Au Bélarus, la remise au pas de l’Église orthodoxe

Analyse

Une mise au pas politique est en cours dans l’Église orthodoxe bélarusse. De nombreux prêtres et membres du clergé de l’Église du Bélarus ont ouvertement soutenu les manifestants en 2020. Le gouvernement tente de rétablir un contrôle total sur cette église autrefois loyale.

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Le prêtre Alexander Kukhta à un rassemblement à Minsk, devant la prison Okrestina, où des manifestants ont été détenus et brutalisés.

Par Anton Trafimovich - Le Courrier d'Europe Centrale

« Il n’y avait pas un tel intérêt pour le catholicisme chez les orthodoxes avant les élections. De nombreux croyants se sentent mal à l’aise vis-à-vis de l’Église orthodoxe, précisément pour des raisons politiques ». Viachaslau Barok est un prêtre catholique dans le Nord du Bélarus, dans la paroisse de Rasony. Il anime une chaîne Youtube religieuse très populaire. Des chrétiens orthodoxes qui voudraient devenir catholiques lui écrivent et l’appellent constamment.

Les deux confessions chrétiennes ont des postures très différentes à l’égard du régime d’Alexandre Loukachenko. L’Église catholique, à laquelle appartiennent 15 % des croyants du Bélarus, a toujours souligné son indépendance vis-à-vis du pouvoir et n’a pas eu peur de le critiquer. Mais l’Église orthodoxe est longtemps restée fidèle au régime en place à Minsk et l’a ouvertement soutenu. Après son arrivée au pouvoir en 1994, Loukachenko a tenté d’assujettir toutes les institutions publiques, y compris l’Église orthodoxe, la confession la plus importante du pays. Environ 80 % de tous les croyants du Belarus se considèrent en effet comme orthodoxes.

Grodno est un grand centre régional situé à l’ouest du Bélarus, à quelques kilomètres de la frontière polonais. Artemy, le chef du diocèse de Grodno a été démis de ses fonctions au début du mois de juin, en raison de sa position politique et de ses déclarations. L’archevêque Artemy a en effet condamné la falsification des résultats de l’élection présidentielle de 2020 et les violences commises par la police lors des manifestations. Il était le membre du clergé le plus haut placé à critiquer sévèrement le pouvoir actuel. Sa démission a provoqué le mécontentement des prêtres et des paroissiens. Certains d’entre eux sont même prêts à changer de confession.

« Maintenant, toute notre famille pense à se tourner vers l’Église gréco-catholique. Auparavant, je n’osais même pas y penser, mais maintenant il nous est difficile de supporter ce qui se passe dans l’église », a déclaré Ihar, un paroissien de Grodno, au Courrier d’Europe centrale. Les Églises greco-catholiques, parmi lesquelles on compte les Uniates en Ukraine, les Maronites ou encore les Chaldéens, sont des églises de rite oriental, mais en communion avec l’évêque de Rome, le pape.

« L’État a pris le contrôle de l’Église orthodoxe du Bélarus. Ses droits ont été restreints et des privilèges lui sont accordés. Mais la différence est que les droits appartiennent à la personne elle-même, et que ces privilèges peuvent être retirés à tout moment », explique au Courrier Natallia Vasilevich, théologienne et politologue, directrice du centre de recherche Ecumen à Minsk.

Les manifestations, un choc pour l’Église

Depuis l’été 2020, l’Église est mise au pas. Le 9 août, des élections présidentielles ont eu lieu en Bélarus, dont les résultats ont été truqués. La police et l’armée ont brutalement réprimé les protestations. Des centaines de personnes ont été blessées et torturées dans les prisons. Plusieurs manifestants ont même été tués. La violence de la police a provoqué des manifestations encore plus importantes – les plus massives de l’histoire du Béarus moderne. Et ce fut un véritable choc pour les autorités lorsqu’en août 2020, les prêtres orthodoxes sont devenus des participants actifs à cet événement politique, et que des membres du clergé ont commencé à critiquer publiquement les autorités.

« Les terribles événements du mois d’août au Bélarus et les viles félicitations de l’usurpateur Loukachenko par les dirigeants de l’Église orthodoxe ont été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase pour moi. J’ai été dans les rues de Gomel tous les soirs depuis le jour des élections. J’ai vu les visages des gens, leur comportement, j’ai ressenti l’atmosphère », explique, au Courrier d’Europe centrale, le prêtre Uladzimir Drabysheuski de Gomel, la deuxième plus grande ville du Belarus.

