La transition énergétique n’est pas qu’une affaire d’État : partout en France, ce sont des citoyens et citoyennes dans le cadre de coopératives énergétiques ou par le biais de leur commune, qui s’engagent pour la transition énergétique. Si l’Allemagne ou le Danemark ont une longueur d’avance en la matière en Europe, des initiatives fleurissent aussi partout en France – et ce en dépit des nombreux obstacles administratifs et financiers à surmonter. Ces pionniers de la transition énergétique montrent qu’une autre voie est possible : celle de la décentralisation énergétique. Avec des projets qui redynamisent les territoires, créent de la valeur ajoutée locale et des emplois durables, la démocratie de l’énergie prend vie.
ENERGIE POSIT’IF – Île-DE-FRANCE
Créée sous l’impulsion du conseil régional d’Île de France en 2011, Energies Posit’if est chargée de « promouvoir, organiser, soutenir et inventer la transition énergétique en Île-de-France », grâce à des mécanismes de soutien innovants.
La société d’économie mixte (SEM) Energies Posit’if oeuvre pour la rénovation énergétique des copropriétés d’Île-de-France. En 2017, elle travaillait avec 42 copropriétés – soit 5 700 logements -, dont huit avait déjà voté la réalisation de travaux. La Sem sélectionne les meilleurs architectes et bureaux d’études de la région, afin de proposer aux habitants des solutions techniques et financières de rénovation « clés en main ».
Sans attribuer de subventions en propre, elle aide les copropriétaires à accomplir les démarches pour bénéficier des aides, car beaucoup en ignorent l’existence. Les subventions de l’Agence nationale de l’habitat (Anah) et des collectivités – dont Energies posit’if avance les montants aux ménages modestes avant le début des travaux -, les crédits d’impôt pour les propriétaires occupants et les aides de la région Île-de-France viennent ainsi réduire l’effort mensuel réel que doivent consacrer les ménages pour effectuer ces travaux. Cet effort, en tenant compte des économies d’énergie, est souvent inférieur à 100 euros par mois pour les ménages aisés et nul, voire positif pour les plus modestes, qui bénéficient eux de subventions plus importantes. Pour couvrir le reste à payer, la Sem propose également des prêts collectifs à adhésion individuelle : chaque ménage s’engage à hauteur de ses revenus et c’est in fine la copropriété qui souscrit au prêt et devient – à travers un organisme de caution – responsable de la dette.
ENERCIT’IF – PARIS
L’idée d’EnerCit’IF : créer une centrale solaire sur les toits des bâtiments publics parisiens.
La trentaine de personnes qui portent EnerCit’IF ambitionne de réaliser les premières centrales solaires citoyennes à Paris, sur 15 à 20 toitures de bâtiments publics d’ici 2020. D’une puissance totale de 1,5 à 2 MW, le parc photovoltaïque d’EnerCit’IF produira alors 1400 à 1900 MWh/an, soit la consommation électrique (hors chauffage) de 500 à 600 foyers.
Le projet a émergé à partir de l’édition 2016 du Budget Participatif de la Ville de Paris. Plusieurs projets d’énergie citoyenne déposés par des habitant·e·s ont été fusionnés en un seul, intitulé « Des quartiers populaires à énergie positive ». Élu par les Parisiens, il a été retenu et doté d’un budget de 2 millions d’euros. Le projet bénéficie de l’accompagnement d’Énergie Partagée.
En souscrivant des actions dans la société de projet à gouvernance coopérative, à partir de l’automne 2018, les Parisien·ne·s ont l’opportunité de contribuer au défi d’un Paris alimenté à 100 % en énergie renouvelable en 2050, avec 20 % de production locale.
ENERCOOP – (SIÈGE À PARIS)
A l’heure de la transition énergétique, la coopérative Enercoop, créée en 2005, offre à tous, particuliers et entreprises, un accès à une électricité garantie renouvelable.
Enercoop a profité de l’ouverture à la concurrence pour se lancer dans un projet fou : devenir un concurrent du mastondonte EDF sur le créneau de l’électricité écolo. Sans capacité de production en propre, la coopérative joue un rôle d’intermédiation entre producteurs d’énergie renouvelable (hydraulique, éolien, photovoltaïque et biomasse) et consommateurs. Elle réinvestit la majeure partie de ses excédents dans des projets écologiques et économiques citoyens.
