Khaleb Drareni, journaliste algérien, a été récemment condamné à deux ans d’emprisonnement. Une peine lourde qui alerte sur la situation de la liberté de presse en Algérie classée déjà à la 146e place sur 180 du Classement mondial de la liberté de la presse 2020 établi par RSF[1].
Khaleb Drareni était intervenu il y a un peu plus d’un an lors de la 7ème édition du Congrès des jeunes Européens[], rassemblement unique de 70 jeunes activistes venus de toute l’Union européenne et entre autres de Russie, d’Ukraine, des Balkans, d’Arménie, et de Turquie. L’édition 2019 avait pour thème : « Comment se battre pour la démocratie et le climat ? ». Khaleb Drareni était intervenu sur le thème « Lutter pour la démocratie ». Il avait notamment évoqué la liberté de la presse en Algérie, et le risque qui pèse les journalistes de son pays. Lors de son intervention, il avait mis en lumière son combat, en tant que correspondant auprès de Reporters sans frontières (RSF), TV5 monde, et en tant que fondateur de la Casbah tribune, récemmment censurée.
Khaleb Drareni n’est pas un journaliste comme les autres, il a notamment couvert l’ensemble du Hirak (en dialecte algérien signifiant « le mouvement » qualifiant les manifestations qui ont lieu tous les vendredis depuis le 22 février 2019). Couvrir l’ensemble du Hirak est un risque qu’a décidé de prendre Khaleb Drareni. Contrairement à lui, les médias officiels en Algérie n’ont pas couvert ce mouvement. Souvent contrôlés par l’appareil exécutif, les médias officiels se sont plutôt attelés à diffamer le Hirak, ou à en donner une vision biaisée afin de décourager le peuple d’aller manifester. En effet, on parlait souvent d’un Hirak qui dégénère et de citoyens qui se faisaient gazer, alors que le Hirak a été pacifique, et les manifestants ramassaient même les déchets laissé sur leurs passages. Parler d’un Hirak qui dégénère ou de menaces terroristes a permis de limiter le nombre de manifestants. En effet, évoquer ce genre de fait auprès d`une population traumatisée qui a connu les années noires (nombreuses attaques terroristes nombreuses dans les années 90), et qui connait une répression policière accru a de l’effet sur les citoyens algériens.
En prenant le risque de couvrir l’ensemble du Hirak, Khaleb Drareni est devenu une véritable alternative pour suivre l’actualité du Hirak. C’est ainsi, la raison pour laquelle, Khaleb Drareni est devenu une des figures de proue du Hirak, revendiquant ainsi le besoin d’une liberté de presse en Algérie.
Mais un an après sa prise de parole lors du congrès des Jeunes europénns, la situation est autre, Khaleb Drareni paye aujourd’hui son engagement et son combat pour la liberté de presse, derrière les barreaux. Même si nous espérons que la pression internationale permettra de le libérer prochainement.. Il a été récemment condamné en appel à deux ans d’emprisonnement, accusé d’« atteinte à l’unité nationale de son pays », mais aussi à « incitation à un attroupement non armé ».
Retour sur les faits
Khaleb Drareni a été arrêté à de nombreuses reprises durant sa carrière et plus particulièrement depuis le début du Hirak. Lors d’une énième arrestation le 7 mars 2020, les chefs d’accusation qu’il encoure prévoient cette fois-ci une peine lourde. En effet, l’incitation à un « attroupement non armé »[2] en Algérie est passible de 10 ans d’emprisonnement. Le 10 août 2020, date du premier jugement, il est condamné à trois ans fermes, puis le 15 septembre (journée mondiale de la démocratie) en appel, il est finalement condamné à deux ans et 200 000 dinars d'amende. Son avocat, Mustapha Bouchachi, annonce qu’il va demander le pourvoi de la peine en cassation.
Le parquet algérien l’accuse d’un appel à la grève générale, mais aussi d’atteinte à l’unité nationale du fait de propos dans ses articles envers le gouvernement en place. De plus, il est accusé d’avoir relayé sur les réseaux sociaux un communiqué d’un parti d’opposition. Pendant son procès très médiatisé, l’exécutif l’a régulièrement calomnié, l’accusant notamment de collusion auprès d’ONG étrangères. Le pouvoir a aussi remis en cause son statut de journaliste professionnel. Le président Tebboune est même aller jusqu’à l’accuser de « mouchard ».
