La politique étrangère féministe allemande - Discours de Luise Amtsberg

Discours

Le gouvernement fédéral allemand a présenté sa stratégie de politique étrangère féministe en le 1er mars 2023. Cette stratégie en dix points a été évoquée par Luise Amtsberg, Déléguée du gouvernement fédéral pour la politique des droits de l'homme et l'aide humanitaire, lors du colloque  "La Politique Etrangère Féministe : des ambitions aux actions" du 6 avril 2023 organisé par le bureau de Paris de la Fondation Heinrich Böll et l'association Women In International Security - WIIS France. 

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Mesdames et messieurs,

Cher·ère·s organisateurs·trices, participant·e·s et invité·e·s,

Je souhaite tout d’abord adresser mes remerciements à Women in International Security et au Bureau de Paris de la Fondation Heinrich Böll pour avoir organisé cette conférence sur un sujet d’une telle importance et pour m’avoir invitée à en prononcer le discours d’introduction.

Je voudrais également remercier les intervenant∙es qui m’ont précédé, Jessica Pennetier et Marc Berthold, ainsi que Son Excellence l'Ambassadeur Lucas, d’avoir abordé les nombreux enjeux et défis importants de notre temps.

Je tiens en outre à vous remercier toutes et tous pour votre présence aujourd’hui, pour votre travail et votre engagement en faveur d’une politique étrangère féministe ainsi que pour votre volonté de toujours aller de l’avant et pour le meilleur, même lorsque le maintien du statu quo s’avère déjà difficile et face aux innombrables crises actuelles.

Mes derniers remerciements vont à la société civile féministe, aux practicien∙ne∙s et militant∙e∙s, aux journalistes et aux défenseur·e·s des droits de l'homme, au personnel humanitaire et aux membres d’ONG. Comme dans beaucoup d’autres domaines vitaux, vous jouez un rôle moteur dans le mouvement féministe et dans la promotion des valeurs d’égalité, d’inclusion et de respect. J’ai énormément d’admiration pour votre travail.

Lorsque j’ai pris mes fonctions il y a 15 mois, l’un des premiers e-mails que j’ai reçus du public me reprochait de vouloir exclure les hommes de mon travail en faveur des droits humains. Tout cela parce que j’ai annoncé, dès ma nomination, que j’avais l’intention de faire de la politique étrangère féministe une ligne directrice de mon action.

J’accepte les critiques, bien sûr, mais là n’est pas la question : ce message –  écrit par un homme, pour être précise – démontre que la politique étrangère féministe faisait et continue de faire l'objet d'un problème de perception. Or, cette politique n’EX-clut absolument personne. Il s’agit d’une approche IN-clusive, peut-être la première du genre jamais conçue.

Cette politique aspire à montrer au grand jour les expériences, les crises, les voix et – trop souvent – les cas de violence que la politique étrangère et de sécurité traditionnelle a tendance à cacher ou à étouffer. J’estime que la possibilité de rendre visible ce qui est caché et de faire entendre les voix enfouies est l’une des pierres angulaires de la politique étrangère féministe.

Comme l’a rappelé Monsieur l’Ambassadeur Lucas, le ministère fédéral des Affaires étrangères allemand a lancé nos lignes directrices en matière de politique étrangère féministe le 1er mars. Je me félicite que notre brillante ministre des Affaires étrangères, Annalena Baerbock, ait pris cette initiative et placé ce thème au cœur de ses priorités.

À cet égard, je souhaite insister sur l’importance de la mise en œuvre de ces principes directeurs : en Allemagne, comme ailleurs dans le monde, le terme « féministe » fait actuellement l’objet de débats. Pourquoi ne pas utiliser un autre mot ? Ce terme n’est-il pas trop clivant ?

Mais comme le dit si bien la formidable Chimamanda Ngozi Adichie, « le féminisme fait bien sûr partie des droits humains en général, mais choisir d'utiliser l'expression vague des droits humains, c'est nier le problème spécifique et particulier du genre ».