La coopérative fonctionne en réseau avec dix coopératives régionales. Celles-ci sont destinées à impliquer plus fortement les usagers sur chaque territoire et à diffuser des services de maîtrise de la consommation d’énergie, aux particuliers comme aux collectivités territoriales soucieuses de s’engager dans la transition énergétique. Enercoop, qui a le statut de société coopérative d’intérêt collectif (Scic), entend ainsi favoriser une réappropriation citoyenne de l’énergie. Ce statut permet aux salariés, aux clients et aux consommateurs, ainsi qu’aux 117 producteurs partenaires de participer à la vie de la coopérative.
LE MENÉ
Parvenir à l’autonomie énergétique, c’est le défi que s’est lancé Le Mené. Eoliennes, panneaux solaires, agrocarburants : cette localité produit déjà 30 % de l’énergie qu’elle consomme.
Le Mené, 6 500 habitants, dans les Côtes-d’Armor, s’est lancé dans le 100 % énergie renouvelable. Après dix ans de combats, en 2011, l’usine de méthanisation Géotexia, qui permet aux agriculteurs de traiter leur lisier, a ouvert, grâce à de nombreux financements publics (5 millions d’euros, pour un coût global de 15 millions).
Cette unité, qui emploie 100 personnes, alimente 4 800 foyers (hors chauffage). En outre les agriculteurs ont aussi créé Menergol en 2007, une coopérative de transformation de colza. Elle produit de l’huile qui peut être utilisée comme biocarburant pour les tracteurs, ainsi que du tourteau pour l’alimentation animale. Enfin, Saint-Gouéno et Le Gouray, deux communes attenantes, se sont équipées de deux chaufferies à bois, qui desservent des bâtiments publics ou commerciaux ainsi qu’une trentaine de logements, avec à la clé une économie de 42 000 euros par rapport à un chauffage au fuel. Dans le même temps, des panneaux solaires ont été installés sur plusieurs sites.
Mais le succès de cette démarche globale est surtout associé au parc éolien qui, depuis 2013, fournit 15 GWh d’électricité par an grâce à ses sept machines, financé par l’épargne locale (via des cigales) et une coopérative de distribution de la région. Une politique gagnante, puisque le Méné accueille sur son territoire une pépinière d’entreprises spécialisées dans le secteur de l’énergie.
LA JACTERIE – PAYS DES MAUGES
Depuis deux ans, le parc éolien de la Jacterie produit dans le Maine-et-Loire une électricité citoyenne, en alliant collectivités et habitants
Implanté sur trois communes dans le Pays des Mauges (Maine-et-Loire), le parc éolien citoyen de la Jacterie a été mis en service en septembre 2016, après 7 ans d’études, de recherche de financements et de travaux. D’une puissance totale de 12,5 MW, il compte cinq éoliennes Nordex et produit chaque année 23 000 MWh, soit la consommation électrique (hors chauffage) de 7 100 foyers. Il a été développé par une entreprise locale, David Énergies.
Le projet a été initié en 2010 par un collectif d’agriculteurs, fort d’une première expérience collective réussie de 50 installations solaires. Avec des collectivités et des habitants, ils fondent l’association Atout Vent en Chemillois, qui compte au départ 42 membres.
380 personnes du territoire deviennent actionnaires du parc éolien au sein de la SAS La Jacterie, et Énergie Partagée investit 100 000 euros en fonds propres dans le projet, dont le capital est ainsi 100 % citoyen. Trois banques accordent les prêts nécessaires pour boucler le financement.
METHALAYOU – PRÉCHACQ-NAVARRENX
Avec le projet Methalayou, 15 agriculteurs impulsent la méthanisation collective sur leur territoire, dans les Pyrénées-Atlantiques
En 2010, une quinzaine d’agriculteurs et éleveurs du Layou se regroupent pour initier un projet de méthanisation agricole collective en circuit court, avec le soutien financier d’Énergie Partagée. Le collectif d’agriculteurs et Énergie Partagée détiennent ensemble 95 % du capital de la société Méthalayou. Lisiers, fumiers, déchets issus de la restauration collective et de la transformation agro-alimentaire, tontes de pelouses : au total, près de 20 000 tonnes de substrats, collectés localement et majoritairement agricoles, seront traitées chaque année dans l’unité de méthanisation. Injecté dans le réseau de gaz TIGF, le biométhane, produit à partir de 2018, fournira 8800 MWh d’énergie par an, assurant la consommation (chauffage, eau chaude et cuisson) de 780 foyers.
