Conférence sur l'avenir de l'Europe: réelle volonté de réforme ou politique de façade ?

Analyse

La Conférence sur l’avenir de l’Europe, lancée en mai 2021, doit permettre aux citoyens européens de s’exprimer et de contribuer aux débats sur les futurs défis de l’Union européenne.  Une plateforme en ligne ainsi que des discussions thématiques animeront ce vaste exercice de démocratie participative. Peu susceptible de déboucher sur des projets de réforme majeurs, cette conférence peut néanmoins donner des impulsions décisives sur des enjeux clés pour l'avenir de l'Europe.

drapeau UE

Présidente tout juste élue de la Commission européenne, Ursula von der Leyen a, en juillet 2019, dessiné les contours d’un projet remarquable lors de la présentation de ses grandes orientations politiques au Parlement européen : « Je veux que les citoyens aient leur mot à dire lors d’une Conférence sur l’avenir de l’Europe, qui débutera en 2020 et durera deux ans ». Elle s’est déclarée prête à poursuivre ce qui aura été convenu lors de la Conférence, et ouverte à des modifications des traités.

Avec cette initiative, Ursula von der Leyen reprend une proposition qu’Emmanuel Macron avait déjà exprimée de manière similaire en mars 2019, dans une lettre publiée dans 28 quotidiens européens.

Un grand besoin de réformes fondamentales

Le besoin de réformes fondamentales de l'UE est grand. La crise financière de 2008 avait déjà mis en évidence les faiblesses structurelles de l'union monétaire. À ce jour, cependant, de nombreuses réformes visant à approfondir l'Union économique et monétaire ont échoué. Les écarts se creusent de plus en plus entre les économies des Etats membres du Nord et du Sud, et la crise du Coronavirus pourrait bien accentuer encore ces différences. Le défi que représente le changement climatique nécessite des investissements massifs, mais le budget de l'UE pour la période 2021-2027 est loin de répondre à ces attentes. Les disparités entre les États membres restent également importantes en ce qui concerne les systèmes de sécurité sociale. En matière de politique étrangère et de sécurité, le principe de l'unanimité au Conseil oblige souvent l'UE à faire des compromis, ce qui rend difficile une action claire en matière de politique étrangère. L’Union européenne de la défense est encore loin d'être une réalité : 27 États-nations entretiennent encore autant d’armées avec des salaires, des grades, des normes et des systèmes d'armements différents.

Les initiatives de réforme échouent trop souvent au Conseil

Avant même l'idée d'une conférence sur l'avenir de l'Europe, les initiatives en faveur de réformes fondamentales de l'UE ne manquaient pas. Deux initiatives sont venues des institutions européennes elles-mêmes. En février 2017, sous l'impact du Brexit, le Parlement européen avait présenté des résolutions pour des réformes fondamentales de l'UE, même si elles ne modifiaient pas les traités. Le Parlement a demandé une réforme du processus décisionnel au sein du Conseil, afin qu'à l'avenir le principe de l'unanimité, requis pour la politique de sécurité commune, la politique étrangère ou pour le budget pluriannuel, soit remplacé par le vote à la majorité qualifiée. La clause dite "passerelle" des traités européens (article 48, paragraphe 7, TUE), selon laquelle le Conseil européen peut décider à l'unanimité d'adopter à l'avenir des décisions à la majorité qualifiée dans tous les domaines politiques, permettrait que cela soit possible dès demain. Elle permettrait une plus grande implication du Parlement. Egalement parmi les propositions du Parlement, un système de ressources propres et une Union européenne de la défense.

La deuxième initiative a été préparée par la Commission Juncker, également sous l'impact du Brexit. En mars 2017, la Commission a présenté cinq scénarios pour l'avenir de l'Europe dans un livre blanc, suivi de cinq documents de réflexion. La Commission Juncker a appelé à un large débat, cherchant à impliquer les citoyens via un portail en ligne et organisant des dialogues citoyens dans les États membres. Les documents de la Commission étaient accompagnés de communications dans lesquelles il était question de passer de l'unanimité à la majorité qualifiée en matière de politique fiscale, de politique énergétique et climatique, de politique sociale et de politique étrangère et de sécurité. Dans l'ensemble, cela a également débouché sur un programme de réforme très ambitieux qui, même s'il n'impliquait pas une modification révolutionnaire des traités européens, aurait représenté une véritable évolution vers une UE plus forte et plus compétente.