Drabysheuski fait partie des nombreux prêtres orthodoxes qui ont exprimé ouvertement leur position politique. Dans tout le pays, les prêtres ont publiquement condamné la violence, participé à des rassemblements de solidarité et se sont rendus dans les postes de police où étaient détenus les manifestants.

« Je suis sorti dans la rue pour soutenir les gens et montrer que les autorités ecclésiastiques ne sont pas la véritable Église. L’Église, ce sont des chrétiens qui suivent l’esprit de l’Évangile qui ne veulent pas soutenir les mensonges, l’injustice et la violence », insiste Drabysheuski.

Même le chef de l’Église orthodoxe bélarusse, le métropolite Pavel, a condamné la violence. Dans un premier temps, il a félicité Loukachenko pour sa victoire, mais après quelques jours, il a présenté ses excuses aux croyants pour ses louanges hâtives. À l’hôpital, il a rendu visite aux personnes battues par la police. À la demande de Pavel, les églises ont commencé à prier pour la paix au Bélarus, la fin de l’anarchie et la guérison des blessés.

« Pour Loukachenko, ce fut une surprise. Il est clair qu’il était hystérique à l’évocation de ce sujet », nous explique Vasilevich. Alexandre Loukachenko s’est mis à vivement critiquer le clergé.. « Je suis surpris par la position de nos différentes confessions », a déclaré le 22 août Loukachenko lors d’une visite à Grodno. « Mes chers ecclésiastiques, calmez-vous et faites vos affaires. Les gens doivent venir dans les églises pour prier ! Les églises orthodoxes et catholiques ne sont pas faites pour la politique ! »

Pression sur les ecclésiastiques

Les autorités ne se sont pas contentées de lancer des appels aux représentants de l’Église. Le 25 août, sous la pression des autorités, le métropolite Pavel a été démis de ses fonctions. À sa place on a nommé l’archevêque Veniamin, fidèle aux autorités. Après son arrivée, un nettoyage politique a commencé dans l’église : les prêtres les plus actifs ont été démis de leurs fonctions, certains ont été congédiés. Les procès des prêtres ont commencé : ils étaient menacés de poursuites pénales pour des déclarations politiques. Uladzimir Drabysheuski a été condamné pour avoir participé à un piquet de grève solitaire. Il a passé 25 jours en prison. Avant cela, des représentants du métropolite Veniamin l’ont appelé et lui ont demandé de ne pas participer à des actions publiques.

Pour des raisons de sécurité, à l’automne 2020, Drabysheuski a quitté le Bélarus avec sa famille. Il vit désormais en France, ce qui lui permet de parler ouvertement avec la presse. Mais tous les autres prêtres du Bélarus ont l’interdiction de s’exprimer ouvertement sur les réseaux sociaux et de communiquer avec les journalistes.

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Uladzimir Drabysheuski à une manifestations à Gomel.

« C’est écœurant et insultant pour l’Église et pour le Christ. La voix de l’Église n’émane plus des diocèses : elles sont sous les ordres de l’administration de Loukachenko. La vraie voix de l’Église retentit du cœur et des lèvres des chrétiens, dont beaucoup sont maintenant en prison, certains sont déjà devenus des martyrs du Christ […] « , s’indigne le prêtre Drobyshevsky, depuis la Haute Marne, où il vit en exil.

Aujourd’hui, les autorités tentent de remettre l’Église orthodoxe « à sa place », c’est-à-dire d’en faire un soutien au régime de Loukachenko,La présidente de la chambre haute du Parlement, Natallia Kachanava, visite les diocèses et rencontre les prêtres, leur expliquant que la politique « n’est pas leur affaire. » Le 23 juin, le vice-ministre de l’intérieur Mikalai Karpiankoi est arrivé à la cathédrale de la rebelle Grodno. Il est connu pour avoir participé à la répression des manifestations, appelant à tuer et mutiler les protestataires.

Les organes de l’État envoient maintenant l’ordre aux églises d’organiser la prière « Pour le Bélarus ». Le nom de la prière coïncide avec le slogan politique autour duquel s’organise la campagne pour Alexandre Loukachenko. Mais pour la majorité des Bélarusses, cette expression n’est rien d’autre que de la propagande d’État.