À l’appui de sa définition, elle n’hésite pas à évoquer sa propre expérience familiale :

« Mon arrière-grand-mère était féministe, d’après ce qu’on m’a raconté. Elle s’est enfuie de la maison de l’homme qu’elle ne voulait pas épouser et s’est mariée avec la personne de son choix. Elle a refusé, protesté, pris la parole chaque fois qu'elle sentait qu'elle était privée de terre et d'accès parce qu'elle était une femme. Elle ne connaissait pas le mot “féministe”. Mais cela ne veut pas dire qu'elle n'en était pas une. Nous devrions être plus nombreuses à prendre possession de ce terme ».

Adichie a raison. Nous devrions reconquérir ce mot. C’est pourquoi je suis fière que notre gouvernement ait décidé de brandir ce terme, parfois dérangeant, pour décrire les contours de la politique étrangère que nous entendons mener.

Les dix lignes directrices qui dessinent actuellement le cadre d’action de la politique étrangère féministe de l’Allemagne ont été élaborées en coopération avec des partenaires internationaux et le personnel du ministère fédéral des Affaires étrangères ainsi qu’à travers des discussions avec la société civile.

Elles ont à la fois une dimension externe – en orientant la façon de conduire la politique étrangère féministe – et interne – en indiquant les changements à effectuer pour inclure davantage l’égalité des chances, la diversité et l’inclusion au sein du ministère fédéral des Affaires étrangères allemand.

Mais je n’ignore pas que derrière les réactions positives suscitées par l’initiative du ministère, cette dernière a également soulevé quelques critiques de la part de la société civile féministe en Allemagne.

Ces critiques ont porté à la fois sur le processus d’élaboration des lignes directrices, en concertation avec la société civile, et sur leur contenu même qui reste parfois en deçà des attentes. Force est donc de constater que malgré les meilleures intentions du monde, nous avons encore beaucoup à apprendre, notamment sur la façon d’intégrer les voix des pays du Sud.

Je tiens d’ailleurs à insister sur ce point : j’accepte très volontiers ces critiques. Les approches en matière de politique étrangère féministe sont loin d’être parfaites et il serait contre-productif d’affirmer le contraire.

Je suis convaincue à cet égard que la politique étrangère féministe nécessite que l’on soit à l’écoute de toutes les voix, y compris au niveau des prises de décisions, pour progresser en permanence à travers l’analyse critique. L’esprit d’ouverture, la transparence et l’inclusion sont des valeurs féministes fondamentales qui, à ce titre, doivent faire partie du processus à l’avenir.

Nos lignes directrices ne sont ni figées ni immuables. Elles constituent un concept vivant requérant une évaluation et une adaptation permanentes. Nous aspirons à renforcer cette politique étrangère féministe à travers le dialogue, les débats et les échanges critiques avec la société civile, les citoyen·ne·s et nos partenaires internationaux. Et nous devons aussi nous poser en toute honnêteté la question des limites de cette politique : elle est absolument fondamentale, certes, mais elle ne mettra pas un terme par elle-même à la violence faite aux femmes ni ne fera tomber les régimes où règnent la discrimination et la misogynie. Elle peut alimenter et façonner notre analyse, orienter notre action et servir de système d'alerte précoce pour identifier les prochaines crises.

Il est de mon devoir, en tant que Déléguée du gouvernement allemand à la politique des droits humains et à l’aide humanitaire, de servir d’intermédiaire entre le gouvernement et la société civile. Je prends ce rôle très au sérieux.

Je suis donc honorée, dans le cadre de la politique étrangère féministe de l’Allemagne, de contribuer au suivi et à l'évaluation de la mise en œuvre de certains aspects des lignes directrices.

L’Ukraine, l’Afghanistan, l’Iran et les femmes en tant qu’actrices du changement

Les nombreuses crises politiques et militaires font ressortir encore plus clairement l'importance de réfléchir aux valeurs essentielles, soulignant combien il est crucial d’adopter une perspective holistique et le besoin urgent d'une politique étrangère féministe.

Je me suis rendue en Ukraine au début de l’année. J’ai d’abord accompagné notre ministre des Affaires étrangères à Kharkiv, puis j’ai visité Kiev. J’ai vu les innombrables destructions de mes propres yeux et entendu la souffrance que les Ukrainien·ne·s endurent au quotidien.

