Dans le cadre du cycle de débats « Le livre politique », en coopération avec le Goethe-Institut Paris, la Fondation Heinrich-Böll, a proposé le 29 octobre une soirée, intitulée « Qu’est-ce que le populisme ? ». Un débat à l’occasion de la publication du livre du même titre, écrit par Jan-Werner Müller, professeur à l’université de Princeton. De quelles méthodes usent les populistes - et comment les contrer ?
Le mythe du seul et unique peuple.
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Un dimanche d’élections qui restera dans les annales. En Allemagne, le parti AfD (Alternative für Deutschland) a conquit le parlement de la Hesse et sera désormais présent dans tous les parlements des seize Länder de la RFA. Au Brésil, le même jour, Jair Bolsonaro a été élu nouveau président du pays. Le 28 octobre est une nouvelle preuve de plus de la montée du populisme aujourd’hui. Sans parler du fait que le président américain, Donald Trump, à quelques jours des Midterms, des élections de mi-mandat, a insisté sur le danger imminent, causé par une « invasion » de migrants illégaux. Son objectif : faire monter la peur parmi les électeurs.
Le débat organisé par la Fondation Heinrich-Böll et l’Institut Goethe s’ancre donc parfaitement dans le contexte actuel. Sur le podium se sont rencontrés le Directeur de la fondation Heinrich-Böll-Stiftung France, Jens Althoff et les scientifiques Jan-Werner Müller, Marc Lazar et Christèle Lagier qui ont chacun analysé le phénomène du populisme par le prisme de leurs recherches.
Tout d’abord, il a été question de s’interroger sur l’utilité du terme « populisme » puis de savoir ce que celui-ci décrit réellement. La question se pose d’autant plus que son utilisation devient légion et que, de fait, il décrit de plus en plus de formations et d’acteurs politiques. On peut citer en vrac les plus évidents : le président hongrois, Viktor Orbán, en passant par l’AfD et le Rassemblement National de Marine Le Pen, jusqu’au nouveau ministre de l’Intérieur italien, Matteo Salvini ou encore Donald Trump, de l’autre côté de l’Atlantique.
Jan-Werner Müller, professeur de politique à l’université américaine de Princeton, ironise sur le fait que même Emmanuel Macron a été traité de « populiste d’extrême centre ». Il semble donc nécessaire de s’interroger sur le fait que ce terme ait pu être vidé de son sens puisqu’il englobe une multitude de partis, de mouvements et de personnes.
Lors de son introduction, Jan-Werner Müller fait l’aveu que « nous sommes dans une situation, où - malgré le fait que nous ayons des termes plus précis à disposition, le protectionnisme, le racisme et d’autres – nous appliquons le label populisme. Il faudrait définir des caractéristiques, qui s’appliquent à tous les populistes et qui nous permettraient de mieux identifier les schémas de leurs pensées et de leurs actions. »
Et c’est exactement ce que Müller tente de faire avec son dernier livre : Qu’est-ce que le populisme ?. Il rappelle au public que l’antiélitisme est souvent considéré comme une caractéristique des populistes. Cependant, il précise « qu’il y a encore quelques années on n’aurait pas qualifié ces personnes de populistes mais seulement de citoyens vigilants ». Selon lui, un autre critère est prioritaire : « Les populistes prétendent que c’est eux, et eux uniquement qui représentent le vrai peuple ou la majorité silencieuse. »Cela aurait des conséquences dangereuses car, d’un côté, cela discrédite les adversaires politiques, et de l’autre cela établit l’idée qu’il existe un vrai peuple qui se compose uniquement de ceux qui partagent leurs points de vue. Ainsi, selon les populistes, les autres ne feraient pas partie du peuple. Jan-Werner Müller étaye ce point de vue à travers un discours de Donald Trump tenu pendant la campagne présidentielle, dont le message était : „The only important thing is the unification of the people – because the other people don’t mean anything.“ Finalement, les populistes réduisent tous les conflits à des questions de batailles culturelles. Leur esprit profondément anti-pluraliste est la base de leur vision du monde.
