Thierry Le Roy et Jens Althoff soulignent une tribune publiée dans La Croix que le programme pour l’immigration de la nouvelle coalition gouvernementale en Allemagne exprime une vision très différente de celle de la France. Côté allemand, la diversité serait réellement « vue comme une richesse, une contribution positive pour nos sociétés ».
Tribune à retrouver ici
Nous ne pouvons qu’avoir de la sympathie pour le rapprochement des politiques d’asile et d’immigration de l’Allemagne et de la France, évoquée dans vos colonnes par le directeur général de l’OFII, Didier Leschi.
C’est un sujet auquel nous avons travaillé ensemble, France Terre d’asile et la Fondation Heinrich-Böll. Dans une première rencontre, en 2018 à l’Assemblée nationale, nous avions pris la mesure de l’organisation allemande pour l’hébergement des demandeurs d’asile, en capacité (sinon toujours en qualité) et en répartition géographique sur le territoire ; la loi française s’en est alors inspirée, et heureusement, même s’il reste du chemin à faire. Ensemble aussi, nous avons ensuite convié d’autres associations et ONG européennes à des rencontres qui ont rapproché nos visions de la politique européenne de l’asile et de l’immigration.
Aujourd’hui, le contrat de coalition du nouveau gouvernement allemand, publié en novembre, nous paraît changer la perspective.
Une vision de l’immigration différente
Non pas parce qu’il opérerait, par plusieurs réformes qu’il annonce, un rapprochement avec la situation en France, et alimenterait ainsi un débat pour savoir si l’accueil des exilés est plus généreux en France ou en Allemagne, en matière d’hébergement, d’accès aux soins, de scolarisation ou de réunification familiale. Didier Leschi estime que la France fait mieux dans l’ensemble que l’Allemagne, ce qui n’est pas notre appréciation.
Mais, d’abord, parce qu’il exprime une vision de l’immigration différente. L’Allemagne de cette coalition – née d’une campagne électorale plus sereine sur cette question que celle qui commence en France – s’assume désormais comme « pays d’immigration moderne », où la diversité est vue comme une richesse, une contribution positive pour nos sociétés, et où le nouveau gouvernement préparera une loi sur le thème « Unifié en diversité ». Dans une logique de migration irrégulière réduite, mais de migration régulière rendue possible. On est loin des propos tenus sur la maîtrise des flux migratoires par les autorités françaises quand elles faisaient face aux fuites mal préparées des Afghans cet été, ou de ceux qui dominent le débat de la campagne électorale en France.
Des perspectives intéressantes pour la France
Ensuite, parce qu’il ouvre, sur la question de l’asile, des perspectives qui devraient intéresser la France.
Les deux pays sont en effet, aujourd’hui, les premiers en Europe par le nombre des réfugiés et des demandeurs d’asile accueillis (presque la moitié de l’UE à eux deux), et sont les plus concernés, à égalité, par les « mouvements secondaires » des déboutés et des « dublinés », qui en font des pays de rebond ou de recours pour les intéressés (dans les deux sens). Ils ont un fort intérêt commun à mettre fin à ces errances, à la fois au plan national (ce qu’annonce la régularisation des « Duldung ») et européen.
Sur ce plan, ce programme du contrat de coalition en Allemagne, qui parle d’une « réforme fondamentale du système européen de l’asile », pourrait même avantageusement inspirer la présidence française par ses justes ambitions : pour une répartition équitable des responsabilités de l’accueil entre les États membres, par une coalition d’États membres prêts à la mettre en œuvre (comme nous le recommandons à France Terre d’asile) ; pour une harmonisation de l’accueil sur des standards élevés ; contre les refoulements illégaux qu’on voit aux frontières de l’Europe (y compris sur la Manche, comme on le sait maintenant) ; contre les aspects du « pacte » proposé par la Commission qui font le plus frémir, l’enfermement des demandeurs d’asile à leur arrivée aux frontières. On est loin de la « réforme » du code frontière Schengen, que la France annonce et que la Commission vient de présenter au Parlement européen pour lutter contre les instrumentalisations de la migration.
Ajoutons qu’avec ce programme, l’Allemagne prend en compte l’état de désunion des États membres de l’Europe sur la question de l’asile, en appelant à aller de l’avant, pour la mise en place d’un système d’asile commun, « au sein d’une coalition d’États membres prêts à contribuer à l’accueil des personnes migrantes ».
Nous pensons donc légitime de poser la question après les annonces, presque simultanées, du programme de la présidence française pour l’Europe : la France est-elle prête pour cela à former des coalitions d’États membres sur de nouvelles bases, voire simplement à en faire partie ?