Les professeur·e·s qui enseignent dans des abris, les médecins et le personnel hospitalier qui partent se réfugier avec leurs patient·e·s à chaque son de sirène, puis refont surface une fois le danger écarté…

J’ai visité un centre pour personnes victimes de violence familiale qui, depuis le déclenchement des hostilités, propose également des soins psychotraumatologiques aux victimes de guerre. Ainsi qu’une ONG queer, qui met désormais les bouchées doubles pour faire face à la violence omniprésente.

La guerre contre l’Ukraine n'a pas les mêmes conséquences pour les femmes et les hommes, notamment en raison du service militaire obligatoire pour ces derniers.

Pour comprendre pleinement toute l'horreur de la guerre, nous devons aussi avoir conscience qu’il ne s’agit pas seulement d’opérations militaires et de traumatismes subis par les combattant∙e∙s. Il s’agit aussi de violence sexuelle contre les femmes et les enfants. Il s’agit de fournir des soins de santé génésique aux personnes ayant survécu à la violence sexuelle, parce que ces atrocités continuent à imprégner la société pendant plusieurs générations.

Mais cela implique également de se montrer vigilant·e sur les réponses apportées par nos pays respectifs : l’Allemagne, par exemple, n’en fait pas encore assez en matière de soutien psychosocial ou de soins de santé sexuelle et génésique pour les personnes réfugiées et ayant survécu à la violence sexuelle. Mais ces aspects fondamentaux concernent le long terme !

Voilà précisément ce que j’entends par visibilité : si nous ne prenons pas en compte les expériences de violence subies par les femmes et les enfants en temps de guerre, nous ne pourrons pas avoir une vision complète de la situation ni ne serons en mesure d’aider les réfugié·e·s à panser leurs plaies et à se reconstruire.

En Afghanistan, les droits des femmes ont pratiquement disparu depuis le retour des Talibans au pouvoir. Ces derniers, en effet, ont presque entièrement écarté les femmes de la vie publique, les empêchant de fréquenter les lycées et les universités, ou même de se promener dans un parc (des activités que nous considérons comme allant de soi dans la plupart des autres régions du monde).

La crise afghane est avant tout une crise des droits des femmes. Ici encore, nos réponses sont vouées à l’échec tant que cette réalité ne sera pas rendue visible et placée au cœur de nos préoccupations.

L’interdiction faite aux femmes de travailler dans des organisations internationales et humanitaires n’est pas seulement un frein à leur participation sur le lieu de travail. Cela signifie surtout que la quasi-totalité de l’aide destinée aux femmes ne leur parvient pas.

Or, elles seules peuvent garantir que les femmes reçoivent cette aide en Afghanistan. Le fait de les interdire de travailler ne fera donc qu’empirer la crise humanitaire dans ce pays.

En Iran, les autorités répriment dans la violence les aspirations légitimes de liberté et de participation équitable de leur peuple.

Les rapports sur la violence sexuelle systématique dans les prisons iraniennes et sur la torture des enfants – qui s'inscrivent dans une stratégie délibérée de saper la détermination des manifestant·e·s à lutter pour un avenir meilleur – sont terrifiants.

Ici aussi, les femmes et les enfants issus de minorités ethniques et de groupes victimes de discriminations souffrent le plus.

La liste est longue, mais je m’arrête à ces quelques exemples qui nous rappellent combien l’égalité de genre et l’inclusion sont indispensables à l’établissement de sociétés pacifiques et équitables. Mais nous en sommes encore loin.

Les droits des femmes sont un bon indicateur de l’état de nos sociétés. Celles-ci ne peuvent pas se développer pleinement tant que les femmes et les groupes marginalisés font systématiquement l’objet de discrimination.

Les sociétés jouissant de droits équitables sont plus paisibles, stables et prospères sur le plan économique. Mais la réalité est malheureusement bien différente et, presque partout, les genres ne sont pas toujours traités sur un pied d’égalité. L’Allemagne n’échappe pas à la règle.

Nous savons bien que les conflits accablent les femmes de manière disproportionnée. Mais nous savons aussi qu’elles peuvent être de puissantes actrices du changement afin de les prévenir et d’y mettre fin.

Les femmes que j’ai rencontrées en Ukraine, les professeures, médecins, membres d’ONG et psychologues m’ont montré plus de force que de souffrance, plus d’espoir que de désespoir.

