Les 25 et 26 novembre 2019, des représentants d'associations et de municipalités européennes se sont rassemblés pour discuter ensemble de la réforme de la politique européenne d'asile et présenter un Plan d'action à destination de la Commission européenne. Ce colloque, organisé en partenariat avec Diakonie et France Terre d'asile, s'inscrivait dans la continuité de la conférence organisée en mars 2019 : "L'asile et la migration : une question clé pour l'Europe", qui avait donné lieu à la Déclaration de Paris.
Des organisations de la société civile issues de 8 pays de l'Union européenne présentent leurs recommandations à destination de la Commission
Quelques mois après la constitution du nouveau Parlement européen et de la Commission von der Leyen, vingt ans après le Conseil européen de Tampere, la société civile et les villes européennes appellent les institutions européennes à mettre en place une politique d'asile solidaire. Ce Plan d'action a été présenté dans le cadre du Colloque européen sur la politique européenne d'asile et d'immigration, organisé en partenariat avec France Terre d'asile et Diakonie, qui a eu lieu les 25 et 26 novembre à Berlin.
Les signataires de cette déclaration sont plus de 30 acteurs de la société civile et des villes d'Allemagne, de France, de Pologne, d'Italie et d'autres États membres de l'Union européenne, s'occupant au quotidien de l'accueil, du conseil et de la prise en charge des réfugiés et des migrants. Ce plan d’action, structuré en 5 priorités, présente à la Commission européenne des propositions concrètes de la société civile européenne pour répondre aux défis migratoires actuels en Europe, dans le respect des normes relatives aux Droits de l’Homme.
Ulrich Lilie, Président de Diakonie Deutschland, explique :
« Nous devons fonder nos propositions sur le nouveau départ qu’avait impulsé le Conseil européen de Tampere : nous avons besoin d’une politique d’asile et d’immigration basée sur les droits de l’Homme et la protection des réfugiés, qui soit soutenue par tous les Etats membres. Nous attendons de la Commission, en tant que gardienne des Traités de l’UE, qu’elle mette un terme à la situation désastreuse des demandeurs d’asile aux frontières extérieures de l’Union européenne. Elle devrait en outre ne pas rendre obligatoire le concept de pays tiers sûrs, qui enverrait un mauvais signal aux pays accueillant grand nombre de réfugiés. »
Pour Ellen Ueberschär, Présidente de la Fondation Heinrich Böll, ce plan d'action est un appel clair à la nouvelle Commission :
« Ce plan d’action est un appel clair pour surmonter les blocages de la politique européenne en matière d’asile et d’immigration. Cela ne peut continuer ainsi. Les acteurs de la société civile et les municipalités qui veulent prendre des initiatives et s’engager en ce sens doivent maintenant être encouragées – au lieu d’être entravées, voire criminalisées. Il est urgent de mettre en place une politique commune en matière d’asile et d’immigration qui soit humaine et fondée sur les principes fondamentaux et juridiques de l’Union européenne. »
Pour Thierry Le Roy, Président de France Terre d’asile, le tandem franco-allemand est particulièrement important :
« La France et l’Allemagne doivent maintenant faire un premier pas ensemble et former une coalition de personnes partageant les mêmes idées, afin de mettre fin à la situation terrible en mer Méditerranée et aux errance inhumaines des Dublinés. Le mécanisme de répartition de Malte est en cela une première étape nécessaire, bien qu’encore insuffisante. Le tandem franco-allemand a un rôle primordial à jouer pour impulser, au sein de la nouvelle Commission, une politique européenne d’asile et d’immigration commune conforme à notre Plan d’action de Berlin. Cela s’adresse aussi en particulier aux gouvernements allemand et français. »
Cinq propositions pour revenir à une politique solidaire en matière d'asile et d'immigration
Retrouvez en bas de page le texte intégral de la Déclaration de Berlin (PDF)
1. Respect de la législation de l’UE en matière d’asile
Tant que l'acquis communautaire ne sera pas (ou plus) entièrement soutenu par tous, il faudra insister sur la mise en oeuvre de tous les règlements et directives existants, comme le soutient le Conseil européen pour les réfugiés et les exilés (ECRE)2. Une réforme du régime d’asile européen commun (RAEC) ne devrait pas être lancée tant que le consensus sur le socle commun de valeurs relatives aux droits de l’homme, à savoir la protection des réfugiés et des minorités ainsi que l’État de droit, n’aura pas été pleinement rétabli.
Nous demandons également à la Commission européenne de faire tout ce qui est en son pouvoir pour mettre fin aux violations des droits de l’homme par les États membres de l’UE, telles que les refoulements violents et illégaux aux frontières extérieures de l'Europe, notamment sur la route des Balkans, à la situation inacceptable dans les « hotspots » des îles grecques, ou encore à la privation de nourriture et aux traitements inhumains aux frontières hongroises.
