Alors que le conflit dans le Donbass, opposant le gouvernement de Kiev aux séparatistes soutenus par la Russie, vient d’entrer dans sa septième année, la dévastation environnementale consécutive à la guerre menace à long-terme de déplacer des millions de personnes. Les préoccupations écologiques font figure de parent pauvre des négociations de paix.
Par Guillaume Ptak - Le Courrier d'Europe Centrale
« Si rien n’est fait, nous faisons potentiellement face à un second Tchernobyl ». Pour le Ministre ukrainien délégué à la « Réintégration des Territoires Temporairement Occupés » Oleksiy Reznikov, le constat est sans appel. Destruction partielle ou totale d’infrastructures industrielles et minières, de gazoducs et de canalisations, contamination des sols par des carburants et munitions, assèchement des cours d’eau et des réservoirs d’eau potable et très nombreux incendies provoqués par la guerre : après 7 ans de conflit, le Donbass est en passe de se transformer en une nouvelle zone d’exclusion, à l’image de celle de Tchernobyl ou de la « zone rouge » de Verdun, qui porte toujours les séquelles de la Première Guerre Mondiale.
Alors que le conflit, opposant le gouvernement ukrainien aux séparatistes pro-russes, a récemment fait son retour sur les écrans de télévision, à la faveur d’importants mouvements de troupes à la frontière avec la Russie, sa composante écologique pâtit toujours d’un criant manque de médiatisation. Pourtant, les conséquences de cette dévastation environnementale pourraient dépasser, et de loin, les frontières disputées de la région.
Les problématiques environnementales du Donbass, bien qu’incontestablement aggravées par ces sept années de guerre, sont cependant bien antérieures au début du conflit. Plus grand gisement de charbon de l’Union Soviétique et cœur industriel de l’Ukraine moderne, le Donbass comptait déjà parmi les régions les plus polluées d’Europe avant 2014[1]. La présence de nombreuses industries lourdes, notamment métallurgiques, couplée à deux siècles d’exploitation intensive du charbon ont durablement transformé le paysage et la biodiversité locale, empoisonnant les cours d’eau et perforant les sols d’innombrables galeries interconnectées.
Selon le Ministère de l’Énergie et de l’Industrie Minière ukrainien, les oblasts (région administrative) de Donetsk et de Louhansk comptaient 216 mines à la veille du conflit, dont 123 étaient encore actives. L’exploitation du charbon, moteur historique de l’économie locale, fait désormais peser une grave menace sur l’environnement : l’inondation de mines abandonnées ou endommagées au cours du conflit risque ainsi de contaminer tout le réseau hydrographique de la région avec des produits chimiques et des métaux lourds.
Contamination radioactive des cours d’eau
En effet, lorsqu’une mine de charbon cesse d’être exploitée, il est impératif de pomper l’eau hors de celle-ci, afin d’éviter qu’elle n’inonde les galeries et charrie ainsi des polluants à la surface, ou dans les cours d’eau avoisinants. L’inondation d’une mine entraîne également une augmentation de la concentration de méthane et de radon en surface, contribuant ainsi à la pollution atmosphérique et au risque d’explosion. Or, 35 mines auraient déjà été inondées depuis le début du conflit, et 70 autres seraient également en passe d’être abandonnées, d’après une étude menée par le Ministère de l’Environnement et des Ressources Naturelles de l’Ukraine en 2016.
Selon l’ONG Suisse « Centre for Humanitarian Dialogue », citée dans un rapport de l’OSCE[2] datant de 2017, le drainage annuel des eaux des mines du Donbass est passé de 800 millions à 450 millions de mètres cubes. « Compte tenu de l’ampleur et de la nature du processus actuel d’inondation des mines dans l’est de l’Ukraine, peut-on lire dans le rapport, on peut s’attendre à ce que les eaux polluées affectent à terme la qualité des aquifères souterrains des deux côtés de la ligne de contact et s’étendent potentiellement au-delà de la frontière russe. »
Les résultats des dernières études menées sur le terrain ont montré une augmentation des concentrations d’azote et de phosphore dans les eaux des rivières Siverskiy Donets, Kleban-Byk, Kalmius et Kalchyk. Des prélèvements de sédiments, réalisés dans les lacs artificiels de la région, ont également permis de déceler une pollution significative au strontium et au baryum non radioactifs. Utilisées dans l’industrie lourde, ces substances rentrent également dans la composition de nombreuses munitions. Une fois ingéré, même en petite quantité, le baryum peut provoquer des difficultés respiratoires, une augmentation de la pression artérielle, un œdème cérébral ou encore des lésions hépatiques et rénales. Par ailleurs, dans un entretien donné en 2019, le Docteur Evgeny Yakovlev, un hydrogéologue ayant étudié la qualité de l’eau dans le Donbass, déclarait déjà que la prévalence des cas de diarrhées chez les enfants de moins de quatre ans – et dû à 80% à la qualité de l’eau – est 68 fois plus élevée que chez les adultes. »
Enfin, la mine de Iounkom, située à Ienakiieve, sur le territoire de l’autoproclamée « République Populaire de Donetsk » fait peser un risque singulier sur l’environnement : en 1979, celle-ci fut le site d’un essai nucléaire mené par les autorités soviétiques. La détonation d’une bombe atomique de 0,3 kilotonnes y a entraîné la formation à 900 mètres de profondeur d’une chambre vitrocéramique contenant les produits radioactifs de l’explosion. Les séparatistes ayant mis fin en 2018 au coûteux entretien de la mine, celle-ci serait désormais en passe d’être inondée. Selon Oleksiy Reznikov, des radionucléides auraient déjà pénétré dans les cours d’eau avoisinants.