De même, les femmes d’Afghanistan et d’Iran font preuve d’un immense courage face à la répression de leurs revendications.

Je ne vois pas en elles des victimes d’injustice. Ce sont des femmes qui luttent pour la liberté et qui m’inspirent en tant qu’actrices du changement.

Leur combat pour faire bouger les choses, face à tant de discrimination, voire de violence, force l’humilité et le respect.

Mais tout cela montre également que les stratégies des gouvernements, aussi importantes soient-elles, ne remplacent pas le travail des femmes (et des hommes) courageux·ses qui luttent sur le terrain pour défendre leurs droits, faire entendre leur voix et témoigner de leur expérience.

Idéalement, les politiques gouvernementales telles que la nôtre peuvent accompagner et aider ces personnes et ces mouvements, qui sont de véritables sources d’inspiration.

Les trois axes des lignes directrices : droits, ressources et représentation

Notre analyse met l’accent sur l’importance d’une approche inclusive pour apporter de la visibilité à chaque expérience. Comment avons-nous, sur le plan conceptuel, traduit les conclusions de cette analyse en lignes directrices ?

Nous sommes intimement convaincu·e·s que toutes les personnes doivent bénéficier des mêmes droits, des mêmes libertés et des mêmes chances.

La politique étrangère féministe consiste donc à consolider les trois axes suivants : droits, ressources et représentation des femmes et des groupes marginalisés dans le monde entier. Certes, ces valeurs fondamentales font déjà partie de notre politique étrangère, mais nous souhaitons désormais les approfondir et les renforcer, intégrer l’égalité de genre et l’inclusion dans l’ensemble de notre action extérieure, y compris dans les domaines qui y avaient échappé jusqu’à présent.

Les droits constituent le premier axe. Bien qu’une majorité de pays se soit engagée, du moins en théorie, à supprimer toute forme de discrimination contre les femmes, l'inégalité devant la loi et dans la pratique demeure partout une réalité dramatique.

Selon une étude d’ONU Femmes, 600 millions de femmes vivent dans des pays où la violence conjugale n’est pas sanctionnée. 600 millions de femmes qui n’ont même pas la possibilité de recourir à la justice quand elles se font agresser chez elles. Pour préserver les droits de chacun·e, il faut que tout le monde soit impliqué dans la prise de décision à tous les niveaux.

C’est pourquoi la représentation, le deuxième axe, revêt une grande importance. Tous les genres et tous les groupes faisant partie de la société doivent participer pleinement à la vie publique, de manière significative et sur un pied d’égalité, et à chaque stade des processus décisionnels. L’Allemagne doit aussi rattraper son retard à cet égard. À titre d’exemple, les femmes représentantes élues sont moins nombreuses que les représentants hommes dans la plupart des conseils municipaux. En Asie, leur pourcentage de représentation va de 1,6 % au Sri Lanka à 31 % au Pakistan.

Notre propre ministère fédéral des Affaires étrangères est à la traîne, avec seulement 27 % des Ambassades à l'étranger dirigées par des femmes et avec 50 % d’employées femmes en moyenne. Seul un tiers des député·e·s du Bundestag sont des femmes. D’autres pays font beaucoup mieux et nous montrent le chemin à parcourir. Au Rwanda, par exemple, 61 % des parlementaires sont des femmes. Mais il faut aussi reconnaître que le Rwanda est le seul au monde où le parlement est constitué par une majorité de femmes. La politique étrangère féministe  veut aussi rendre cette réalité visible.

Les ressources enfin, sont le troisième axe des lignes directrices. Elles sont à la fois une condition et une conséquence (idéalement) de la représentation paritaire. Le besoin de ressources spécifiques au genre est immense : chaque budget, chaque promotion d’investissements étrangers et chaque paquet de mesures climatiques doivent faire l’objet d’une analyse d’impact sur le genre.

Nous ne demandons pas qu’un traitement spécial soit réservé aux femmes, mais que tous les genres bénéficient d’une égalité d’accès aux mêmes ressources.

Les lignes directrices dans la pratique 

Examinons à présent la façon dont les droits, les ressources et la représentation se traduisent dans la pratique.

La politique étrangère féministe met l’accent sur les expériences des êtres humains en matière de sécurité, indépendamment de leur origine, croyance, capacité, orientation sexuelle ou identité de genre.

