Mouvement 5 Étoiles : entre revirements politiques et alliances difficiles

Analyse

Engagements perdus, perte de consensus et basculements idéologiques d'un mouvement qui est né en se présentant comme "anti-caste" et s'est peu à peu institutionnalisé.

Beppe Grillo M5S Etna crateri silvestri 13.10.2012

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Les contradictions idéologiques et les revirements politiques apparus au cours du mandat du gouvernement sont nombreuses. L'un des plus grands revirements du M5S concerne l'approche idéologique sur les grands chantiers qui ont toujours été considérés comme le "mal absolu". Le Mouvement 5 Étoiles a revu ses positions parce qu'il soutenait ne pas être en mesure de trouver de solutions alternatives aux projets initiaux. La liaison ferroviaire transalpine Lyon – Turin (TAV) était une œuvre jugée « inutile » et « qui ne sera jamais achevée, parce qu'elle est un gaspillage d'argent et n'apporterait que de la pollution environnementale »[1]. En juillet 2019, le président du conseil Giuseppe Conte a donné le feu vert à l'infrastructure. De la même manière les JO ne pourront pas se tenir à Rome en 2024 suite à l'ostracisme de l’ancienne maire M5S de Rome, Virginia Raggi. Elle avait pointé l’impact urbain trop invasif et pas suffisamment durable des travaux ; pourtant les JO pourront être organisés à Milan et à Cortina en 2026, avec l'aval et le support du même exécutif.

En 2018, Donald Trump a invité le Premier ministre italien Conte à poursuivre la construction du gazoduc Trans-Adriatic Pipeline (Tap) parce qu’il permettrait de diversifier les sources d'approvisionnement et car il permet d’acheminer le méthane des gisements de la mer Caspienne vers les Pouilles, en traversant la Turquie, la Grèce et l'Albanie. Conte et le M5S se sont toujours opposés, par tous les moyens, à la réalisation d'une œuvre qui est aujourd'hui considérée comme stratégique. Pendant des années, le TAP a été critiqué des comités et des communautés locales qui le considèrent comme nuisible ou inutile.

Un autre retournement a concerné la règle des « deux mandats ». L’interdiction du cumul de plus de deux mandats devait s'appliquer à tout type de fonction politique élective et pas seulement aux député·e·s et aux sénateur·rice·s, mais cette règle n’a pas été respectée et cela grâce à l’introduction du « mandat zéro ». Il s'agit d'une règle introduite en 2019 qui permet de contourner la limite de deux candidatures consécutives aux compétitions électorales en ne comptant pas le premier mandat exercé en tant qu'élu.

Dès sa fondation, le Mouvement 5 Étoiles s'est toujours positionné comme le seul mouvement politique qui ne conclurait jamais d'accords ou de coalitions avec un autre parti. Mais après seulement cinq ans au Parlement (2013-2018), les incessants revirements pour ne pas perdre leurs sièges, ont conduit les « grillini » dès le printemps 2018 à entrer au Gouvernement, en s'alliant d'abord avec la Ligue de Salvini, pour former le premier Gouvernement Conte, et en s'alliant seulement un an plus tard avec le Parti Démocrate d'Enrico Letta pour former le deuxième Gouvernement Conte. Pourtant les deux partis alliés ont été des adversaires féroces pendant plusieurs années. Mais Beppe Grillo, non content de toutes ces péripéties politiques, a imposé à l'hiver 2021 député·e·s et aux sénateur·rice·s du M5S de soutenir l'exécutif dirigé par Mario Draghi, dans lequel figuraient toutes les forces politiques contre lesquelles le M5S s’était opposé.

Concernant les droits, il est également curieux de voir comment Giuseppe Conte a abordé la question des droits civils. Dans le programme électoral avec lequel le Mouvement 5 Étoiles s'est présenté aux électeurs en 2022, il est question de « l'extension de la possibilité d'adoption aux célibataires et aux couples de même sexe, pour lesquels l'accès à l'institution du mariage laïque et civil (mariage égalitaire) doit être ouvert ». Pourtant, un an plus tôt, Giuseppe Conte était plutôt réticent à l’égard du « projet de loi Zan »[2] et le Mouvement 5 Étoiles s'était abstenu en 2016, lorsque le Parlement a voté la mesure, connue sous le nom de « loi Cirinnà », sur l'établissement en Italie d’unions civiles entre personnes de même sexe.

Perte de consensus, alliances difficiles et perspectives pour les élections européennes 2024

Aujourd'hui, le M5S connaît une crise de consensus au niveau local et national. Lors du vote du 25 septembre 2022, les voix du M5S ont diminué de plus de moitié par rapport à 2018. Comme le montrent les données d'Ipsos Italie, moins d'un tiers des électeur·rice·s de 2018 ont confirmé leur vote quatre ans plus tard pour le parti dirigé cette fois par Giuseppe Conte. Un quart s'est réfugié dans l'abstention et un électeur·rice sur six a choisi Fratelli d'Italia. Malgré cette tendance, le M5S, considéré comme affaibli par ses années de gouvernement et une grave crise interne, a obtenu 15,43 % des suffrages pour la Chambre des députés et 15,55 % pour le Sénat. Il a également réussi à conserver ses bastions historiques : il est le premier parti dans plusieurs régions du Sud marquant de nouveau le clivage entre le Nord et Sud du pays qui a émergé en 2018. Ses meilleurs résultats ont été obtenus à Naples où, dans deux circonscriptions, il a dépassé 40 % des suffrages. On a pu observer une relation entre le vote M5S dans le Sud du pays et la situation de malaise social et économique au niveau local. La réponse apportée par le M5S à la condition de précarité économique du Sud consiste dans le Revenu de citoyenneté, c’est-à-dire l’allocation d’aides économiques destinées à compléter les revenus familiaux des ménages modestes. Cette mesure peut avoir produit une forme de consensus électoral auprès d’une certaine partie de la population. En effet, dans le Mezzogiorno la condition économique des citoyen·ne·s est plus mauvaise, avec un revenu moyen par habitant·e de 19 000 euros, soit près de la moitié de celui du Nord. Et c’est dans le Sud que ces aides financières ont été le plus largement distribuées. Dans le Nord, Fratelli d’Italia a réalisé une percée importante, lui permettant de se substituer à la Lega de Matteo Salvini.