Le « digestat », composé des matières résiduelles après récupération du gaz, est destiné à être épandu sur les terres des agriculteurs engagés dans le projet, réduisant ainsi le recours aux intrants de synthèse.
LES SURVOLTÉS – AUBAIS
Les Survoltés d’Aubais, issus d’un collectif de lutte contre les gaz de schiste, ont mis en service en juin 2018 leur parc photovoltaïque citoyen.
Le parc est implanté à Aubais (Gard) sur une ancienne décharge, impropre à toute construction ou activité agricole. D’une puissance de 250 kWc, le parc est doté de 714 panneaux solaires de fabrication française. Il produira chaque année 378 MWh d’électricité renouvelable, soit la consommation électrique (hors chauffage) de 150 foyers. 10 % des bénéfices réalisés en vendant l’électricité à Enercoop seront réinvestis dans des actions en faveur de l’environnement !
Le projet a été financé sans aucun emprunt bancaire. 274 citoyen·ne·s, originaires à 70 % d’Aubais et alentours, ont investi leur épargne dans la société coopérative Le Watt Citoyen, qui gère le parc solaire. Le projet a également bénéficié d’un apport en fonds propres d’Énergie Partagée à hauteur de 50 000 euros et d’une subvention de 100 000 euros de la Région Occitanie.
LA SÈVE – PUY-SAINT-ANDRÉ
Les initiatives citoyennes dans le domaine de l’énergie ne sont pas l’apanage des grosses collectivités. De petites communes rurales se sont lancées, comme par exemple Puy-Saint-André, qui a créé avec succès une société d’économie mixte de production d’énergies renouvelables.
Les initiatives citoyennes dans le domaine de l’énergie se multiplient aussi en France, depuis l’année 2000 avec l’obligation faite à EDF d’acheter le courant produit à partir des énergies renouvelables. Ainsi, à Puy-Saint-André, commune de 500 habitants des Hautes-Alpes, une société d’économie mixte de production d’énergie renouvelable (appelée Sève, pour Soleil Eau Vent Energie) a été créée en 2011, pour produire de l’énergie renouvelable et assurer une mission de maitrise de la consommation sous toutes ses formes. 31 foyers de la commune en étaient alors actionnaires (ils sont aujourd’hui 54). Depuis, neuf centrales photovoltaïques ont été installées. La puissance annuelle est d’enviroin 0,75 GWh, avec une puissance installée qui représente environ 3600 m2 de panneaux photovoltaïques. Avec un chiffre d’affaires de plus de 160 000 euros, la société a été rentable dès la troisième année, et le surplus a été réinjecté pour augmenter la production, avec une forte volonté de la coopérative de diversifier ses sources de production.
LES MONTS DU PILAT – BOURG-ARGENTAL
Depuis 2006, un projet éolien sur la communauté des communes des Monts du Pilat est régulièrement cité dans les médias pour son caractère participatif exemplaire. Il est porté de manière conjointe par les collectivités, un opérateur énergétique et les citoyens eux-mêmes.
Dans une zone rurale réservée, dix éoliennes devraient pouvoir s’élever avec l’assentiment majoritaire des collectivités et des habitants – une prouesse, quand on sait l’opposition dont fait l’objet ce type de projets. Les Ailes du Taillard, nom de la société qui porte ce projet, rassemble en effet tous les ingrédients d’un projet d’énergie renouvelable et citoyenne. Une collectivité locale à l’initiative des habitants impliqués au sein d’une association locale et, pour 120 d’entre eux, engagés financièrement, un opérateur professionnel.
Des dizaines de réunions d’informations se sont tenues, et ont permis de fédérer les citoyens autour du projet, permettant petit à petit de traiter et de répondre aux craintes de certains sur l’impact sur l’écoulement des sources d’eau ou encore le prix de l’immobilier. Le rapport issu de l’enquête publique réalisée au printemps 2017 a donné un avis favorable, et c’est en avril 2018 que l’autorisation préfectorale a été donnée pour construire ce nouveau parc éolien.
