’être libérés », souligne-t-elle, « on ne peut pas remettre à plus tard la construction d'une société saine. »

À ce propos, elle se souvient d'une conversation entre l'ancien président américain Jimmy Carter et Yasser Arafat. « Carter a dit [à Arafat] : ’Vous n'avez pas assez de femmes dans votre cabinet’. Ce à quoi Arafat a répondu : ’J'ai Hanan Ashrawi, et elle vaut dix hommes.’ À ce moment-là j’ai dit : ’Je suis prête à laisser ma place afin que vous puissiez nommer dix femmes.’ » Il faut dire qu’Hanan n'a jamais cessé de plaider en faveur d’un meilleur accès des femmes aux postes de pouvoir. Pour elle, c’est le « syndrome de superwoman » qui met en échec cette représentation plus importante des femmes à de telles positions. Amèrement, elle explique : « Les femmes sont généralement jugées selon les critères les plus stricts. On connaît tous le syndrome de superwoman : il faut être parfaite pour obtenir la reconnaissance et être acceptée. »

La visibilité d'Hanan n'a pas uniquement intimidé les hommes. Après tout, ce sont les femmes qui doivent se battre deux fois plus pour accéder aux espaces de leadership déjà limités. Rare femme à y avoir accédé, Hanan Ashrawi reconnaît qu’être pris pour exemple et avoir un statut de symbole peut amener à exclure les autres.

Pleinement consciente des dangers d'un tel symbolisme, Hanan tient à rappeler que : « Il est indispensable que chaque femme, où qu’elle aille, ne serve pas uniquement de modèle, mais qu’elle ouvre la voie à d'autres femmes. » Elle tente de trouver les mots pour conseiller les futures dirigeantes de la prochaine génération : « Si vous adoptez vous-même la philosophie masculine et le système de valeurs et de pouvoir masculins au sein du corps politique, alors vous n’êtes pas si différente des hommes qui sont au pouvoir. »

Avec tendresse, elle reprend une nouvelle fois les mots de son père : « Soyez courageuses, soyez audacieuses dans la quête du droit. »


[1]La première Intifada palestinienne a été une révolte de masse de la société civile contre les pratiques israéliennes et l'occupation. Elle a débuté en 1987 et s'est achevée avec la signature des accords d'Oslo en 1993.

[2] Abou Ammar, également connu sous le nom de Yasser Arafat, a été le premier président à être élu dans le territoire palestinien occupé.