Cela rend visible des communautés marginalisées qui sont la cible de violences et qui ont été ignorées, jusqu’à trop récemment, par les processus traditionnels d’analyse de sécurité.

« Personne ne sera en sécurité tant que les femmes ne seront pas en sécurité » : cette phrase prononcée par une femme ukrainienne est au cœur des nombreux défis qui secouent le monde entier.

Ce qui était considéré autrefois comme des « problématiques liées aux femmes » est aujourd’hui pleinement intégré dans toutes les définitions contemporaines de la sécurité, qui s’appuient davantage sur la sécurité humaine que sur la seule dimension militaire.

Loin d’affaiblir ou d’amenuiser les affaires étrangères et, surtout, la politique de sécurité, elle les consolide. Toute approche plus globale tend presque naturellement à se renforcer.

Notre politique étrangère féministe vise à intégrer une perspective de genre et un modèle inclusif dans tout ce qui est entrepris.

C’est ce que nous entendons par « intégration » (« mainstreaming » dans le discours original): la politique étrangère féministe n’est ni isolée ni séparée des autres politiques.

Il s’agit d’une approche politique transversale, un prisme au travers duquel nous observons le monde.

Sur un plan politique, cela peut se traduire par une volonté de prôner un langage inclusif, progressiste et, si possible, propice à faire évoluer favorablement la question du genre ; à travers la représentation des femmes dans des conférences et des négociations de paix ; et en permettant à ces dernières et aux groupes marginalisés d’accéder aux prises de décisions.

Qu’entendons-nous par-là ? Dans les cas de violence sexuelle dans des situations de conflit, par exemple, nous devons élargir notre champ de vision pour ne laisser personne sur le côté. Ainsi lorsque l’on évoque « tou·te·s les survivant·e·s », c’est de tous les genres dont on parle. Les systèmes judiciaires ont souvent tendance à aborder les questions de justice et de responsabilité de façon binaire.

Il est essentiel de briser le tabou des survivant·e·s issu·e·s de tous les genres. Pour les survivant·e·s LGBTQIA+, non binaires et transgenres, en particulier, les possibilités d’accéder à la justice et d'avoir leurs besoins pris en charge sont encore, pour la plupart, très rares.

Ici aussi, rendre visible le vécu de ces groupes marginalisés est au cœur de notre démarche. Faire entendre leur voix fait partie intégrante de la politique étrangère féministe.

Il apparaît clairement que nous ne devons pas nous contenter de veiller à répondre aux besoins des survivant·e·s en matière de justice et de responsabilité, nous devons placer les survivant·e·s eux/elles-mêmes au cœur de toute approche en matière de justice et de responsabilité.

Nous devons les laisser s’exprimer par eux/elles-mêmes autant que possible. Et nous devons accepter la réalité de leur genre.

Sur un plan financier, cela signifie que notre financement bénéficiera à l’ensemble des genres, sur la base d’une analyse des disparités entre ces derniers, en tenant compte de l’égalité de genre dans les échanges avec nos partenaires opérationnels et en soutenant autant que possible les programmes visant à faire évoluer favorablement la question du genre.

L’un des principaux moyens pour garantir l'égalité d'accès à nos ressources est un budget « sensible au genre ». Tout simplement car cette approche crée davantage de transparence.

Si nous comprenons mieux qui sont les bénéficiaires et la manière dont les fonds sont utilisés, cela mènera a plus de clarté et plus d’efficacité dans l’utilisation de nos ressources.

C’est pourquoi nous avons l’intention, d’ici à 2025, de destiner 85 % de notre financement à des projets sensibles à la dimension de genre et 8 % à des projets visant à faire évoluer favorablement les inégalités de genre.

Il faut toujours faire preuve d’autocritique à l’égard de notre façon de faire et de nos structures. Ce principe, auquel je tiens depuis toujours, sous-tend nos démarches liées aux objectifs extérieurs et permet précisément de faire face aux critiques.

Cela vaut aussi pour notre politique étrangère féministe qui a donc, je le rappelle, deux dimensions : externe et interne.

