A moins de trois semaines des élections en Allemagne, le match semble n'être plus entre Angela Merkel et Martin Schulz, la Chancelière ayant une avance de 15 points dans les sondages, mais entre les petits partis pour emporter la troisième place et se poser en incontournable pour la formation de la prochaine coalition.
A moins de trois semaines des élections en Allemagne, le match semble n'être plus entre Angela Merkel et Martin Schulz, la Chancelière ayant une avance de 15 points dans les sondages, mais entre les petits partis pour emporter la troisième place et se poser en incontournable pour la formation de la prochaine coalition.
Moment clé de la campagne électorale en Allemagne, le débat télévisé entre Angela Merkel et Martin Schulz dimanche dernier a suscité en premier lieu une réaction quasi-unanime de la part des médias et des experts : la déception. Ces derniers estiment avoir assisté à un dialogue entre deux partenaires, à une sorte de négociation avancée entre les deux partenaires de la grande coalition plus qu’à un duel politique. Il a été difficile pour le candidat de tête du SPD (sociaux-démocrates), Martin Schulz, de marquer ses différences et d’expliquer en quoi un gouvernement placé sous sa direction changerait profondément la politique en Allemagne. Il semble que Martin Schulz se trouve dans une impasse stratégique face à Angela Merkel : le parti dont il est le président, le SPD, gouverne depuis 2013 au sein d’une grande coalition avec les conservateurs de la CDU et CSU (la branche bavaroise des conservateurs), la même coalition qui était au pouvoir entre 2005 et 2009. La Chancelière a pu, au cours du débat, utiliser à de nombreuses reprises un argument massue face aux critiques adressées par Martin Schulz à sa politique : « cela a été aussi adopté par les ministres du SPD au sein du gouvernement ».
Fait notable : ce qui a eu lieu dimanche dernier en Allemagne ne serait tout bonnement pas possible en France où des règles strictes encadrent le temps de parole, en amont (règle d’équité) et notamment dans les dernières semaines de campagne (règle d’égalité). Qui plus est puisqu’il s’est agi, en l’occurrence, d’un débat en tête à tête entre les deux candidats des partis actuellement au gouvernement. À aucune occasion pendant la campagne électorale, ces deux candidats ne se sont et ne se seront confrontés aux candidats de l’opposition dans un débat à la télévision. Ce n’est qu’après que les bureaux de vote auront fermé le soir du dimanche 24 septembre que tous les candidats de tête des partis importants seront réunis à la télévision allemande pour débattre du résultat des élections. L’Allemagne aurait ainsi beaucoup à apprendre des règles du temps de parole appliquées en France pour la campagne électorale.
Face au duel, les débats entre les "petits" partis jugés plus intéressant
D’autres débats se sont néanmoins révélés plus intéressants selon les médias et beaucoup d’observateurs : les débats entre les « petits » partis, lundi soir sur les deux chaînes publiques, ARD et ZDF. Le premier débat, sur la chaine ARD opposait lecandidat de tête des Verts, Cem Özdemir, des Libéraux, Christian Lindner, du parti de gauche, Sarah Wagenknecht, de l’extrême droite Alternative pour l’Allemagne, Alice Weidel, ainsi que de la CSU, le parti conservateur de Bavière, avec Joachim Herrmann. Sur la deuxième chaîne, le débat opposait l’autre candidate de tête des Verts, Katrin Göring-Eckardt, Alexander Dobrindt, le ministre féderal du transport et membre de la CSU, et Dietmar Bartsch, deuxième candidat de tête du parti de gauche. La CSU, pourtant alliée à la CDU et dont la candidate de tête n’est autre qu’Angela Merkel, a ainsi pu être présente partout.
Ces débats entre les « petits candidats » ont été jugés beaucoup plus vivants que le duel Schulz-Merkel – ils ont fait apparaitre des différences très claires sur l’Europe, sur la politique extérieure, sur la politique sociale et éducative, sur la politique énergétique ainsi que sur les questions d’immigration. Etant donné que, deux semaines et demi avant les élections, il semble qu’Angela Merkel soit en passe de remporter un quatrième mandat - elle devance Martin Schulz et le SPD de 15 % dans les sondages actuels - l’attention outre Rhin commence à se concentrer sur une autre questionclé : le(s) partenaire(s) possible(s) d’Angela Merkel après les élections. Cette question, au cœur de l’attention en Allemagne, montre deux choses : premièrement que tout le monde est persuadé qu’Angela Merkel et les conservateurs de la CDU/CSU vont gagner. Cela n’est pas sans risque pour ces derniers, tant en terme de mobilisation – qui pourrait venir à manquer – que de tentation pour les électeurs et électrices de voter plutôt pour un des partenaires potentiels d’Angela Merkel afin d’orienter sa politique plutôt vers le libéralisme économique, incarné par le FDP, ou vers une transformation écologique et la protection du climat, incarnée par les Verts, ou encore vers une politique de justice sociale, incarnée par le SPD.
