Travail agricole : l'angle mort de la PAC

Atlas de la PAC

Le travail agricole évolue à mesure que le capital remplace la main-d’oeuvre et que les salariés remplacent les membres de la famille. Bien que les petites exploitations emploient davantage de travailleurs, la PAC ne contribue guère à garantir des salaires ou des conditions de travail décentes.

Le fait que plus de 22 millions de personnes travaillent dans l’agriculture au sein de l’UE ne signifie pas que ces 22 millions parviennent à en vivre. De nombreux travailleurs agricoles n’ont que des emplois à temps partiel ou saisonniers, en particulier pendant les récoltes. Les pays comptant de nombreuses petites fermes ont un pourcentage particulièrement élevé de travailleurs à temps partiel et de saisonniers. En Roumanie, par exemple, seul 1,5 % de la population agricole a un emploi à temps plein. L’agriculture représentait environ 9,5 millions de postes à temps plein en 2016, soit 4,4 % de l’emploi total dans l’UE. L’importance de l’emploi agricole varie beaucoup d’un pays à l’autre : de moins de 2 % de l’emploi au Royaume-Uni et en Allemagne, à plus de 10 % en Roumanie, en Bulgarie, en Grèce et en Pologne. Et sa part est en baisse : dans les États membres actuels de l’UE, il a diminué de plus d’un quart entre 2005 et 2016. Cela s’inscrit dans une tendance à long terme. En France, par exemple, l’agriculture représentait 27 % de l’emploi en 1955 ; aujourd’hui, elle ne représente plus que 3 %.

Dans certains pays, les fermes aux revenus les plus élevés ne sont pas de gros employeurs, c’est l’inverse en France ou aux Pays-Bas où elles dominent


La plus grande partie du travail dans les fermes est effectuée par les chefs d’exploitation et les membres de leur famille, ce qui représente environ les trois quarts de la main-d’œuvre agricole. Les femmes sont également moins engagées dans l’agriculture (35,1 % de la main-d’œuvre agricole) que dans l’ensemble de l’économie, où elles représentent 45,9 % de la population active. Les deux pays aux plus faibles pourcentages de femmes impliquées dans l’agriculture sont le Danemark (19,9 %) et l’Irlande (11,6 %). L’investissement dans la modernisation du matériel agricole a déjà supplanté une grande partie de la main-d’œuvre et continuera de le faire dans un avenir proche. Les produits chimiques, les machines et la numérisation remplacent les travailleurs, ce qui fait augmenter la productivité. La perte d’emplois dans l’agriculture est un problème particulièrement important pour les pays d’Europe orientale et méridionale, où le chômage est élevé et où les possibilités d’emploi se raréfient.


Les types d’emplois évoluent rapidement. Le travail indépendant et le travail familial diminuent, alors que la proportion de postes salariés augmente. Mais ces emplois sont souvent précaires - les contrats à court terme et la main-d’œuvre migrante sont fréquents. Le travail illégal est également répandu : selon une étude réalisée en 2010 par la Fédération européenne des syndicats de l’alimentation, de l’agriculture et du tourisme (EFFAT), il représente environ 25 % des activités agricoles en Europe.

Par rapport à l’économie dans son ensemble, la productivité agricole est faible : la valeur ajoutée par heure travaillée est bien inférieure à la moyenne. C’est un argument majeur utilisé en faveur de la poursuite des paiements directs aux agriculteurs dans le cadre de la PAC. Mais les revenus tirés de l’agriculture ne sont pas toujours représentatifs de ce que les agriculteurs gagnent réellement car, pour beaucoup, l’agriculture n’est plus leur seule source de revenus. À l’origine, la Politique Agricole Commune (PAC) réglementait les marchés pour stabiliser les prix, en particulier pour les céréales, le bœuf et le sucre. Mais les revenus agricoles moyens ont très peu augmenté. En 1992, les réglementations du marché ont été démantelées et des subventions ont été versées directement aux agriculteurs en fonction de la taille de leurs exploitations. Les prix européens se sont alignés sur le marché mondial et sont devenus beaucoup plus volatils, tombant souvent en dessous du coût de production. En conséquence, les paiements directs représentent désormais une grande partie du revenu agricole moyen. Les paiements sont versés par hectare ou par animal, quel que soit le niveau de prix, et ne compensent pas la volatilité des prix. Lorsqu’ils baissent, comme ce fut le cas pour le lait entre 2014 et 2016, les producteurs rencontrent des difficultés financières extrêmes. Lorsque les prix sont élevés, les paiements vont aussi aux agriculteurs les plus privilégiés.

En moyenne, les revenus dans le secteur agricole européen ont augmenté sur les dix dernières années


L’allocation des paiements par hectare et non par travailleur encourage l’agrandissement des fermes. Elle fait aussi monter le prix des terres, plutôt que de soutenir l’emploi. La réforme de 2013 de la PAC prévoyait une bonification des paiements pour les hectares situés en-deçà d’une certaine limite, cherchant ainsi à favoriser les petites et moyennes fermes qui emploient plus de personnes par hectare. Mais sa répartition a été laissée à la discrétion des États membres. De nombreux États ne l’ont pas du tout versée ; d’autres ont choisi de diluer ses modalités d’allocation. Les États membres ont également refusé une proposition visant à plafonner l’aide à un maximum de 300 000 euros par ferme. En conséquence, la PAC continue de privilégier les grandes exploitations.


Pour pouvoir bénéficier d’un soutien au titre de la PAC, les agriculteurs doivent dorénavant se conformer à certaines pratiques environnementales. Mais une exigence équivalente concernant les normes de travail n’existe pas. Une telle conditionnalité sociale devrait être intégrée dans la PAC : elle devrait inclure la formation des employés, le paiement de salaires adéquats et le respect des normes de santé et de sécurité.