Convention citoyenne pour le climat : mission accomplie - Et maintenant ?

Analyse

« C’était une très bonne expérience. Et ça pourrait faire partie d’une amorce de solution sur le renouveau démocratique en France » se réjouit Fabien, 29 ans, salarié d’une fondation oeuvrant pour les jeunes en difficultés. Il est l’un des 150 citoyens tirés au sort pour participer à la première Convention citoyenne jamais organisée en France. La mission de cette Convention : « Comment réduire d’au moins 40 % par rapport à 1990 les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030, dans le respect de la justice sociale ? ». Dimanche dernier, le 21 juin, les citoyens ont rendu leur rapport, adopté à 95 % : près de 150 mesures sur de très nombreux sujets. Retour sur une innovation démocratique et ses enjeux.

Convention citoyenne réunie au Palais d'Iéna

Des ronds-points au Palais d’Iéna

Le mouvement des gilets jaunes, qui s’opposait en premier lieu à la taxe carbone telle qu’elle avait été conçue, pousse le gouvernement et le président de la République à accepter la proposition de plusieurs collectifs et intellectuels de confier le soin à une assemblée tirée au sort de définir des mesures climatiques aptes à faire consensus au sein de la société. 150 citoyens sont donc tirés au sort : «  J’ai été contacté par téléphone. J’étais super content d’être appelé. J’ai entendu parler le matin même à la radio de la sélection qui était en cours depuis plusieurs jours. J’avais vraiment envie de participer » glisse Fabien. Pendant 9 mois, d’octobre 2019 à juin 2021, les citoyens se sont réunis à sept reprises sur trois jours pour se former, échanger avec des experts et formuler ensemble leurs propositions.

Les rencontres se sont tenus au sein du Conseil économique social et environnemental (CESE), au Palais d’Iéna. « Le premier week-end, on a eu notamment l’intervention d’une paléo-climatologue du GIEC, Valérie Masson-Delmotte qui nous a placé le décor. Les participants qui n’étaient pas forcément totalement convaincus de l’impact des activités humaines sur le réchauffement climatique ont pu lui poser des questions et prendre le sujet par tous les bouts : ils se sont vraiment rendus compte de la situation et de la responsabilité des activités humaines » raconte Fabien. Les participants ont ensuite été répartis par tirage au sort dans 5 groupes thématiques : « se loger », « se nourrir », « se déplacer », « consommer », « travailler et produire » . Pour Fabien, « le point de bascule a été la venue du président en janvier : on s’est rendus compte que ça commençait à prendre de l’ampleur, que ça devenait sérieux et que ça pouvait éventuellement donner quelque chose de positif ».

Tout au long des sessions de travail, les citoyens ont pu, à leur demande, rencontrer de nombreux experts de tous horizons : « nous n’étions 150 citoyens contre le reste du monde, mais une vraie dynamique de groupe avec les experts mobilisés et la société : on a eu une vraie diversité d’experts et d’intervenants, pour le groupe « Se nourrir » nous avons auditionné des experts de la Fondation Nicolas Hulot, de Greenpeace, mais aussi de Carrefour, Système U ou de la FNSEA : une vraie pluralité d’acteurs qui nous a permis de nous forger une opinion à peu près équilibrée ».

Les deux dernières sessions ont permis de mettre en commun les mesures proposées et de les voter en plénière. Le travail a toutefois été continu lors de ces 9 mois : échanges par le biais d’une plateforme permettant d’amender les propositions et de les ajuster, réunions en visioconférences des groupes de travail. De nombreux citoyens ont aussi eu à cœur de répercuter les lecons et le travail de la convention dans leurs territoires d’origine en organisant des « Apéro-Climat » ou des conférences visant à échanger avec un large public.

Ont-ils atteint leur objectif, celui de concilier justice sociale et rehaussement de l’ambition climatique ? “Ça a été pris en considération dans l’ensemble des mesures du rapport. Dans chaque groupe thématique, on a vraiment essayé d’équilibrer. Aujourd’hui, en regardant la presse, où on lit que certaines personnes sont déçues parce qu’on ne serait pas allés assez loin et que d’autres sont très énervées parce qu’on serait allé trop loin voire que cela pourrait déboucher sur « un totalitarisme liberticide », je me dis que finalement nos propositions sont assez justes », fait remarquer Fabien dans un sourire.