2. Nouveau départ pour le partage des responsabilités
L’UE doit penser différemment pour encourager une plus grande solidarité entre les États membres. La Commission européenne devrait retirer la proposition du règlement Dublin IV et soumettre une nouvelle réforme afin de mettre en place un système de répartition des réfugiés, une fois arrivés sur le territoire communautaire, qui soit efficace, effectif, et fondé sur les droits. À ce titre, la proposition de résolution législative adoptée par la Commission LIBE du Parlement européen en novembre 2017, qui consacre un mécanisme permanent de relocalisation par le biais d’une procédure de regroupement familial simplifiée et la prise en compte des liens significatifs avec un État membre particulier – comme la famille élargie, les liens culturels ou sociaux et les compétences linguistiques, en remplaçant le critère du pays de première entrée, constitue une piste intéressante. En outre, il est primordial d’associer le demandeur d’asile à la détermination de l’État responsable de sa demande, et de prendre en considération ses souhaits : gagner la confiance des demandeurs d’asile dans le système est un outil plus efficace pour limiter les mouvements secondaires que les sanctions. À cette fin, il est essentiel que les demandeurs d’asile soient informés de leurs droits et de leurs obligations.
Compte-tenu de la situation actuelle dramatique pour les demandeurs d’asile aux frontières extérieures de l’UE, la Commission européenne devrait s’opposer à toute procédure obligatoire aux frontières qui irait à l’encontre des normes du droit d’asile européen. De plus, la Commission ne devrait pas rendre obligatoire le concept de pays tiers sûrs, qui enverrait un mauvais signal aux pays accueillant un grand nombre de réfugiés. La mise en oeuvre de telles mesures menacerait gravement le droit à la protection internationale.
Un nouvel élan politique est aussi nécessaire pour aider les États membres de l’UE confrontés à un nombre élevé d’arrivées à améliorer les conditions d’accueil.
3. Un statut de réfugié à l'échelle de l'UE
Un « statut uniforme d’asile », valable dans toute l'UE, doit enfin être introduit pour les personnes bénéficiant d’une protection, comme le prévoit l’article 78-2 du TFUE.
Ce statut devrait être fondé sur la reconnaissance mutuelle des décisions positives en matière d’asile et permettre aux réfugiés et aux bénéficiaires d’une protection subsidiaire de se rendre dans un autre État membre de l’UE dans un délai raisonnable et sous certaines conditions. Les personnes bénéficiaires d’un permis de séjour humanitaire doivent également être en mesure d’accéder plus rapidement au marché du travail d’autres États européens, en fonction de leur législation nationale et de leurs besoins. Cela permettra d’éviter les mouvements secondaires irréguliers, pendant et après la procédure d’asile, et d’éviter les mesures coercitives.
4. Sauvetage en mer et programme de relocalisation temporaire de l'UE
Tant qu’il n’y aura pas d’accord entre tous les États membres sur un mécanisme de répartition équitable des responsabilités pour l’accueil des demandeurs d’asile au sein de l’UE, il est urgent de mettre en place un programme de relocalisation temporaire pour les demandeurs d'asile qui arrivent dans les États aux frontières extérieures de l'UE.
Le mécanisme dit de Malte, selon lequel les réfugiés débarqués sont temporairement répartis dans d’autres pays de l’UE selon une clé de répartition spécifique, constitue un pas en avant. Il doit cependant être précisé, en s’assurant que les modalités de sa mise en oeuvre permettent le respect des garanties procédurales en matière d’asile et d’éloignement, et des conditions d’accueil dignes en conformité avec le droit européen. Les villes et la société civile qui sont disposées à accueillir ces réfugiés et à les accompagner dans leur procédure d’asile devraient être autorisées à le faire. Tant qu’aucun mécanisme commun n’est acté, un accord plus durable et fondé sur les droits entre les États volontaires devrait être formalisé, avec l’appui de la Commission européenne et du Bureau européen d’appui en matière d’asile (EASO).
Cela doit s’accompagner de la fin de la criminalisation des organisations de secours de la société civile et de la relance d’un programme de sauvetage en mer européen, ou au moins de quelques États. Sauver des vies humaines n'est pas un crime.
5. Faciliter l’accès aux fonds européens pour les organisations de la société civile et les municipalités
Dans plusieurs États européens, les réglementations mises en oeuvre par les autorités nationales limitent l’accès aux financements ou rendent fastidieuse l’exécution des programmes financés, notamment en raison des mesures administratives et de long délais de traitement. Ces dispositions impactent particulièrement les petites organisations de la société civile, et surtout celles dirigées par des personnes migrantes ou réfugiées. Des mécanismes de contrôle devraient déjà être inclus dans les règlementations européennes afin d’éviter les mesures nationales qui empêchent les fonds de l’UE d’être dépensés pour la protection des réfugiés. En outre, des pourcentages minimaux pour l’allocation des fonds du FAMI aux organisations de la société civile devraient être fixés au niveau européen.
Pour promouvoir une meilleure participation de la société civile et des autorités locales aux programmes nationaux du FAMI, d’autres mesures incitatives peuvent être nécessaires, telles que des taux de ressources propres plus faibles pour les acteurs de la société civile. Il est également important d’assurer la complémentarité entre les différents fonds de l’UE qui contribuent à l’intégration, comme le FSE+ et le FAMI. Par ailleurs, les municipalités qui accueillent des demandeurs d’asile à la suite d’un sauvetage en mer pourraient recevoir un soutien financier direct du FAMI, comme le défend le Parlement européen.
En outre, les priorités en matière d’intégration et d’immigration contenues dans l’Agenda urbain pour l’UE, qui a été lancé par l’Union en 2016 pour promouvoir la coopération entre les États membres, les villes, la Commission européenne et d’autres parties prenantes, devraient être prolongées et élargies, y compris la poursuite des possibilités de financement pour les villes et les régions, notamment par le biais de l’initiative actuelle des « Actions Innovatrices Urbaines ».