FORESTENER – LUCINGES
Créer des réseaux de chaleur bois-énergie « clés en main » en circuit court en faisant appel au financement citoyen : c’est l’objectif de la société ForestEner
ForestEner est née de l’association du bureau d’études Éepos et du fabricant de chaudières Hargassner avec Énergie Partagée et Enercoop Rhône Alpes.
Un premier projet a été réalisé à Lucinges (Haute-Savoie). Deux chaudières à plaquettes alimentent un réseau de chaleur avec du bois dont 80 % parcourt moins de 30 km. Depuis juillet 2018, les bâtiments communaux, une brasserie de bière bio et plusieurs dizaines de logements bénéficient de cette chaleur collective (1100 MWh par an, soit la consommation de 110 foyers).
Le capital de ForestEner est détenu à 57 % par les acteurs citoyens (Énergie Partagée, Enercoop Rhône-Alpes et la commune de Lucinges), et le reste par les opérateurs techniques locaux. Énergie Partagée a investi 360 000 euros en fonds propres dans le projet, subventionné par la région Auvergne Rhône-Alpes à hauteur de 442 000 euros.
UNGERSHEIM
Le village alsacien d’Ungersheim est engagé à fond dans la transition écologique : jardins et cantine bio, maisons passives et biosourcées, parc d’activités photovoltaïque… Et même voiture à cheval pour le ramassage scolaire.
En 2009, Ungersheim élabore un programme de « 21 actions pour le 21e siècle », sur une base participative. En 2015, la quasi-totalité de ce programme a été réalisée. Ainsi aux Jardins du Trèfle rouge, la ferme maraîchère bio installée sur un terrain acquis par la commune fait travailler une trentaine de salariés, la majorité en insertion. Ils fournissent toutes les semaines des paniers bio aux habitants et alimentent la cuisine municipale. Mais ce n’est pas la seule activité de la régie agricole du village.
Pour relocaliser la production alimentaire, elle crée une conserverie municipale, où l’on transforme les légumes déclassés en jus, soupes et autres ratatouilles. En outre, la commune a repris à la Lyonnaise la gestion de l’eau. Ce qui a permis de réduire de 20 % les factures des habitants. Côté énergie, la municipalité a permis la réalisation de la plus grande centrale photovoltaïque au sol d’Alsace, où les panneaux servent en même temps de toiture aux bâtiments d’une toute nouvelle zone d’activités. Ils produisent l’équivalent de la consommation de 10 000 habitants, hors chauffage.
Mais la meilleure énergie étant celle que l’on ne consomme pas, Ungersheim promeut aussi la construction de maisons « passives », construites en bois et murs de paille. Elle a ainsi acquis et loti l’Eco-hameau, où les ménages qui s’installent ont signé une charte attachée à l’acte de vente du terrain imposant des normes de construction inspirées du quartier londonien de Bedzed : zéro fossiles, zéro déchets. Bref, autant de preuves qu’une petite commune, un projet hyper participatif, beaucoup d’envies et de motivations peuvent conduire à une véritable politique de transition écologique.
CODEVAIR – ALSACE
Le livret Codevair est une forme originale de financement qui permet de soutenir des projets liés à la transition énergétique. Il a récemment été élargi à d’autres secteurs, comme le handicap.
Alors qu’on parle de plus en plus de décarboner les fonds, la Banque populaire d’Alsace a créé dès 1999 des outils pour mettre la finance au service de la transition énergétique : le Codevair, un livret ouvert aux particuliers et destiné à la collecte d’épargne solidaire ; le Prevair, un prêt vert qui, à partir de cette collecte, finance les projets écologiques des particuliers (isolation, chaudière par pompe à chaleur, panneaux photovoltaïques, etc.).
Conçu sur le modèle du livret de développement durable (ex-Codevi), il a été introduit depuis dans l’ensemble des Banques populaires et au Crédit coopératif, sachant que chaque Banque populaire a son propre mode de diffusion du livret, sa propre rémunération et sa propre allocation des fonds. Depuis la création de ce livret, de nombreux outils dits de finance solidaire, regroupés sous le label finansol, se sont développés. Ces produits rencontrent un réel succès, même si l’encours total à fin 2017 (11,5 milliards d’euros, +18,7 % sur un an, source Finansol) peut sembler encore modeste. Il constitue un levier important pour le financement des entreprises solidaires puisqu’en 2017, par exemple, 548 millions d’euros ont été investis dans le capital de ces entreprises.