À ce jour, la présidence d’aucune région n'a jamais été remportée par le parti fondé par Grillo, et cette tendance a été réaffirmée lors des dernières élections régionales. En février 2023, avec la victoire dans le Latium de Francesco Rocca, soutenu par une large coalition comprenant également Fratelli d'Italia, Lega et Forza Italia, quinze régions italiennes ont désormais un gouverneur du centre-droit, tandis que quatre sont gouvernées par le centre-gauche. Les voix obtenues par le M5S confirment une tendance négative : lors des élections en Lombardie, les Cinq Étoiles ont chuté de 7,5 % à un faible 5 %, tandis que dans le Latium, le parti de Conte est arrivé en troisième position, juste au-dessus de 10 %.

Lors des élections municipales de 2021, Turin et Rome, deux villes stratégiques gouvernées par le M5S, sont passées au Parti Démocrate.

En ce qui concerne le consensus politique actuel, au cours de la deuxième semaine de mars 2023, le M5S est le troisième parti du pays (données Ipsos Italie): Fratelli d'Italia de Giorgia Meloni reste stable à 30,3 %, suivi par le PD à 20,4 % (+0,6 % par rapport à la semaine précédente) et le Mouvement 5 Étoiles à 15,3 % (-0,8 %).

La véritable question clivante, celle qui ne permet pas la création d'un véritable " champ large" d'opposition, est l'aide militaire à l'Ukraine

Au sein de ce nouveau paysage politique, l'équilibre des alliances entre les deux partis d'opposition au gouvernement Meloni, le Parti Démocrate et le M5S, semble encore difficile à construire. En effet, l'élection d'Elly Schlein à la tête du Parti Démocrate a secoué ses anciens alliés : après trois ans d'alliance avec la Ligue puis avec le PD, le M5S a basculé dans le camp progressiste et mis l'accent sur la protection sociale, la protection de l'environnement et les droits.

Pour l'heure, les fronts communs de l'opposition sont l'adoption d'un salaire minimum - proposition sur laquelle il n'y a toujours pas de synthèse collective - et la demande de clarté de la part du gouvernement sur la dynamique du massacre de Cutro. Le naufrage d'un bateau de migrants à quelques kilomètres de la côte de Crotone a entraîné la mort de 86 personnes et l'ouverture d'une enquête sur les opérations de sauvetage de la Guardia di Finanza et des garde-côtes.

Cependant, la véritable question clivante, celle qui ne permet pas la création d'un véritable " champ large" d'opposition, est l'aide militaire à l'Ukraine. Sous la nouvelle direction d'Elly Schlein, les démocrates réitèrent la ligne de soutien à l'Ukraine et son droit à l'autodéfense, pour une intensification de l'engagement diplomatique de l'Europe en faveur de la paix, l'accusation contre la Russie pour l'agression et la demande de continuer à se concentrer sur son isolement. Giuseppe Conte s'est opposé à cette ligne en se déclarant préoccupé par "cette escalade militaire" qui "n'est pas la solution". Concernant l'envoi d'armes à l'Ukraine, pour M. Conte, le gouvernement doit "assumer la responsabilité d'un effort diplomatique, dans le cadre de l'UE, avec les autres alliés. Il faut que quelqu'un fasse un changement de cap et nous voulons que ce soit l'Italie".

Reste à savoir si les points de confrontation entre PD et M5S, possibles alliés à gauche, se multiplieront à l'avenir. En 2017, Elly Schlein avait attaqué la Ligue et le M5S lors de son passage au Parlement européen[3]. Ces deux partis étaient en effet opposés au projet de réforme du règlement de Dublin qui fixe le principe du pays de première entrée des migrants, c'est-à-dire la disposition qui laisse de facto la charge de l'accueil sur les épaules des États de l'UE de première arrivée.

Outre le front intérieur, il y a celui des élections européennes de 2024. Giuseppe Conte s'est rendu à Strasbourg le 8 mars pour rencontrer le groupe des Verts/Ale et les convaincre d'ouvrir leurs portes en vue des élections de l’année prochaine. Pour l'instant, aucun accord n'a été conclu, mais les Verts italiens affirment déjà que les positions du M5S "ne coïncident pas avec celles des Verts européens, dont nous partageons la prudence".


[2] Le projet de loi Zan, du nom de son auteur, le député PD Alessandro Zan, prévoit de renforcer les sanctions contre les crimes et les discriminations à l'encontre des homosexuels, des transsexuels, des femmes et des personnes handicapées. Cette proposition a suscité un débat public en Italie et exacerbé les divisions au sein du parlement et de l'ensemble de l'échiquier politique.