150 propositions pour une politique climatique juste et ambitieuse

150 mesures, plus de 400 pages de rapport et des pistes de financement : le résultat de la Convention Citoyenne a été livré à la Ministre de l’Ecologie le 21 juin. Les citoyens demandent au gouvernement « une accélération de la transition écologique, notamment dans la stratégie de sortie de crise, en faisant du climat la priorité des politiques publiques, en évaluant les résultats et en sanctionnant les écarts ». Ils se montrent optimistes : « Le 21ème siècle peut être le nouveau siècle des Lumières par une posture politique ambitieuse, vertueuse et démocratique[1][JH1]  ».

Les 150 mesures sont-elles insuffisantes, ou « déjà vues » comme le reprochent certains, ou sont-elles trop radicales, voire liberticides comme s’en insurgent d’autres ? Anne Bringault du Réseau Action Climat France souligne dans Le Monde : « Ces mesures ne sont pas forcément nouvelles, mais les citoyens de la convention ont eu à cœur d’articuler les questions sociale et climatique avec, par exemple, la nécessité de subventions pour les familles les plus modestes, prenant en charge la totalité des travaux de rénovation thermique »[2].

Logement, agriculture, mobilités, consommation : des interdictions et des propositions

L’instauration d’une obligation de rénovation énergétique des logements est ainsi une des mesures phares de la Convention : ces rénovations thermiques seraient financées par des prêts à taux zéro sur 20 ans remboursés par les économies réalisées et des subventions pour les plus démunis d’ici à 2028, pouvant aller jusqu’à la totalité du montant nécessaire pour les ménages les plus défavorisés. Cette mesure doit permettre de développer le secteur de la rénovation et de créer de nombreux emplois en France.

Sur le volet alimentaire et agricole (19 % des émissions), les citoyens proposent aussi notamment une nouvelle orientation pour la politique agricole commune, plus verte et plus équitable, tout en s’assurant que les agriculteurs y trouvent leur compte, notamment en proposant des mesures sur la fixation des prix agricoles avec les différents acteurs de la chaîne.

 Côté consommation, ils demandent entre autres l’interdiction de la publicité pour les produits les plus émetteurs de gaz à effet de serre. Les 150 demandent également des mesures rapides pour lutter contre l’artificialisation des sols. Côté transport (31 % des émissions de gaz à effet de serre) les citoyens proposent « un plan d’investissement massif dans le ferroviaire pour moderniser les infrastructures, les matériels roulants et les gares pour en faire des pôles multimodaux, y compris pour le fret », la baisse de la TVA sur les billets de train de 10 à 5,5%, ou encore d’interdire la commercialisation des véhicules les plus polluants dès 2025. Des mesures d’interdiction qui visent à intégrer les limites planétaires, mais qui sont toutefois assorties de nombreuses propositions pour développer des filières industrielles vertueuses. Ils demandent également au gouvernement de porter au niveau européen la proposition d’un ajustement carbone aux frontières.

Enfin, les citoyens souhaitent que soient soumises à référendum la modification de la constitution afin d’y intégrer l’obligation de garantir la préservation de l’environnement, et la proposition de légiférer pour intégrer la notion de crime d’écocide dans la loi (en proposant la définition suivante : « Constitue un crime d’écocide, toute action ayant causé un dommage écologique grave en participant au dépassement manifeste et non négligeable des limites planétaires, commise en connaissance des conséquences qui allaient en résulter et qui ne pouvaient être ignorées. »).

Pour financer ces mesures, les citoyens proposent plusieurs pistes, comme la taxation des dividendes des entreprises qui distribuent plus de 10 millions d’euros par an, à hauteur de 4 % des dividendes versés, ou encore l’augmentation du malus sur les voitures les plus polluantes. Selon une analyse d’I4CE[3], l’application des mesures proposées pourrait représenter un coût net de 6 milliards d’euros par an pour l’Etat : un coût « raisonnable » au vu du défi climatique, et qui ne tient pas compte des potentielles retombées économiques des orientations choisies.

« J’irai au bout du contrat moral qui nous lie »

Au lendemain des Municipales, qui ont vu les Verts l’emporter dans de nombreuses communes en battant les listes de la majorité présidentielle, comme à Bordeaux, Lyon ou encore Strasbourg, Emmanuel Macron a reçu en grande pompe des représentants de la Convention citoyenne dans les jardins de l’Elysée. Coup de bluff destiné à rallier l’électorat écologiste ou réel changement de cap ?