Ces deux initiatives ont cependant échoué au Conseil de l’Union européenne, et les chefs d'État et de gouvernement n'ont même pas jugé nécessaire de prendre position. Cela montre clairement que les efforts en faveur de réformes approfondies de l'UE s'enlisent actuellement au Conseil. Le professeur de droit berlinois Christian Calliess, qui a notamment été conseiller de la Commission Juncker, résume l'attitude du Conseil européen comme suit : « Ils veulent profiter des avantages économiques du marché unique, de l'euro et de la liberté de circulation de leurs propres ressortissants dans l'espace Schengen, mais ils ne veulent pas assumer les charges et les responsabilités qui y sont liées et qui sont définies dans les règles du traité pour le "bien commun européen", telles qu'elles sont transmises par la dimension procédurale du principe européen de solidarité » (Calliess 2018).

Prêts à faire le grand saut ?

Après d'âpres négociations, au cours desquelles le Conseil a notamment résisté aux propositions plus ambitieuses du Parlement européen ou de la Commission, et qui ont été longtemps bloquées en raison d'un différend sur la présidence de la conférence, les trois institutions ont publié en mars 2021 une déclaration commune traitant des procédures, des thèmes et des principes de la conférence. Dans ce document, les institutions de l'UE s'engagent à « écouter les Européens et à donner suite aux recommandations de la conférence – tout en respectant pleinement nos compétences et les principes de subsidiarité et de proportionnalité inscrits dans les traités européens ». Les éléments essentiels de cette « écoute » sont une plateforme numérique et des forums de citoyens européens, qui peuvent être complétés par des forums de citoyens nationaux. La plateforme numérique propose une traduction automatique des données saisies et tente ainsi de surmonter les barrières linguistiques. Les forums de citoyens européens visent également à créer un véritable mini-public paneuropéen et à être représentatifs en termes d'origine géographique, de sexe, d'âge, de milieu socio-économique et/ou de niveau d'éducation.

Les contributions des forums de citoyens doivent être « débattues de manière organisée » lors d'une conférence plénière, composée sur un pied d'égalité de représentants du Parlement européen, du Conseil et de la Commission européenne, ainsi que de représentants de tous les parlements nationaux et des citoyens. Toutefois, aucune décision contre l'un des trois piliers - Parlement européen, Conseil ou parlements nationaux - ne peut être prise lors de la conférence plénière. Cela équivaut à un droit de veto des institutions.

Les thèmes mentionnés dans la déclaration sont explicitement issus des orientations politiques du Conseil et de la Commission européenne pour la mandature actuelle : « Construire un continent sain, lutter contre le changement climatique et relever les défis environnementaux, une économie au service des personnes, la justice sociale, l'égalité et la solidarité entre les générations, la transformation numérique de l'Europe, les droits et valeurs européens, y compris l'État de droit, les défis migratoires, la sécurité, le rôle de l'UE dans le monde, les fondements démocratiques de l'Union et le renforcement des processus démocratiques de l'Union européenne ». En outre, les citoyens eux-mêmes devraient être en mesure de soulever les questions qui sont importantes pour eux.

On constate que de nombreuses questions soulevées lors des précédentes initiatives de réforme sont absentes : quid d’une véritable Union européenne de la défense et d’une armée européenne ? Le Conseil devrait-il à l'avenir décider à la majorité qualifiée au lieu de l'unanimité ? Quid d’une véritable union fiscale et économique ? Et de véritables impôts européens pour financer le budget de l'UE ? Si l'on en juge par les nombreux sujets abordés dans la déclaration commune sur la Conférence sur l'avenir de l'Europe, les questions soulevées par le Parlement européen et la Commission Juncker jusqu'à la fin de la période législative 2019 semblent particulièrement pertinentes. Il convient de noter que les impulsions du Parlement européen et de la Commission européenne pour la dernière législature n'étaient en rien révolutionnaires et se situaient entièrement dans les limites des traités existants. Même les questions institutionnelles concernant un système de Spitzenkandidaten ou de listes électorales transfrontalières pour les élections du Parlement européen, initialement soulevées dans la déclaration de la Commission von der Leyen sur la Conférence sur l'avenir de l'Europe, n'ont pas figuré sur la liste thématique de la déclaration commune.