La future coalition : un enjeu clé pour la relation franco-allemande et pour l'Europe
Deuxièmement, cette question de la composition de la future coalition est cruciale pour la relation avec le gouvernement français et le président de la République Emmanuel Macron en ce qui concerne la direction politique de l’Europe, surtout dans le domaine de la politique économique et financière. Contrairement à ce qui a pu être observé durant la campagne en France, pratiquement tous les partis en Allemagne se revendiquent clairement pro-européens. Le parti de gauche adopte une ligne anti-Bruxelles semblable à celle que défendait Jean-Luc Mélenchon en France. Seuls les populistes de droite de l’Alternative pour l’Allemagne sont clairement anti-européens, demandant de sortir de l’euro et de fermer les frontières. Néanmoins y compris au sein des partis pro-européens, il y a de grandes différences dans les programmes, surtout dans le domaine de la politique économique et financière de l’Europe. Dans le cas d’une coalition avec les libéraux du FDP, il semble que la direction serait celle d’une politique d’austérité où l’Allemagne demande tout d’abord de respecter les règles du pacte de stabilité et serait plus hostile à une hausse des investissements publics en Europe. Le FDP exclut par ailleurs dans son programme d’aller plus loin dans le domaine de la politique sociale au niveau européen. Le SPD comme les Verts demandent une inflexion de la politique d’austérité et une politique d’investissement en Europe, en premier lieu pour combattre le chômage des jeunes qui frappe de nombreux pays. Le programme des Verts appelle à diriger ces investissements vers la transition énergétique et la transformation écologique de l’économie. Le SPD et les Verts sont – à des degrés différents - ouverts aux idées du Président Macron de créer un budget européen pour réaliser ces investissements, avec une responsabilité politique et un contrôle démocratique à Bruxelles. Les conservateurs de la CDU plaident dans leur programme pour le modèle d’un fonds monétaire européen. C’est une idée du ministre des finances, Wolfgang Schäuble, qui veut installer une institution comme le Fonds Monétaire International en Europe - le contraire des propositions d’Emmanuel Macron.
Ainsi, les élections en Allemagne ne sont pas si ennuyantes qu’on ne le dit en France. La grande question reste le type de coalition qui sera formé après les élections. Six partis pourraient entrer dans le prochain Parlement – où il n’y actuellement que quatre partis – et cela rend les conditions pour former une coalition d’autant plus complexes. Actuellement, selon les derniers sondages, la CDU/CSU est en tête avec autour de 39 %, le SPD autour de 24 %, les Verts, les Libéraux, le Parti de Gauche et l’AfD autour de 8 %. La première question-clé est alors de savoir si une coalition avec seulement deux partenaires (à l’exception d’une grande coalition) serait possible. L’entrée, pour la première fois, d’un parti d’extrême droite au Bundestag, serait par ailleurs une rupture historique pour l’Allemagne. Dans ces conditions, même une coalition entre la CDU/CSU d’Angela Merkel, les Verts et les Libéraux ne semblent plus complètement exclue – une coalition de ce type existe depuis quelques mois dans le Land de Schleswig-Holstein, dans le nord de l’Allemagne. Si elle n’est pas exclue, cette possibilité demeure tout de même peu probable : une coalition entre trois partenaires si différents - et si l’on compte la CSU, la coalition compterait même quatre partenaires – serait beaucoup plus difficile à former au niveau national, notamment au regard des différences de programmes dans le domaine de la politique européenne. Il n’est pas exclu qu’après plusieurs semaines de négociations avec différentes options, les deux partenaires de l’actuelle grande coalition, les conservateurs et les sociaux-démocrates, finissent par s’accorder autour du renouvellement de la grande coalition.
Après les résultats des élections le 24 septembre, il est possible que l’Allemagne n’ait pas de nouveau gouvernement avant plusieurs mois. En effet, à peine trois semaines après les élections nationales, se tiendront les élections anticipées dans le Land de Basse-Saxe autour de Hannover, le 15 octobre. En pleine période de campagne – l’élection régionale est un scrutin clé dans un pays fédéral comme l’Allemagne - il est peu probable que des vraies négociations de coalition commencent. Sauf si les conservateurs de la CDU/CSU et les libéraux du FDP obtiennent des scores leur permettant de former un gouvernement seuls : dans ce cas les négociations devraient aller vite, dans le but de créer une dynamique en Basse-Saxe, où le gouvernement des sociaux-démocrates et Verts se bat pour être réélu, après avoir perdu la majorité à cause d’une députée verte qui a décidé de se rallier à la CDU de la région.
Le nouveau gouvernement allemand et ses orientations, notamment en matière de coopération avec la France et de relance de l’Europe ne sera probablement formé qu’à la fin de l’année – il reste ainsi à espérer qu’il n’y ait pas, sous le sapin de Noël, des surprises désagréables pour le couple franco-allemand.