Foncier : des terres rares et chères

Atlas de la PAC

Les fermes européennes s’agrandissent.Les petites exploitations familiales sont remplacées par des fermes beaucoup plus grandes. Certaines entreprises investissent dans la terre, comme dans n’importe quelle autre source de profit, plutôt que pour produire de la nourriture ou dynamiser les campagnes. Le déclin de l’agriculture paysanne a des répercussions majeures sur la société et l’économie rurale, mais aussi sur le paysage et l’environnement.

La concentration croissante de la propriété foncière a des conséquences majeures sur l’agriculture européenne car elle concerne sa ressource la plus vitale : les sols fertiles. La terre est exploitée par un nombre décroissant de paysans. L’agriculture industrielle s’approprie les terres des petites et moyennes fermes : en 2013, plus de la moitié des terres agricoles européennes étaient utilisées par seulement 3,1 % des fermes, tandis que les trois quarts des fermes ne couvraient que 11 % de la superficie.  Entre 1990 et 2013, le nombre de grandes fermes (plus de 100 hectares) a doublé dans certains pays d’Europe occidentale ; dans d’autres, il a été multiplié par cinq, tout comme la superficie des terres couvertes par ces fermes. La terre est désormais plus inégalement répartie que la richesse dans l’Union européenne (UE) - une tendance que le Parlement européen considère comme une menace pour les petites et moyennes fermes, considérées comme des composantes souhaitables d’un secteur rural multifonctionnel. Mais plus de 80 % des paiements directs au titre de la Politique Agricole Commune (PAC) vont aux 20 % des exploitations les plus importantes.

Ces grandes propriétés foncières sont particulièrement présentes dans les pays de l’est de l’UE : la Slovaquie, la République tchèque, la Hongrie, la Bulgarie et la Roumanie. Ces nouveaux États membres, qui ont rejoint l’UE en 2004 ou en 2007, étaient initialement pourvus d’une forte population rurale et de marchés fonciers bon marché. Lorsque les paiements directs au titre de la Politique Agricole Commune ont été instaurés, les prix et les loyers des terres ont augmenté. En Bulgarie, le prix de la terre a augmenté de 175 % entre 2006 et 2012. La taille moyenne des grandes exploitations dans les nouveaux États membres dépasse largement la moyenne de l’UE (environ 300 hectares), les plus fortes augmentations étant observées en Slovaquie (781 hectares) et en Bulgarie (671 hectares).

Les petites fermes disparaissent plus rapidement dans les pays où elles étaient autrefois le modèle de production dominant. En Roumanie, par exemple, 1,7 million de paysans gèrent de petites fermes d’un hectare ou moins. Ils cultivent de la nourriture essentiellement pour eux-mêmes et leur famille, et vendent tout surplus. Pourtant, dans de nombreux États de l’UE, seules les fermes d’au moins un hectare sont éligibles aux paiements directs de la PAC. Cela rend des millions de petites fermes invisibles dans les registres agricoles officiels. Elles sont alors condamnées à être rachetées par de plus grandes exploitations ou l’usage de leur foncier est modifié au détriment de la production alimentaire. En Bulgarie, la concentration croissante des terres signifie que la production de légumes ou le petit élevage, qui peuvent être réalisés avec succès sur une petite superficie, a diminué au profit des monocultures céréalières à grande échelle.

Le prix des terrains a été augmenté par le grand nombre de transferts de terres au cours des 10 à 15 dernières années en Europe centrale et orientale. Les prix de location ont également bondi, ce qui complique la tâche des nouveaux arrivants qui ne sont pas propriétaires. De nombreuses transactions foncières se font dans des circonstances douteuses, corrompues ou illégales ; c’est ce qu’on appelle « l’accaparement des terres ». En Hongrie, les accords qui contournent les réglementations nationales ont permis à des ressortissants ou des entreprises non hongroises d’acquérir environ un million d’hectares au cours des vingt dernières années. Les acheteurs sont aussi bien des agriculteurs que des investisseurs tels que des banques, des fonds et des compagnies d’assurance de l’UE et de l’extérieur. Les petits agriculteurs et les nouveaux entrants ne peuvent pas leur faire concurrence, car il s’agit du secteur économique où les revenus sont les plus faibles et les risques les plus élevés. Les prix des terrains augmentent néanmoins dans toute l’Europe. Dans certains pays (Pays-Bas, Belgique, Danemark), ils ont atteint des niveaux irréalistes au regard des revenus de l’agriculture. D’autres pays (Allemagne, France) travaillent à trouver des moyens pour limiter cette tendance.

Les entrepreneurs d’Europe de l’ouest n’hésitent souvent pas à acheter, pour le même prix, des terres 5 à 10 fois plus vastes en Hongrie ou Roumanie

Les consultations publiques montrent que les Européens souhaitent que la Politique Agricole Commune garantisse un niveau de vie équitable aux agriculteurs, en particulier pour ceux qui travaillent sur des petites et moyennes fermes, ainsi que pour les personnes entrant dans la profession agricole. La future politique européenne devrait développer une approche qui rémunère les agriculteurs rendant des services à la société. Cela profiterait aux petits paysans qui produisent généralement plus de biens publics que les grandes entreprises industrialisées. Les agriculteurs veulent que l’UE s’attaque à la faible disponibilité et aux prix élevés des terres agricoles, ainsi qu’à l’insuffisante rentabilité de l’agriculture. Notre continent possède un patrimoine culturel vivant, incarné par ses agriculteurs et leurs communautés. Nous devons veiller à ce que leur savoir-faire soit transmis aux nouvelles générations d’agriculteurs.