Pour de nombreux européens, un logement suffisamment chauffé, et des factures énergétiques payées ne sont pas une évidence : la pauvreté énergétique est une réalité qui touche plusieurs millions de personnes en Europe.
Entre 50 et 125 millions de personnes (soit 10 à 25 % de la population de l’Union européenne) sont menacées de « pauvreté énergétique ». Les conséquences sont particulièrement néfastes pour les individus et familles concernées, mais aussi pour la société dans son ensemble : mauvaise qualité de vie, problèmes de santé, impact économique, répercussions sur l’environnement (coupe illégale de bois et pollution de l’air due à la combustion de matériaux impropres au chauffage).
Il n’existe pas de définitions communes de la « pauvreté énergétique » à l’échelle de l’UE. Moins d’un État membre sur trois reconnaît officiellement celle-ci et seuls quatre – Chypre, la France, l’Irlande et le Royaume-Uni – en ont défini les contours. Ce sujet sensible n’a été inscrit à l’ordre du jour politique qu’en 2016 lors d’un discours de Maroš Šefčovič, vice-président de la Commission européenne en charge de l’Union de l’énergie.
La pauvreté énergétique est particulièrement criante en Europe de l’Est et du Sud. Au Portugal, en Grèce et à Chypre, entre 20 et 30 % des ménages souffrent de pauvreté énergétique. En Bulgarie et en Lituanie, on estime que 30 à 46 % des ménages ont des difficultés à chauffer leur logement. En Bulgarie, ces difficultés et les pratiques déloyales des entreprises monopolistiques de l’énergie ont entrainé de vastes manifestations et même la démission du gouvernement.
Si la pauvreté énergétique est étroitement liée à la pauvreté budgétaire, les deux sont pourtant potentiellement distinctes. Un ménage à faible revenu peut par exemple ne pas souffrir de pauvreté énergétique, si tant est qu’un système de chauffage urbain lui fournisse un service abordable. Un ménage vivant plus confortablement peut en revanche connaitre des difficultés et voir sa facture exploser en raison de prix élevés, d’un chauffage inadapté et d’un logement mal isolé.
L’absence d’une définition précise et commune explique en grande partie les difficultés de certains décideurs à saisir le concept même de pauvreté énergétique. Deux initiatives conjointes, le Réseau européen contre la pauvreté énergétique et l’Observatoire européen de la précarité énergétique, sont amenées à jouer un rôle fondamental dans l’élaboration d’une définition commune. En plus de fournir des indicateurs permettant de mesurer la pauvreté énergétique, ces deux organismes se veulent informatifs et permettent un plus grand engagement des parties concernées et de la société civile.
Comment s’attaquer à la pauvreté énergétique ? La plupart des initiatives considèrent celle-ci comme relevant du social. Ainsi, plutôt que d’offrir des avantages à court terme, elles cherchent à stabiliser indirectement, et sur le long terme, le revenu des ménages les plus exposés – en améliorant par exemple l’efficacité énergétique des bâtiments, en mettant sur le devant de la scène l’énergie citoyenne et en promouvant le principe du « consom’acteur » c’est-à-dire la production d’énergie par les consommateurs eux-mêmes. Les initiatives lancées pour répondre à la pauvreté énergétique traitent les aspects techniques, mais interviennent aussi sur les aspects sociaux : ainsi, en France, le Picardie Pass Rénovation accompagne les ménages dans la rénovation énergétique de leur logement et propose des financements – notamment grâce aux aides de l’Union européenne – pour leur permettre de faire des économies d’énergie, et d’argent.
Mais une certaine incertitude demeure quant au Paquet Energie Propre et aux dispositions et objectifs qu’il contient. La stratégie européenne se concentre-t-elle sur l’amortissement du changement climatique ou se doit-elle de revêtir un aspect social ? Comment les politiques de décarbonation et de transformation des réseaux peuvent-elles réellement bénéficier aux consommateurs les plus vulnérables ? Et comment faire de celles-ci des entreprises économiquement viables et socialement attractives ? Les réponses à ces questions demeurent à ce jour en suspens.
Le paquet Énergie propre révisé se concentre ainsi sur trois dimensions liées aux consommateurs. La première est l’autonomisation : l’UE s’adresse aux consommateurs actifs, aborde les réponses à la demande et le sujet des projets collectifs d’énergie au niveau local. La seconde est l’optimisation de la communication quant à la facturation, au changement de fournisseur et à la promotion d’outils de comparaison des tarifs. La dernière, enfin, se concentre tout à la fois sur la protection des données et la pauvreté énergétique.
Les politiques de transition énergétique doivent prendre la pauvreté énergétique au sérieux, mais il faut que les mesures et objectifs déjà formulés dans le paquet Énergie propre soient revus. Les différences économiques et sociales entre et dans les pays membres de l’UE doivent être soulignées. L’efficacité énergétique, si importante soit-elle, ne peut pas être l’unique objectif. Les façons de produire et de consommer l’énergie sont aussi au cœur de la solution : lorsqu’elle est produite de façon décentralisée et que la consommation peut être mieux régulée grâce aux moyens numériques, les consommateurs peuvent être gagnants. De même, les projets collectifs dans lesquels les citoyens peuvent jouer un rôle en étant propriétaires ou en participant à la production permettent de créer de l’emploi, d’augmenter les recettes fiscales – qui peuvent servir en retour à financer des politiques sociales en matière d’énergie.