Les évolutions du Mouvement 5 Étoiles

Analyse

Né en Italie en 2009 à l'initiative du comédien Beppe Grillo et de l'entrepreneur web Giandomenico Casaleggio, cette force politique populiste a été confrontée à plusieurs reprises à l’épreuve du pouvoir au cours des dix dernières années. Après avoir connu des succès et des échecs au niveau national comme au niveau local, le mouvement traverse aujourd'hui trois crises : une crise d'identité, d'autorité et de consensus. 

Giuseppe Conte Senato

Qu'est-il advenu du Mouvement 5 Étoiles ? Né en Italie en 2009 à l'initiative du comédien Beppe Grillo et de l'entrepreneur web Giandomenico Casaleggio, cette force politique populiste a été confrontée à plusieurs reprises à l’épreuve du pouvoir au cours des dix dernières années. Après avoir connu des succès et des échecs au niveau national comme au niveau local, le mouvement traverse aujourd'hui trois crises : une crise d'identité, d'autorité et de consensus. Premier parti italien aux élections de 2018 avec 32,68% (près de 11 millions de voix), quatre ans plus tard, lors des élections anticipées du 25 septembre 2022, le parti obtient moins de la moitié des voix (4,3 millions de voix) et 15,43% des suffrages exprimés. Relégué dans l'opposition après quatre ans de gouvernement, le M5S aujourd'hui dirigé par l'avocat et ancien président du conseil Giuseppe Conte peine à trouver sa propre identité, indéfinie par essence.

Dans le laboratoire international du populisme, cette nouvelle force politique, se revendiquant ni de droite ni de gauche, a su interpréter la dynamique populiste en cours dans la première décennie du XXIe siècle en Italie. Les idées ayant guidé ce mouvement sont le récit d'une opposition directe entre les non-professionnels de la politique et la caste politique corrompue ainsi que la réalisation d’une démocratie numérique. En effet, le parti de Grillo a été perçu par les citoyens comme le représentant de la "la majorité invisible", les "citoyens sans parti", un "mouvement civique national". 
Comment le mouvement devenu parti a-t-il géré la conquête et l'exercice du pouvoir ? Que sont devenues les Cinq Étoiles ? Quels combats ont survécu quatorze ans après sa fondation ? Comment comptent-ils s'organiser en vue des élections européennes de 2024 ?

La capitalisation du consensus populaire grâce auquel le mouvement de Beppe Grillo a su déstabiliser l'ordre politique classique, divisé entre des forces démocratiques progressistes d'un côté et les forces libérales-conservatrices de l'autre, peut-elle se renouveler ou doit-elle être considérée comme éteinte ?

Bilan des gouvernements M5S

Au cours des quatre dernières années, le Mouvement 5 Étoiles s'est retrouvé à gouverner le pays, d'abord en coalition avec la Lega (la « Ligue »), puis avec le Parti Démocrate. Cette expérience de gouvernement a fait imploser de nombreuses contradictions internes.

Après les élections de 2018, à la suite de discussions avec le Parti Démocrate, le premier parti du pays (32,68 %) a décidé de former une alliance gouvernementale avec la Ligue (17,36%), un parti populiste d'extrême droite dirigé par Matteo Salvini. Le programme de la Lega comprenait des restrictions à l'immigration, la réforme des retraites, des réductions d'impôts avec la flat tax (taux unique), l'abolition du plafonnement des paiements en liquide et une révision des traités européens. Le programme du M5S, à l’époque dirigé par Luigi Di Maio, a été rédigé en coopération avec des membres et des militants sur le système interne de participation en ligne appelé "Rousseau". De ce programme, à la fin du mandat du gouvernement en 2021, seules deux promesses sur 20 ont été entièrement réalisées, dix autres ne l'ont été que partiellement, et huit n'ont pas été réalisées. La première promesse réalisée est le revenu de citoyenneté, une contribution économique versée aux familles les plus pauvres, introduite en 2019, mais maintenant corrigée et révisée par le nouveau gouvernement Meloni. La deuxième promesse est l’engagement pour la lutte contre la corruption, la mafia et les conflits d’intérêts (loi « Spazzacorrotti » ou « balaye-corrompus »  sur le vote d'échange politique mafieux).

Les mesures en faveur de l'économie verte font depuis longtemps partie du programme politique du Mouvement 5 Étoiles, mais les promesses inscrites dans le programme n'ont pas été tenues et en 2022 l'Italie dépendait encore des importations de gaz naturel pour répondre à ses besoins énergétiques.
Les autres engagements pris par le Mouvement 5 Étoiles concernaient l'innovation, les énergies renouvelables, la lutte contre l'instabilité hydrogéologique, la mise à niveau sismique, le très haut débit et la mobilité électrique.

Bien que des mesures individuelles aient pu être approuvées dans certains domaines, l'initiative de loin la plus importante dans ce domaine a été le Plan national de relance et de résilience (PNRR), financé à hauteur de plus de 190 milliards d'euros par l'Union européenne pour relancer l'économie italienne après la pandémie de Covid-19. Les fonds du PNRR ont été notamment destinés à la reprise du pays suite à l'urgence sanitaire, au secteur sanitaire et de la cohésion territoriale.

Sous le premier gouvernement Conte, alors que Matteo Salvini, leader de la Ligue, était ministre de l'Intérieur, les débarquements d'immigrés clandestins sur les côtes italiennes ont diminué. Toutefois, l'objectif de mettre fin à ce que le Mouvement 5 Étoiles appelait le "business de l'immigration" et de rapatrier "immédiatement" les migrants en situation irrégulière n'a pas été atteint. La politique de fermeture des ports et d'entrave aux sauvetages en mer de la Ligue a pourtant été soutenue par le M5S qui a voté pour le "décret sécurité" et le "décret sécurité bis" voulus par Matteo Salvini en 2018 et 2019. Ces lois abolissent le permis de séjour pour raisons humanitaires et introduisent des amendes pour les ONG.