La dimension externe couvre l’ensemble des secteurs de la politique étrangère allemande : la politique en matière de paix et de sécurité, l'aide humanitaire et la gestion des risques, la politique des droits de l'homme et la diplomatie climatique.

En interne, la politique étrangère féministe cherche à rendre nos structures et nos procédures plus inclusives.

Cela passe non seulement par davantage de représentation des femmes et des groupes marginalisés au sein de la diplomatie, comme je l’ai mentionné ci-dessus, mais aussi par une approche plus inclusive des conditions de travail du personnel, du processus de sélection et, bien sûr, des mécanismes de formation et de recours au sein du ministère.

Toute politique étrangère se voulant crédible et fondée sur des valeurs doit se nourrir d’une autoréflexion critique.

Reconnaissons aussi en toute honnêteté que de nombreuses autres questions liées à l’égalité de genre doivent encore être résolues en Allemagne, si l’on veut apporter de la crédibilité à la politique étrangère féministe. En effet, les inégalités de revenus salariaux entre hommes et femmes s’y élèvent à 18 %, un taux considérablement supérieur à la moyenne de l’UE (13 %).

J’ai mentionné précédemment la représentation insuffisante de femmes au sein du Bundestag et du ministère fédéral des Affaires étrangères. Lorsqu’il s’agit de l’accès des femmes à des fonctions de direction le ministère fédéral des Affaires étrangères est l’un des pires ministères du gouvernement allemand. Nous n’atteindrons d’ailleurs certainement pas le taux de participation des femmes à des postes de responsabilité légalement requis d’ici à 2025.

Nous devons également faire preuve de franchise et de transparence à cet égard. Le temps est venu de ne plus se contenter de paroles mais de se décider enfin à avancer.

Les lignes directrices dans la pratique : la dimension externe

La dimension externe implique de renforcer la position des femmes pendant et après les conflits : aucune paix durable n’est possible sans égalité des chances, sans participation et sans pouvoir de décision.

Nous appliquons ces concepts dans différentes situations, comme au Yémen, par exemple. Nous y avons créé un groupe de coordination où des femmes viennent en aide à leurs congénères vulnérables, pour accroître la sensibilisation à l’aide humanitaire et au développement durant le conflit qui sévit dans ce pays.

Il s’agit du programme « Les femmes, la paix et la sécurité », dont vous avez sans doute déjà entendu parler. Bien qu’elle ne soit pas parfaite, cette initiative illustre clairement la façon dont une politique étrangère féministe peut fonctionner dans la pratique.

Aucune paix n’est possible sans les femmes. En tout cas pas une paix durable et inclusive. Des études et la réalité nous démontrent que l’on obtient plus rapidement un processus de paix et que celui-ci dure plus longtemps lorsqu’il est inclusif.

La participation des femmes aux négociations accroît les chances de parvenir à un accord. Selon l’« Étude mondiale sur la mise en œuvre de la résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations Unies », réalisée par ONU Femmes (UN Women), les processus auxquels les femmes participent pleinement affichent une hausse de 20 % de la probabilité de parvenir à un accord de paix.

Une réelle égalité des chances est toutefois impossible sans que l’on ne tienne compte de l’intersectionnalité et des multiples formes d’inégalité. Les personnes les plus discriminées sont souvent les plus vulnérables.

Prenons l’exemple du changement climatique, l’un des plus grands défis de notre temps. En période de sécheresse, les femmes sont habituellement celles qui doivent s’aventurer à effectuer de longues distances pour tenter de trouver de l’eau, ce qui les expose à un risque accru de violence sexuelle. En 2021, quatre personnes sur cinq ayant dû fuir leur foyer en raison de catastrophes climatiques étaient des femmes.

Les femmes et les enfants réfugié∙e∙s sont davantage victimes de violence sexuelle et d’exploitation. Les enfants perdent accès à l'éducation et tous les avantages qui en découlent. Selon diverses études de l’OCDE, les femmes sont plus souvent touchées par la pauvreté énergétique. D’autres études montrent que les femmes sont beaucoup plus susceptibles de décéder à la suite de désastres climatiques.

Ces inégalités et ces vulnérabilités doivent être reconnues comme telles. Les femmes, après tout, ne sont pas que des victimes de la crise climatique. Elles jouent surtout un rôle essentiel dans la lutte contre celui-ci. Mais dans le même temps, force est de constater qu’elles sont sous-représentées dans les négociations relatives à l’action pour le climat et aux mesures d’atténuation.