Des incidents industriels à répétition
Les produits chimiques et métaux lourds issus de l’inondation des mines constituent autant de sources de pollution supplémentaires, alors que la consommation des poissons pêchés dans certains affluents du Donets étaient déjà déconseillés à la population locale avant le début du conflit. En cause : leur importante concentration en pétrole, phénole, cuivre et zinc.
À l’aube du conflit, la région comptait également plus de 5 000 entreprises industrielles, responsables de près de la moitié des émissions polluantes de l’Ukraine. Dans un document publié en 2018, le Ministère de l’Écologie s’alarmait de la possibilité « d’incidents opérationnels majeurs » dans des installations industrielles de la région, principal danger pour l’environnement selon les autorités ukrainiennes.
Or, entre 2014 et 2017, le ministère aurait déjà recensé plus de 500 de ces incidents, dont certains « comportaient des dangers pour la population et l’environnement. » Plus de 80 % des entreprises et des infrastructures industrielles endommagées par les combats étaient classifiées comme potentiellement « dangereuses » ou « très dangereuses » pour l’écosystème local. Parmi celles-ci, on compte notamment la raffinerie de pétrole de Lyssytchansk, l’usine de munitions et explosifs de Petrovo Krasnosillia ou encore une réserve de carburant à la centrale thermique de Sloviansk, dans l’oblast de Donetsk. Autant d’incidents qui laissent présager le pire en termes d’impact environnemental, alors que la plupart des instruments de mesure et de gouvernance écologique ont été abandonnés ou détruits au cours des hostilités.
La protection de l’environnement ne semble cependant pas faire partie des priorités des membres du groupe de contact trilatéral. « Les préoccupations environnementales sont, en quelque sorte, les dernières à l’ordre du jour des responsables politiques, » déplore Lesya Vasilenko, députée du parti Golos (Voix) et membre de la Commission environnementale de la Rada, le parlement ukrainien, contactée par le Courrier d’Europe centrale. « Non seulement dans la région concernée par le conflit armé, mais également dans le reste du pays. »
Une catastrophe à venir, selon l’ONU
Bien qu’une section des accords de Minsk soit dédiée à l’environnement, Lesya Vasilenko estime que celle-ci est reléguée à l’arrière-plan par des questions plus pressantes, telles que le respect du cessez-le-feu, la démilitarisation de la zone de conflit ou encore la mise en place de programmes pour favoriser la reprise des activités et de l’économie locale. « Nous avons des problèmes économiques et sécuritaires persistants, et ceux-ci prennent le pas sur les questions écologiques, concède la députée. Il faut qu’une tragédie, ou une catastrophe se produise pour que l’on commence à y prêter attention. »
Pourtant, c’est bien l’ombre d’une catastrophe sans précédent qui plane sur le Donbass, selon le Docteur Leila Ourekenova, analyste du programme des Nations Unies pour l’Environnement : « la région est au bord d’une catastrophe écologique provoquée par la pollution de l’air, du sol et de l’eau due à la combustion de grandes quantités de munitions lors des combats et aux inondations dans les installations industrielles, déclarait-elle ainsi en 2018[3]. Il est urgent de mettre en place une surveillance écologique afin d’évaluer et de minimiser les risques environnementaux découlant du conflit armé. »
Alors que la guerre a déjà fait plus de 14 000 morts et déplacé 1,4 million de personnes, il apparaît urgent de résoudre les problématiques environnementales, dont les conséquences se feront sentir longtemps après que les armes se seront tues. De guerre lasse, les négociations sont au point mort, et la recrudescence des combats au cours des derniers jours ne pousse pas à l’optimisme. Ce lundi 26 avril, une douzaine de violations du cessez-le-feu ont été enregistrées par les autorités ukrainiennes.