Pas de réforme révolutionnaire ou profonde en vue

À ce stade, il semble clair que les citoyens interrogeront eux-mêmes ces sujets – à condition bien sûr qu’ils les jugent pertinents – dans le cadre de discussions thématiques. Cela implique cependant la présence d’une modération experte et renseignée, à même de permettre un réel débat transparent dans lequel les citoyens sont informés de ces options.

À la lecture de la déclaration commune des trois institutions européennes, on constate cependant que les discussions devraient avant tout se concentrer sur le « Programme stratégique du Conseil européen » et sur les « Orientations politiques de la Commission européenne pour la période 2019-2024 » : or, aucun de ces deux documents ne prévoit de changements fondamentaux ou même de réformes institutionnelles. Il n’est par ailleurs pas assuré que les demandes pour une réforme en profondeur n’obtiennent de majorité au Parlement européen, ces décisions ne pouvant aller à l’encontre de la volonté des Etats membres et de leurs parlements nationaux. Dès les premières lignes de l’introduction, il est en effet indiqué que les recommandations formulées lors de la Conférence ne seront approuvées que dans le cadre du « plein respect [des] compétences » des institutions européennes. Lors des négociations sur la déclaration, le Conseil a d’ailleurs interprété cela comme une impossibilité de réviser les traités européens, au sens de l’article 48 du Traité sur l’Union européenne (TUE).

De fait, il semble très peu probable que la Conférence sur l’avenir de l’Europe ne soit l’élément déclencheur d’une vaste réforme institutionnelle, et encore moins d’une modification du TUE. Confondre la Conférence avec une convention constitutionnelle serait erroné. De plus, le calendrier ne joue pas en sa faveur : selon la déclaration commune des institutions européennes, la Conférence devrait présenter ses conclusions à partir du printemps 2022 – ne laissant pas assez de temps pour dépasser les clivages existants.

L’engagement citoyen, un levier efficace pour l’action politique

L’Histoire européenne a démontré que le plus souvent, et de façon paradoxale, les grandes avancées et importantes réformes constitutionnelles sont le résultat de crises ou d’échecs. C’est ainsi qu’en 1984, les Etats membres rejettent le traité constitutionnel proposé par Altiero Spinelli, bien que celui-ci ait été approuvé au préalable par le Parlement européen. Pourtant, les idées contenues dans ce traité inspireront nombre de textes consécutifs, jusqu’au traité de Lisbonne. De la même manière, le traité établissant une constitution pour l’Europe, élaboré par une Convention et soumis en 2003 à un référendum, n’est jamais entré en vigueur. Pour autant, il a par la suite été intégré en substance au traité de Lisbonne et continue de façonner la structure institutionnelle de l’UE jusqu’à aujourd’hui. De fait, si la Conférence sur le futur de l’Europe ne va probablement pas être immédiatement suivie de grandes réformes, elle peut tout de même être à l’origine d’importants changements.

Ainsi, les conclusions de la Conférence devraient servir à « influer sur la direction future de l’UE et l’élaboration de ses politiques », comme l’a annoncé la Commission européenne lors du lancement de la plateforme numérique de la Conférence sur le futur de l’Europe le 19 avril 2021. Pour autant, il n’a finalement jamais été question d’un tournant majeur, à l’instar d’une modification de traité. Mais c’est justement dans cette perspective d’un échange honnête que repose le potentiel de la Conférence, car il s’agit d’un exercice de démocratie délibérative absolument inédit. La chance de créer, pour la première fois, un espace de dialogue ouvert et transparent pour toutes les citoyennes et tous les citoyens européens originaires de l’ensemble des Etas membres, et d’ainsi dépasser le cadre national. La sélection d’un échantillon représentatif de citoyens, tel que prévu dans la déclaration commune, constitue une première étape essentielle pour le débat. Dans un second temps, il est fondamental que les contributions de la plateforme numériques soient élaborées avec la plus grande expertise : les discussions lors des forums citoyens nécessitent également un accompagnement technique ainsi que l’apport de certains renseignements, à même de structurer et de modérer les débats de façon éclairée, sans pour autant les dominer.    