« Ceux d’en haut »
Marc Lazar, historien et sociologue à Sciences Po Paris, constate lui aussi cette forme d’anti-pluralisme chez les populistes. Il ajoute également un autre schéma de pensée : la dichotomie, la séparation en deux, entre le bien et le mal, l’ami et l’ennemi, le oui et le non. Une posture qui mène inévitablement à réclamer davantage de référendums. Des populistes argumentent souvent avec le terme « caste » pour désigner les élites du monde de la politique, de l’économie, des médias et des sciences pour les diffamer.
Cela s’exprime évidemment dans la dichotomie entre « nous, en bas et eux, en haut ».
Mais Lazar explique encore un autre facteur au public : l’ère du tout numérique jouerait un rôle décisif, car elle nous a menés à une démocratie immédiate, une démocratie qui laisse peu de temps pour regarder les problèmes dans leur complexité. Il serait davantage question de donner des réponses simples à des questions complexes (pour rappel : un tweet contient 280 signes au maximum).La sociologue Christèle Lagier de l’Université d’Avignon critique beaucoup plus le terme de populisme. Ses recherches sont focalisées sur l’électorat du Rassemblement National (anciennement Front National). Dans ses sondages, elle tente de démonter la thèse selon laquelle la majorité des électeurs d’extrême droite appartiendrait à des couches sociales défavorisées. On trouve en fait, dans cet électorat, des personnes qui travaillent, qui payent leurs impôts et qui ne s’intéressent que très peu à la politique.
On ne peut pas parler d’une inévitable ascension du RN. Mais ce qui est décisif, c’est que ses électeurs ont l’impression de ne plus profiter de la redistribution. Lagier explique aussi que le fait que l’on classifie le RN en tant que « populiste » serait une preuve que la banalisation du parti, pour laquelle Marine Le Pen a tant œuvré, a fini par porter ses fruits. Grâce au label « populiste », le parti aurait réussi à faire oublier qu’il est historiquement un parti d’extrême droite et que son programme l’est toujours.
Le pouvoir du Framing
Jens Althoff a également souligné l’importance de la terminologie. En Allemagne, une nouvelle rhétorique s’est imposée ces derniers temps, qui reprend très largement le vocabulaire des populistes. Il cite notamment le concept du framing, comme stratégie de communication. Cette stratégie a pour but de trouver des mots forts, sensés incarner ses valeurs et influencer la manière collective de parler. Cela passe souvent par l’utilisation d’images. Il cite notamment l’exemple du « tourisme d’asile », un terme que le parti CSU employait pendant sa campagne en Bavière ou bien le terme « crise des réfugiés », largement utilisé. C’est donc essentiellement les débats autour de l’immigration qui sont lourdement chargés d’images, au point que les éléments du discours populiste deviennent normaux.
Pourtant, d’autres termes, comme celui de la liberté ou de la démocratie, sont âprement disputés, sans qu’on ne mette en question leurs utilisations. Il se dit alerté par le fait que « Certains en Europe essaient de s’approprier le terme. Viktor Orbán a dit que « Oui, je travaille pour le peuple et pour cela je suis populiste ». Marine Le Pen faisait pareil. Mon impression, c’est que cela n’a pas marché et que le terme est toujours connoté négativement. »
Müller voit un danger dans le traitement du terme par les médias : « Il y a de nombreux journalistes qui laissent entendre que les populistes sont vraiment les représentants du peuple, la majorité silencieuse. (...) Mais non, ce n’est pas la majorité silencieuse, c’est une minorité bruyante». Le jeu des populistes, analyse-t-il, fonctionne davantage, si des partis politiques traditionnels et les médias professionnels sont déjà affaiblis et si une guerre culturelle est en train de se propager.
