En France, la désinformation gouvernementale n’est qu’occasionnelle et la vérité factuelle apparaît vite au grand jour notamment grâce au travail de certains médias vérifiant l’information. Même si elles ne sont pas omniprésentes, toute manipulation a des conséquences, faisant peu à peu grandir la méfiance du peuple envers les institutions.
Ce commentaire fait parti du dossier mené par le bureau de Bruxelles disponible en anglais "Drowning in disinformation" qui explore à quel point la désinfromation initiée par l'état menace la démocratie au sein de l'Union européenne.
La désinformation peut porter préjudice au gouvernement
En France, le mensonge gouvernemental ne fait pas long feu. Au procès Benalla, fin septembre à Paris, Ismaël Emelien, ancien conseiller du président français Emmanuel Macron a dû s’expliquer sur une vidéo montée à la hâte en 2018, en riposte à des révélations du Monde. Le quotidien avait identifié sur une première vidéo Alexandre Benalla, le garde du corps du président, en train de s’en prendre violemment à deux manifestants, un brassard de police au bras, lors des manifestations du 1er mai.
Des images des caméras de surveillance de la préfecture de police, extraites illégalement, sont alors remontées au conseiller élyséen qui en a fait un montage donnant à voir une version de l’interpellation des manifestants propre à atténuer les images de l’intervention d’Alexandre Benalla. La vidéo a été transmise à un relais de La République en Marche (LREM), le parti du Président, puis posté sur un compte twitter anonyme, @Frenchpolitics, avant d’être supprimée. Hésitations puis rétropédalage, la manipulation n’a pas duré mais vaut aujourd’hui à son auteur un embarrassant passage devant les juges, en tant que témoin dans l’affaire Benalla.
En France, la désinformation orchestrée ne trouve guère d’espace. Et l’époque facilite encore moins les mensonges, rapidement débunkés par les services de factchekings des médias, les organismes de recherche indépendants et les citoyens. Certains sont même devenus des marronniers qui prêteraient à sourire s’ils ne poursuivaient pas un objectif électoraliste. Il en va ainsi du supposé achat d’écrans plats avec l’allocation de rentrée scolaire versée aux familles par l’Etat.
Dernièrement, c’est le ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, qui est venu agiter le chiffon rouge du dévoiement de l’allocation, avant d’être contredit : ici par plusieurs études de la Caisse d’allocation familiale (CAF) selon laquelle la quasi-totalité des allocataires ont bien acheté des fournitures scolaires, là par l’ancienne ministre de la Santé Agnès Buzin. « Jean-Michel Blanquer s’en est pris aux pauvres pour séduire la droite. Mais c’est mal fait. La stratégie n’est pas viable car le mensonge est vite décrypté. Le ministre en ressort affaibli » analyse Philippe Moreau Chevrolet chez MCBG Conseil.
Certains mensonges peuvent coûter cher. C’est le cas de l’épisode des masques chirurgicaux en pleine pandémie de Covid-19. En 2020, le gouvernement a défendu l’idée de l’inutilité des masques pour la population en général. Sa porte-parole Sibeth Ndiaye affirmait ainsi au mois de mars : « Les Français ne pourront pas acheter de masque dans les pharmacies parce que ce n'est pas nécessaire quand on n'est pas malade. » Le mensonge cachait en réalité une pénurie de masques en France, rapidement révélée par les enquêtes des médias. « L’épisode a détruit la confiance dans l’exécutif, diffusant un sentiment d’incompétence pendant la crise » souligne Philippe Moreau Chevrolet.
Dans un pays où la défiance envers les institutions est déjà élevée, le mensonge aura contribué à nourrir la rhétorique complotiste. Moreau Chevrolet tempère : « Mais quand l’exécutif d’un pays ment, ce n’est pas gratuit. Ce n’est pas par sadisme. Car c’est compliqué de mentir. Concernant les masques, le gouvernement voulait qu’on le laisse travailler dans la sérénité. ». Une fois de plus, l’entourloupe n’a pas résisté aux réseaux sociaux, dans une pandémie globale où les sources d’information dépassaient le seul cadre français.
Une manipulation militante sur les réseaux sociaux
Sur ces mêmes réseaux sociaux, l’astrosurfing – le fait de faire gonfler artificiellement la viralité de certains tweets ou mots-dièse – du parti de la majorité LREM passe, lui, difficilement inaperçu. En avril 2019, Médiapart s’est associé au chercheur en sécurité informatique Baptiste Robert pour analyser le trafic de la communauté LREM sur Twitter, durant un week-end de rassemblement des gilets jaunes et en plein lancement de la campagne pour les élections européennes. Le chercheur relève un coefficient de manipulation du trafic – coefficient qui se base sur la proportion de retweets, le nombre d’actions par utilisateur et la proportion de tweets des 50 comptes les plus actifs – de l’ordre de 16, soit environ deux fois ce qui est observé pour une activité normale. L’enquête, tout en pointant une orchestration du parti, conclu pourtant au faible impact de cette campagne de manipulation.
Le spécialiste des réseaux sociaux Fabrice Epelboin pointe de son côté une catégorie de militants LREM qui agit en roue libre : « Durant la campagne présidentielle, ces militants poussaient tel ou tel message sur les réseaux sociaux et cela se faisait dans la bienveillance. Mais ensuite beaucoup ont été abandonnés en rase campagne. Ils ont vu que leurs messages ne remontaient pas et que LREM servait juste Macron ce qui a généré de la frustration. Cette base a pris une forme d’autonomie. » Ces militants créent ainsi une multitude de comptes twitter et militent sans coordination, dans l’agressivité. Mais ils sautent rapidement, dénoncés comme des comptes haineux.
« L’exploitation des réseaux sociaux par les partis n’est pas nouvelle. Les centristes ont débarqué tardivement mais on a mis des méthodes militantes entre les mains de personnes inexpérimentées. » Ainsi, chez les militants LREM, l’astrosurfing n’a pas encore atteint le niveau d’efficacité du régime autoritaire russe ou chinois, ou des campagnes de Donald Trump. Et la démocratie française résiste encore aux mensonges de ses gouvernants.