Cela a présenté un intérêt particulier pour l’Allemagne, en sa qualité de coprésidente de la Commission de la condition de la femme en 2022. Je me réjouis à cet égard que les États membres aient adopté, pour la toute première fois, des mesures concrètes pour promouvoir les droits des femmes dans le cadre de la lutte contre le changement climatique. La politique étrangère féministe peut également être mise en œuvre par le biais d’autres mesures tangibles : garantir une représentation paritaire à des discussions bilatérales et multilatérales, à des négociations de paix ou à des conférences comme celle d’aujourd’hui, fournir des abris en Irak, faire pression sur les Talibans ou reconnaître les droits fondamentaux des femmes afghanes. La politique étrangère féministe, c’est aussi aider une ONG népalaise qui fournit des conseils aux survivant·e·s de violence sexuelle, par exemple, ou apporter un soutien à des réseaux de femmes expertes dans les questions de désarmement et de maîtrise des armements.

Dans ce contexte, je souhaite souligner à nouveau combien notre politique étrangère dépend de nos partenaires, en particulier ceux de la société civile.

Avant de conclure, je voudrais revenir à l’idée de visibilité, de rendre visible ce qui était caché et de rendre ce qui était autrefois le silence entendu.

Ce concept de visibilité est essentiel si l’on prend l’exemple de l’Iran. Le gouvernement allemand est souvent critiqué au prétexte que la situation iranienne prouve que la politique étrangère féministe ne fonctionne pas. Mais je pense le contraire.

Nous mettons en avant la perspective féministe qui émane de ces manifestations, qui rend les expériences marginalisées visibles et fait résonner la voix des femmes dans un esprit de solidarité.

Cela nous a conduit à modifier fondamentalement notre politique vis-à-vis de l’Iran. À titre d’exemple, nous avons mis fortement l’accent sur la violence de genre dans la résolution du Conseil des droits de l'homme sur l’Iran, que l’Allemagne a présenté en novembre dernier.

Nous remercions nos partenaires, au sein du Conseil, qui ont apporté leur soutien à cette résolution décisive. Et c’est le chemin à suivre.

Ce n’est pas parce que le régime s’obstine que la politique étrangère féministe a échoué.

C’est le genre de discours dont se sert le patriarcat pour essayer de remettre en cause la politique étrangère féministe et nous ne pouvons pas laisser faire cela.

Concernant la conférence d’aujourd’hui, je suis particulièrement satisfaite que la politique étrangère féministe soit abordée d’un point de vue franco-allemand et européen.

Nous aspirons en effet à forger une alliance mondiale pour établir et mettre en œuvre la politique étrangère féministe dans toutes les régions du monde. En collaborant et en échangeant leurs idées et leurs expériences, les États peuvent apprendre les uns des autres.

Les États qui ont déjà adopté une approche féministe, voire une politique étrangère ouvertement féministe, l’ont fait de différentes façons. Et c’est précisément cette diversité de méthodes qui devrait permettre un échange d’idées et de pratiques afin de progresser ensemble en tant que communauté. Nous devons pouvoir compter sur le plus grand nombre pour que notre politique étrangère féministe soit un succès.

Nous nous devons d’apporter notre soutien aux réseaux dont les leaders de tous bords et de toutes les couches de la société échangent ensemble leurs points de vue et s’efforcent de trouver des solutions.

Je me réjouis donc spécialement du soutien de l’Allemagne au Réseau des femmes leaders africaines, depuis sa création en 2017, et à UNIDAS, en Amérique Latine et dans les Caraïbes.

Nous ne parviendrons à résoudre les grands défis de notre temps – de la résolution des conflits à la lutte contre la crise climatique – que si toutes les personnes peuvent contribuer ensemble à forger des solutions.

C’est dans cet esprit que je vous souhaite une bonne journée de conférence. Je suis impressionnée par la diversité des voix et des expert·e·s réuni·e·s pour les différentes sessions, dans les ateliers et parmi le public. Maintes discussions fructueuses s’ensuivront, j’en ai la certitude.

Je vous remercie de votre attention.