Arrêté aux côtés de deux autres figures clés du Hirak, Samir Benlarbi et Slimane Hamitouche, il a été traité différemment. Ces deux activistes ont été condamnés à deux ans de prison avec sursis, et seulement quatre mois fermes. Ils ont été remis en liberté provisoire. Contrairement à eux, Khaled a subi une peine voulue « exemplaire ». Le message du pouvoir exécutif est, en effet, très clair pour les journalistes algériens : la reddition ou la prison[3]. Khaleb Drareni est un journaliste, connu du peuple algérien possédant une forte audience pour ses interventions à la radio, ses interviews, mais aussi pour ses articles, ce qui expliquerait cette lourde peine[4].
Lors de sa seconde audience, Khaleb Drareni semble affaibli et amaigri par rapport à sa dernière apparition médiatique. Malgré la demande de pourvoi en cassation de sa peine, Khaleb est incarcéré depuis presque 8 mois. En parallèle, plus d’une soixantaine de personnes sont actuellement emprisonnées pour des faits liés au Hirak, comme notamment les militants, les opposants politiques, les journalistes et les internautes. En effet, il s’agit ici de la stratégie algérienne adoptée afin d’empêcher la reprise du Hirak suspendu de par la crise sanitaire. Pourtant malgré la peine exemplaire que subit Khaled Drareni, les citoyens algériens ainsi que la diaspora ont continué à lui manifester leur soutien.
Un soutien sans pareil
Á l’intérieur du pays, les Algériens ont régulièrement manifesté leur soutien à Khaleb Drareni. On dénombre notamment quatre manifestations et sit-in en sa faveur. Une pétition a aussi été mise en ligne le 30 août sur la Casbah tribune et a rassemblé un nombre important de signatures. Des slogans ont ainsi été créés sur Twitter (#FreeKhaledDrareni, #WeareKhaleb ou #FreeKhaled) afin de soutenir la cause de ce dernier. De plus, de nombreuses ONG sur place œuvrant pour les droits humains, ont fortement dénoncé la peine de Khaleb Drareni. Comme notamment, Amnesty International Algérie, le Rassemblement action jeunesse (RAJ), la ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme (LADDH), le Comité national pour la libération des détenus (CNLD). Les journalistes (Radio M, et le journal Liberté) sur place ont aussi été nombreux à manifester leurs soutiens, tout comme le parti travailliste.
Mais l’annonce de sa condamnation ne se cantonne pas à l’Algérie et dépasse les frontières, des rassemblements ont eu lieu à Tunis, Genève, New York et Paris. De nombreux journaux francophones lui dédient des tribunes comme par exemple le Monde ou Jeune Afrique.
À l’étranger, il reçoit des soutiens variés comme notamment de la part de Christophe Deloire, secrétaire général de RSF, TV5 Monde mais aussi de nombreux journalistes qui sont rassemblés devant l’ambassade d’Algérie à Paris le 7 septembre afin de manifester leur soutien au journaliste. La Mairie du centre de Paris a aussi déployé une bannière en son soutien.
De nombreuses organisations internationales ont aussi condamné la décision de la justice algérienne. On note notamment la condamnation par le représentant du conseil des droits de l’homme de l’ONU (HCDH), demandant sa libération immédiate et exprimant la nécessité de sa protection. L’Union européenne, et notamment le haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité a déclaré sa préoccupation quant à la condamnation de Khaleb Drareni, et a ouvert le dialogue avec l’Algérie.
Khaleb Drareni, un symbole de la liberté de presse
La condamnation de Khaleb Drareni, qualifiée d’abusive par de nombreux médias étrangers, est en réalité un véritable exemple des risques qu’encourent les journalistes de l’autre côté de la Méditerranée. C’est en effet l’affaire de trop qui ternit l’image de l’Algérie et de l’indépendance de la justice algérienne sur le plan international. Mais ce que le pouvoir exécutif n’attendait pas, c’est que Khaleb Drareni reçoive un soutien inédit, l´érigeant ainsi comme un véritable symbole de la liberté de presse algérienne, lui le journaliste de la révolution pacifique
[1] Organisé en partenariat entre la fondation Heinrich Böll, la Green European Foundation, ainsi que la fédération des jeunes européens (FYEG).
[2] https://rsf.org/fr/actualites/qui-est-khaled-drareni-le-symbole-de-la-l…
[3] Il est interdit de manifester selon la constitution Algérienne.
[5] Huffing post