Un premier pilier mal partagé et mal ciblé

Atlas de la PAC

Près des trois quarts du budget de la Politique Agricole Commune sont consacrés aux paiements directs aux agriculteurs. Ces paiements ne répondent plus à leurs objectifs.

Les paiements directs sont le principal instrument d’aide aux agriculteurs dans le cadre de la Politique Agricole Commune (PAC) de l’Union européenne (UE). Introduits pour la première fois dans la réforme de la PAC de 1992, ils sont justifiés comme moyen de soutenir les revenus agricoles. Sur la période budgétaire 2014–2020, les paiements directs représentent 72 % du budget total de la PAC.


Les paiements directs peuvent être couplés à la production ou découplés de ceux-ci. Les paiements directs couplés sont accordés aux agriculteurs sur la base de la quantité produite, à savoir par tonne de blé produite ou par litre de lait, ou liée aux intrants de production, par exemple les hectares de cultures arables ou le nombre de têtes de bétail. Le paiement découplé, lui, est lié à la superficie cultivée, mais aucun agriculteur n’est tenu de produire. Environ 90 % des paiements directs sont découplés. Cela permet aux agriculteurs de prendre des décisions de production sur la base des seuls rendements du marché, sachant que leur choix n’influence pas le montant du paiement qu’ils reçoivent.

Les aides couplées devraient aider les secteurs en difficulté à évoluer. Pourtant, elles sont utilisées pour les maintenir dans le statu quo

Les agriculteurs qui reçoivent des paiements directs doivent respecter certaines règles de base (appelées « conditionnalité »). Celles-ci se réfèrent principalement aux normes législatives relatives à la protection de l’environnement, à la sécurité sanitaire des aliments, à la santé des animaux et des plantes et au bien-être des animaux. Les agriculteurs qui ne respectent pas ces exigences voient leurs paiements réduits.


La réforme de la PAC de 2013 a restructuré les paiements directs. Pour preuve, 30 % de ceux-ci ont été attribués en tant que « paiement vert », pour lequel les agriculteurs doivent respecter trois critères environnementaux. Mais la Cour des comptes de l’UE a montré que ce paiement n’a pas atteint ses objectifs, tandis que les syndicats agricoles déplorent que les règles ne tiennent souvent pas compte de la situation sur le terrain. La Commission propose de supprimer le paiement vert à partir de 2021, en laissant plus de flexibilité aux États membres pour concevoir leurs propres mesures environnementales.

La plupart des nouveaux pays membres de l’UE ont des paiements moyens par hectare inférieurs à ceux des membres plus anciens. Lors des négociations sur la réforme de la PAC de 2013, les nouveaux arrivants ont exigé une répartition plus équitable, avec des allocations nationales basées sur un paiement uniforme par hectare. Le compromis final a introduit une réduction progressive des inégalités de distribution : aucun État membre n’aurait un paiement par hectare inférieur à 90 % de la moyenne de l’UE. Dans les négociations pour la PAC après 2020, ces mêmes pays préconisent à nouveau des paiements uniformes par hectare. Les paiements directs étant liés à la superficie, leur impact sur les revenus agricoles dépend du système agricole. Lorsque la surface n’est pas importante (comme dans la production porcine et avicole) ou que la valeur de la production par hectare est très élevée (vin, horticulture), les paiements directs jouent un rôle limité. Ils sont plus importants pour les cultures arables et l’élevage, où ils peuvent dépasser les revenus tirés de la vente des produits agricoles.

La taille des fermes étant très différente dans l’UE, la répartition des paiements est très inégale. Dans l’ensemble de l’UE, 80 % de ces paiements vont à seulement 20 % des bénéficiaires. Ainsi, plus de 30 % de la somme totale est versée à 131 000 des 6,7 millions d’exploitations agricoles que compte l’Union. Il est difficile de justifier des paiements substantiels à des fermes dont les revenus sont nettement supérieurs à la moyenne de l’UE. La Commission a souvent proposé de plafonner les paiements au-delà d’un certain seuil, mais ces propositions ont toujours été diluées lors des négociations.

Dans de nombreux pays, un cinquième des exploitations reçoit plus des quatre cinquièmes des paiements directs

Les paiements directs ne profitent pas toujours au paysan bénéficiaire. Une bonne partie est captée par l’amont ou l’aval de la filière, par exemple par les propréiétaires terriens qui facturent des loyers plus élevés, ou par les coopératives qui achètent la production moins cher. Même si l’objectif initial des paiements directs était louable, ils ne semblent aujourd’hui plus justifiés : d’abord, parce qu’ils profitent aux agriculteurs les plus aisés (au lieu de soutenir tous les revenus agricoles), ensuite parce que leur montant est le même indépendamment des cours du marché (donc pas réactif face à la volatilité des prix) et enfin parce qu’ils ne sont pas étalonnés en fonction de coûts supplémentaires (malgré les normes contraignantes que les agriculteurs de l’UE doivent respecter par rapport à leurs concurrents). 


En juin 2018, la Commission a présenté des propositions pour la PAC après 2020. Elles maintiendraient les paiements directs comme principal élément. Il s’agit d’une opportunité manquée car ces derniers sont, dans le contexte de l’économie agricole d’aujourd’hui, inefficaces et inéquitables.