Le président a en tout cas annoncé vouloir « reprendre l’ensemble des mesures de la Convention » - à l’exception de trois d’entre elles : « lorsque nous nous sommes vus en janvier, je vous avais dit que toutes les propositions seraient transmises au gouvernement ou au Parlement ou directement au peuple français. Je vous confirme que j’irai au bout du contrat moral qui nous lie ». Emmanuel Macron prendrait-il enfin le virage écologique maintes fois annoncé mais jamais réalisé ? Le Président de la République a annoncé vouloir faire adopter l’ensemble des mesures qui relèvent de règlement et décrets gouvernementaux avant la fin du mois de juillet, et qu’un projet de loi spécifique reprenant les mesures législatives soit présenté au Parlement « à la fin de l’été ». Si le président de la République s’oppose à la modification du préambule de la Constitution, il s’est dit favorable à la modification de l’article 1er de la Constitution pour y intégrer les notions d’environnement, de biodiversité et de climat (et à un éventuel référendum sur le sujet en 2021), et à travailler sur la notion de crime d’écocide. Emmanuel Macron ne ferme pas la porte à un référendum « à choix multiples » sur les projets de lois qui seront débattus au Parlement.

L’avenir dira si les actes suivent : sur l’écologie, le président de la République a habitué les observateurs, ONG et partis écologistes, à rester vigilants quant à la traduction concrète des discours prononcés. Si la réponse d’Emmanuel Macron est ambitieuse et semble à la hauteur des attentes des citoyens, il leur faudra rester attentifs sur la reprise de leurs propositions et leur discussion au niveau du Parlement, afin que celles-ci ne soient pas vidées de leur substance. Si c’était le cas, Fabien se montre inquiet « pour l’état de la démocratie en France : je n’ai pas envie qu’une majorité des 150 citoyens soient dégoutés ou encore plus dégoutés de la politique et du système politique français si nos propositions sont mises sous le tapis ». L’inquiétude s’estompera-t-elle au vu du discours volontariste du chef de l’Etat, qui a annoncé que le gouvernement rendrait des comptes chaque mois aux membres de la Convention ?

Un des défis reste également de convaincre l’ensemble de la population du bien fondé de ses propositions. Emmanuel Macron s’est engagé à les porter devant les Français pour les convaincre et « emporter la société » avec les 150 citoyens, et à soumettre si nécessaire une partie de celles qui doivent être discutées au Parlement à un référendum consultatif. Plusieurs sondages ont déjà montré qu’une large majorité des personnes interrogées est favorable à de très nombreuses mesures de la Convention.

« Pour une fois qu’on est un peu en pointe sur quelque chose en France il faut capitaliser là-dessus, le développer et que ça essaime »

En définitive, la Convention citoyenne pour le climat, qui fut une première en France, a rempli son objectif : celui de faire travailler des citoyens, pour la plupart néophytes, sur un sujet complexe mais éminemment important et exigeant un large consensus dans la société française. Si les propositions demeurent parfois incomplètes, sont jugées insuffisantes ou au contraire trop radicales pour certains, elles ont le mérite d’être sur la table et d’être posées dans le débat public. Cette expérience inédite a mis en lumière les limites et les leçons à tirer de l’exercice – temps jugé parfois insuffisant pour préciser les mesures, insuffisante définition du cadre juridique de la convention, dépendance au bon vouloir du gouvernement – mais aussi son incroyable richesse. Scrutée de près par de nombreux autres pays européens et par de nombreux chercheurs, elle devrait livrer, dans les semaines et mois à venir, de nombreux enseignements pour la suite. Fabien souhaite pour sa part d’autres conventions citoyennes en France ; par exemple sur « les retraites, l’organisation du travail ou encore l’aménagement du territoire » - un souhait partagé par le Président de la République qui a annoncé qu’il y aurait « d’autres Conventions citoyennes » et que le Conseil économique social et environnemental, troisième chambre de la République, au rôle consultatif, allait devenir « la Chambre des Conventions Citoyennes ». Mais Fabien espère aussi que la Convention pourra servir d’exemple ailleurs : « Pour une fois qu’on est un peu en pointe sur quelque chose en France, il faut capitaliser là-dessus, le développer et que ça essaime : pas qu’en France, mais aussi ailleurs en Europe, et pourquoi pas en Allemagne ? ».