L’autre élément à mettre en parallèle, est la façon de gouverner des populistes, dans des pays où ils sont déjà au pouvoir. Les techniques pour conquérir le pouvoir et pour le stabiliser se ressemblent fortement. De plus, les acteurs apprennent les uns des autres. Par conséquent, il ne faut pas présupposer que des gouvernements autoritaires seraient stupides et incapables d’apprendre. « Il est évident que Jaroslaw Kaczynski a appris des choses de Viktor Orbán. Ils s’influencent les uns les autres. Et malgré le fait que l’on parle sans cesse du populisme, nous avons tendance à toujours sous-estimer ses acteurs. »
Désillusions et crise de confiance
En Italie, avec la coalition du mouvement 5-étoiles et de la Ligueau gouvernement, on peut observer dans quelle mesure les populistes, une fois au pouvoir, appliquent tout de suite une politique entièrement populiste, explique Marc Lazar.
Ils essaient de former une alliance de leurs formations : « Ils se pensent légitimes, grâce au choix du peuple, pour aller jusqu‘au bout. Ils ont adopté des mesures anti-immigrés extraordinairement dures. Ils ont restreint le droit d’asile, ils sont en train de mettre la main sur la télévision et la radio publique. […] Ils sont en train d’attaquer la presse indépendante. »
En ce qui concerne la France, ajoute Christèle Lagier, les électeurs du RN sont rarement au courant du programme politique réel du parti. Au lieu de croire en un projet politique, ils partagent surtout l’avis que ni la gauche, ni la droite n’ont amélioré la situation du pays ces dernières décennies. Leur désillusion serait en fait la vraie motivation pour voter RN. „Il existe une démocratie d’opinion. On le voit bien avec ce qu’il se passe au Brésil. Pas besoin d’avoir un programme bien structuré. L’essentiel c’est d’avoir quelques slogans politiques bien diffusés, une bonne utilisation des réseaux sociaux, pour des gens qui sont peu intéressés par l’objet politique et qui vont saisir ce qui les intéresse à un moment précis. » résume-t-elle.
Jens Althoff ajoute une autre raison pour l’attraction des populistes. La confiance des citoyens en leurs hommes et femmes politiques aurait véritablement diminué. Leur crédibilité est mise en cause par les populistes. « Il faudrait davantage parler du phénomène qui consiste pour les populistes à vouloir donner l’impression d’être plus crédibles, às’auto-déclarer avocat du peuple. »
Un signal positif du côté de la société civile dans ses yeux était le mouvement « inséparable » (Unteilbar), qui a réuni, le 13 octobre à Berlin, 242.000 personnes. Le mouvement a pour but de mobiliser contre la poussée droitière dans le discours public actuel et de défendre la démocratie libérale. Il ajoute « qu’au niveau politique, ce sont les Verts qui prennent le plus clairement position concernant l‘Europe, et en particulier concernant l’immigration. Pendant que les autres pêchent de ci de là, des idées bien à droite. Il semblerait d’ailleurs que ce soit une raison qui explique le succès des Verts actuellement en Allemagne. »
Des positions claires seraient sans doute la condition pour pouvoir négocier des compromis dans ce jeu démocratique, ce jeu entre institutions, partis et la société civile. Ni l’imitation, ni l‘appropriation des discours et des positions populistes, ni la diabolisation et l’exclusion de ces derniers, ne se sont avérés, pour l’instant, être des stratégies efficaces. Dans les deux cas, les populistes se sentent, au contraire, encore plus confortés dans leur rôle. Jan-Werner Müller trouve les bons mots pour la fin du débat, en constatant que : « Les populistes ne peuvent jamais perdre. Mais dans une démocratie, il est nécessaire de perdre de temps en temps. »
par Romy Strassenburg
Bibliographie :
Jan-Werner Müller
- Das demokratische Zeitalter. Eine politische Ideengeschichte im 20. Jahrhundert, suhrkamp 2013
- Was ist Populismus? Ein Essay, suhrkamp 2016
Marc Lazar
- La Gauche en Europe depuis 1945. Invariants et mutations du socialisme européen (direction), avec la collab. de Francine Simon-Ekovich, Presses universitaires de France, coll. « Politique d'aujourd’hui », Paris, 1996
- Politique à l’italienne8 (direction avec Ilvo Diamanti), Presses universitaires de France, coll. « Politique d'aujourd’hui » Paris, 1997
Christèle Marchand Lagier
- Le populisme en question. Élections et abstention vues d'Avignon, Midi Sciences-Éditions universitaires d'Avignon, Avignon 2018