L’Église réduite au silence

« Les autorités tentent de rendre à l’Église le soutien du public, soutien qu’elles ont perdu après les élections. Plus précisément, elle essaye de rendre l’illusion du soutien et de faire taire les voix qui s’opposent au gouvernement. Les autorités comprennent qu’elles ne peuvent pas retrouver un soutien réel », nous explique la théologienne Natalia Vasilevich.

La répression politique a abouti au résultat souhaité : la majorité des prêtres ont cessé de s’exprimer publiquement. Le dernier lieu où les prêtres orthodoxes se sentent libres est le diocèse de Grodno, en raison de la présence de l’archevêque Artemy, depuis démis de ses fonctions. Le prêtre lui-même est sûr qu’il a été écarté à la demande des autorités en raison de son indépendance et de son refus de soutenir le régime actuel.

« C’est arrivé sur ordre de l’État. Maintenant il y a une purge totale dans l’église. La frontière est fermée, les gens sont licenciés, emprisonnés. Pendant qu’ils bénéficient d’une accalmie, c’est pour eux le moment de remettre un peu l’Église en place, car tout le clergé ne soutient pas le régime en place », s’exclame l’archevêque Artemy à Radio Free Europe.

Il a également déclaré que les autorités avaient interdit aux prêtres de prier pour les personnes en détention, « afin qu’il n’y ait pas la moindre dissidence. »

Cependant, les événements d’août 2020 ont montré qu’il y a suffisamment de « dissidents » parmi les prêtres orthodoxes. Il n’existe pas de statistiques exactes, mais selon Natallia Vasielevich, une centaine d’ecclésiastiques sur 1 650 ont critiqué les actions des autorités et de la police et ont participé à des rassemblements de solidarité sans craindre la réaction des autorités. Et il ne s’agit que de ceux qui n’ont pas craint d’afficher ouvertement leur position politique. »Il n’y a pas qu’une centaine de prêtres aux opinions démocratiques, il y en a beaucoup plus », estime Natalia Vasilevich.

Pourquoi l’église, qui semblait fidèle aux autorités, s’est-elle soudainement rangée du côté des opposants à Loukachenko ? Natalia Vasilevich l’explique par plusieurs facteurs. Outre l’élan émotionnel et le choc de la violence dont ils ont été témoins, les prêtres ont dû répondre aux demandes de leurs paroissiens. À bien des égards, ce sont les laïcs qui ont poussé leurs prêtres à condamner la violence et à commencer à agir.

« C’était un véritable enfer de voir l’horreur qui se déroulait à Minsk à cette époque. À ce moment-là, j’ai pensé que la seule chose qui pouvait arrêter la violence c’était nos prières », a déclaré au Courrier Maryna, une habitante de Minsk.

Après l’office, dans les premiers jours qui ont suivi les élections, Maryna est restée avec quelques paroissiens pour parler au prêtre et lui demander de l’aide. « Tout d’abord, il était étonnant de voir combien de paroissiens étaient inquiets de ce qui se passait. Et puis nous n’avons rien eu à prouver au prêtre – il était de notre côté, il nous croyait ».

Un profond changement dans l’Église

Selon Maryna, grâce à la crise politique, sa communauté est devenue plus unie. Les gens avaient un sujet de conversation commun – les changements dans le pays et, plus tard, les persécutions politiques. Ils ont également commencé à dialoguer avec leur prêtre, ce qui n’était pas le cas auparavant.

« On peut dire que les manifestations ont exposé les gens les uns aux autres. Nous ne nous doutions même pas que nous vivions à côté de personnes qui s’inquiétaient du sort de notre pays, que nous prions dans la même église, avec des gens courageux et bons », raconte Maryna.

Natallia Vasilevich confirme ces propos. En tant que politologue et théologienne, elle estime que les protestations de l’année dernière ont déjà profondément changé l’Église orthodoxe. Le rôle des initiatives de la base s’est considérablement accru ; les chrétiens orthodoxes actifs parlent désormais au nom de l’Église, indépendamment de ce que les hiérarques attendent d’eux. Et parmi les prêtres, une masse critique de personnes instruites s’est formée. Ils voient le faible niveau et l’incompétence des autorités ecclésiastiques et veulent changer l’Église.

Pour Natalia Vasilevich, une mutation profonde est à l’œuvre : « Les mêmes changements se produisent dans l’Église que dans la société dans son ensemble. Ce processus ne peut être arrêté par aucune répression. Vous ne pouvez pas forcer les gens à être stupides. Maintenant, tout le monde attend simplement le bon moment pour agir ».