Le rôle central du « management du dialogue »

À titre comparatif, la « politique de l’écoute » menée par les Verts au niveau régional dans le Bade-Wurtemberg au cours de leurs deux derniers mandats, consistant à désigner des citoyens au hasard pour qu’ils répondent à des sondages, a donné au gouvernement de ce Land une grande expérience dans le domaine de la démocratie participative. Déployée dans le cadre du dialogue européen sur l’avenir de l’Union européenne, lequel comprenait un processus de participation citoyenne plus large, cette initiative s’est conclue par le « modèle européen du gouvernement de Bade-Wurtemberg ». Ce « management du dialogue » ne signifie pas pour autant que chaque suggestion des citoyens doit automatiquement se traduire par une mise en œuvre concrète : le dialogue citoyen ne saurait en effet remplacer les décisions prises par des gouvernements et des parlements démocratiquement élus. Ce principe devrait également s’appliquer à la Conférence sur l’avenir de l’Europe et être clairement énoncé afin d’éviter certaines déceptions. En ce sens, il est important que les attentes des acteurs politiques concernant les résultats de la Conférence ne soient pas trop élevés.

Il parait évident que la conjoncture et la majorité politique actuelle – notamment au sein du Conseil européen – ne semble pas favorable à une réforme majeure de l’UE. La volonté d’approfondir un certain nombre de dossiers politiques apparait pour autant bien plus forte qu’il y a cinq ans : le dispositif « Facilité de relance et de résilience » (FRR) inclus dans le plan de relance européen autorise en effet pour la première fois l’UE à contracter de la dette, ce qui devrait permettre d’équilibrer les effets de la récession économique suite à de la crise du Covid-19 entre le nord de l’Europe, plus riche, et le sud du continent. Une taxe sur les déchets d’emballages plastique viendra prochainement directement alimenter le budget de l’UE – un premier pas vers la constitution de ressources propres de l’Union. Par ailleurs, le niveau d’ambition affiché par la Commission européenne en termes de protection du climat, de l’environnement et de la biodiversité est sans précédent et laisse présager un changement de cap significatif.

C’est justement dans cette dynamique que la Conférence sur l’avenir de l’Europe peut s’avérer déterminante : elle peut en effet donner un nouvel élan aux décideurs des Etats membres et ainsi permettre certaines avancées concrètes dans des domaines particuliers. Cette initiative donnera par ailleurs un aperçu de la capacité des citoyens européens à absorber et à contribuer aux changements les plus radicaux, y compris ceux qui impliquent la transformation – voire la réduction – de certaines habitudes de consommation potentiellement néfastes pour l’écologie.  

 


Von der Leyen, Ursula. 2018. Eine Union, die mehr erreichen will. Meine Agenda für Europa

Europäisches Parlament. 2017. Bericht über die Verbesserung der Funktionsweise der Europäischen Union durch Ausschöpfung des Potenzials des Vertrags von Lissabon

Europäisches Parlament. 2017. Mögliche Entwicklungen und Anpassungen der derzeitigen institutionellen Struktur der Europäischen Union

Europäische Kommission. 2017. Weißbuch zur Zukunft Europas

Calliess, Christian. 2018. Bausteine einer erneuerten Europäischen Union. Auf der Suche nach dem europäischen Weg: Überlegungen im Lichte des Weißbuchs der Europäischen Kommission zur Zukunft Europas. In: Neue Zeitschrift für Verwaltungsrecht 2018, 1

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Europäische Kommission. 2019. Mitteilung der Europäischen Kommission an das Europäische Parlament, den Europäischen Rat und den Rat. Eine effizientere und demokratischere Beschlussfassung in der Energie- und Klimapolitik der EU. (COM(2019) 177 final)

Europäische Kommission. 2019. Mitteilung der Europäischen Kommission an das Europäische Parlament, den Europäischen Rat und den Rat. Auf dem Weg zu einer effizienteren und demokratischeren Beschlussfassung in der EU-Steuerpolitik. (COM(2019) 8 final

Europäische Kommission. 2019. Mitteilung der Europäischen Kommission an das Europäische Parlament, den Europäischen Rat, den Rat, den Europäischen Wirtschafts- und Sozialausschuss und den Ausschuss der Regionen. Effizientere Entscheidungsfindung in der Sozialpolitik:   Ermittlung möglicher Bereiche für einen verstärkten Übergang zur Beschlussfassung mit qualifizierter Mehrheit. (COM(2019) 186 final)

Europäische Kommission. 2020. Mitteilung der Europäischen Kommission an das Europäische Parlament und den Rat. Gestaltung der Konferenz zur Zukunft Europas (COM(2020) 27 final)

Europäisches Parlament, Rat, Europäische Kommission. 2021. Gemeinsame Erklärung zur Konferenz über die Zukunft Europas. Austausch mit den Bürgerinnen und Bürgern für mehr Demokratie – Aufbau eines resilienteren Europas.