Crise de leadership et avancée de Conte

Un an après la formation du gouvernement, la scène politique a été complètement capitalisée par la Ligue de Matteo Salvini. Le leader souverainiste a réussi toutes ses déclarations, tous ses post sur les médias sociaux, tandis que le leader de la première force politique italienne, Luigi Di Maio, vice-Premier ministre et ministre du Travail du gouvernement Conte I, a été usé et éclipsé par la présence encombrante du ministre de l'Intérieur. Dans ce climat de crise du consensus, Giuseppe Conte, Premier ministre choisi par le M5S, avait déclaré en interne "nous sommes littéralement en train de nous éclater". La communication et la ligne politique du mouvement ont commencé à vaciller en 2019. Avant le gouvernement Conte I, la stratégie unifiée était confiée à la direction de l’entreprise Casaleggio Associati, créee par le co-fondateur du mouvement Gianroberto Casaleggio, et aux choix du spin doctor Rocco Casalino, devenu ensuite le porte-parole du Premier ministre Giuseppe Conte. Un autre élément a pu affaiblir le parti : le nouveau "Blog delle Stelle", l'organe officiel du parti, n'a pas eu le même pouvoir que le blog de Beppe Grillo.

Malgré ce contexte défavorable, après la chute du gouvernement Conte I provoquée par Matteo Salvini, le gouvernement Conte II (5 septembre 2019 - 13 février 2021) a été mis en place avec la contribution de Beppe Grillo. De manière assez inattendue, lors du premier gouvernement, Giuseppe Conte a réussi à se construire un rôle de guide reconnu et des alliances internationales solides. Pendant la pandémie et grâce à la stratégie sociale de Casaleggio Associati, le Premier ministre a réussi à s'imposer comme la personnalité politique préférée des Italiens en dépassant les 60 % d'opinions positives (données Ipsos Italie). Grâce à un storytelling habile, "l'avocat du peuple" a été perçu comme un médiateur compétent et un garant du contrat gouvernemental. Au cours de son mandat (2 ans et 8 mois), il parvient à s'entourer d'hommes de confiance. L'ancien professeur de droit privé acquiert au fil du temps sa propre force politique, il a d'excellentes relations au Vatican et de vieilles amitiés au Parti Démocrate et chez Forza Italia, mais surtout il devient l'interlocuteur privilégié du président de la République Sergio Mattarella et des dirigeants européens, qui le préfèrent à Di Maio et Salvini. Conte entretient une relation étroite avec Donald Trump, tandis que le vice-président américain Mike Pence a apprécié la décision de Conte de faire pression sur le M5S pour faire avancer le projet TAP[1].

En ce qui concerne la Chine, en revanche, les relations sont souvent ambiguës. Jusqu'en 2018, le blog de Grillo accueillait de nombreuses interventions, également signées par l'humoriste lui-même, contre le régime chinois. Puis, une fois au gouvernement, tout a changé : les visites de Grillo à l'ambassade de Chine à Rome, la défense du Mémorandum de la route de la soie et de nouvelles opérations d'entreprises chinoises en Italie ont été inaugurées. Grillo va jusqu'à nier officiellement la répression des Ouïghours au Xinjiang par un appel ambigu publié en juin 2021 sur son blog intitulé "Pour une initiative de paix", signé également par le sénateur Vito Petrocelli. Le sénateur Vito Petrocelli, président de la commission des affaires étrangères depuis 2018 et s’auto-déclarant pro-chinois et pro-russe, est invité à démissionner par Luigi Di Maio. Une autre personnalité influente dans l'univers de Grillo est Fabio Massimo Parenti, un professeur de géopolitique qui enseigne à l'université des affaires étrangères de Chine à Pékin proche des positions de Petrocelli.

De manière assez inattendue Giuseppe Conte a réussi à se construire un rôle de guide reconnu et des alliances internationales solides. Grâce à un storytelling habile, "l'avocat du peuple" a été perçu comme un médiateur compétent et un garant du contrat gouvernemental.

Dans ce contexte, la direction du parti est encore plus affaiblie par des crises internes. En avril 2021, Beppe Grillo publie une vidéo dans laquelle il défend son fils accusé de viol collectif sur une étudiante, sans toutefois attendre le verdict final du procès. Cette prise de position lui sera contesté unanimement par des opposants et des alliés.

Plus récemment, le 10 mars 2023, le parquet de Milan a clos l'enquête dans laquelle Beppe Grillo et Vincenzo Onorato, propriétaire du groupe privé de navigation maritime Moby, étaient tous deux accusés de trafic d'influence illégal. Grillo aurait été sollicité par la compagnie maritime italienne pour faire pression sur des ministres du gouvernement affiliés au M5S afin de résoudre des difficultés financières.

En juin 2021, Davide Casaleggio, fils de Gianroberto Casaleggio, le fondateur, l'idéologue, le « cerveau » informatique du M5S, a abandonné le mouvement pointant sa dénaturation.

Ces tremblements de terre internes n’ont fait qu’entraver la réputation d’un parti populaire qui s’est proposé comme le représentant des « invisibles ».

 


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[1] Trans Adriatic Pipeline. Il s’agit du gazoduc destiné à transporter du méthane de l'Azerbaïdjan vers l'Italie, en débouchant sur la côte de Salento.