Extractivisme en Guyane : vers une nouvelle « Espérance » pour les partisans de l’exploitation aurifère ?

Analyse

Il y a moins d’un an, Emmanuel Macron annonçait « avoir changé » et déclarait que la protection de l’environnement constituerait la priorité de « l’acte II du quinquennat ». Mais alors pour quelles raisons, après avoir largement renié son adhésion au projet de la Montagne d’Or, le gouvernement d’Emmanuel Macron soutient désormais un nouveau projet de la concession minière « Espérance » tout aussi néfaste pour l’environnement et tout aussi court-termiste pour le développement de l’économie de la région et pour l’avenir des guyanais ?

Mine industrielle exploitant l'or primaire en filon et l'or alluvionnaire en paillettes

Il y a moins d’un an, Emmanuel Macron annonçait « avoir changé » et déclarait que la protection de l’environnement constituerait la priorité de « l’acte II du quinquennat ». À la même période, celui-ci critiquait de manière ostentatoire le président brésilien Jair Bolsonaro, pour sa gestion désastreuse du « poumon de la planète ». Mais au même titre que l’incendie de territoires amazoniens au profit de grands propriétaire fonciers, l’extraction de l’or ne peut pas être considérée comme une simple transaction marchande. L’or est une ressource naturelle qui existe en quantités limitées, dont l’extraction est extrêmement nocive pour l’environnement mais aussi pour l’équilibre social des populations locales.

La déforestation en Amazonie brésilienne prend un tournant de plus en plus effrayant. Le gouvernement Bolsonaro vient de battre le cynique record de superficie de forêt abattue, avec la disparition entre 2018 et 2019, de 10 000 km². Ce fléau ne risque pas de réduire dans les prochaines années et le président, pour qui cette déforestation est « culturelle »[1], n’entreprendra pas seul ce freinage. Même si la forêt amazonienne guyanaise est aujourd’hui relativement préservée, la déforestation gagne aussi du terrain en France. On estime aujourd’hui que la déforestation en Guyane concerne environ 1000 hectares par an, principalement liée à l’exploitation minière, légale ou illégale.

Le gouvernement français se doit d’être exemplaire dans sa gestion de l’Amazonie pour que l’Union Européenne reste crédible face à ce dirigeant écocidaire et puisse lui imposer des sanctions le moment venu. Cependant, au moment même où le Président français critiquait la gestion des incendies spectaculaires en Amazonie brésilienne, Bruno Le Maire signait un arrêté permettant une nouvelle recherche de mines d’or et de « substances connexes » dans cette même forêt[2].

Trois jours avant les dernières élections européennes, le 23 mai 2019, l’ancien Ministre de la transition écologique François de Rugy annonçait à la sortie du premier Conseil de défense écologique : « Sous la présidence du président de la République, nous avons décidé de constater l’incompatibilité du projet minier actuel Montagne d’Or avec les exigences de protection environnementale ». La décision est apparue pour beaucoup de commentateurs politiques comme de l’opportunisme électoral, à un moment clé de séduction de l’électorat « vert ». En effet, cette décision avait de quoi surprendre puisque le candidat puis Président Emmanuel Macron s’est montré favorable à plusieurs reprises au projet d’extension de la mine[3]. Le gouvernement d’Édouard Philippe et le président lui-même ont dû s’expliquer à plusieurs reprises sur l’arrêt du projet Montagne d’Or dans les riches terres minières de la Guyane et il a définitivement été abandonné en octobre 2019, après que plusieurs ministres aient dû se positionner fermement contre l’extension de la mine[4].

Mais le 29 avril 2020, la Commission départementale des mines de Guyane a émis un avis favorable au prolongement de 10 ans de la concession minière baptisée « Espérance » sur la commune d’Apatou, qui verrait le jour en 2025. Parmi les voix favorables, on compte le président de la collectivité territoriale de Guyane ainsi que d’autres représentants des services étatiques français. La compagnie Minière Espérance (CME) qui porte le projet avec l’entreprise états-unienne Newmont Mining, a précisé dans une dépêche AFP avoir également l’aval du ministre en charge des mines, Bruno Le Maire.

Mais alors pour quelles raisons, après avoir largement renié son adhésion au projet de la Montagne d’Or l’année dernière, le gouvernement d’Emmanuel Macron soutient désormais un nouveau projet tout aussi néfaste pour l’environnement mais également tout aussi court-termiste pour le développement de l’économie de la région et pour l’avenir des guyanais ? Les débats sur l’importance de l’exploitation aurifère en Guyane sont-ils condamnés à revenir éternellement sur le dessus de la table ?

I – De la montagne d’Or à l’Espérance, l’éternel débat sur les opportunités aurifères

          En 2000, Lionel Jospin, alors Premier Ministre, commandait à Christiane Taubira, députée de la Guyane du groupe socialiste, un rapport sur l’exploitation de l’or et « sur les moyens de rendre cette exploitation plus conforme aux intérêts du département et de sa population ». Dans l’introduction, la députée déclare « Je ne suis pas favorable à l’activité aurifère car le métal précieux résonne dans mon imaginaire, ma culture et mon savoir, de paysages dévastés, de pauvres hères épuisés, de femmes monétisées, de financiers replets et repus, de proxénètes impunis, de villages dévergondés, de relations humaines ravagées par la ruse, la défiance, la violence, et enfin, de territoires en haillons, abandonnés dans un silence maussade ».

La Montagne d’Or est abandonnée mais le projet Espérance, nécessitant la même technique de cyanuration pour extraire 20 millions de m3 de roches est en phase d’être acceptée. Bien entendu, la commission départementale n’est pas la seule instance décisionnaire et l’entreprise porteuse de projet devra attendre la décision du conseil d’État, une autorisation administrative et une enquête publique pour débuter les travaux.

L’extractivisme aujourd’hui ne fait plus seulement référence aux activités d’appropriation de produits naturels, minéraux, animaux ou végétaux, en vue de leur commercialisation mais correspond à un modèle d’accumulation fondé sur la surexploitation de ressources naturelles en grande partie non renouvelables, avec des conséquences sur les écosystèmes et sur les populations locales délogées, ce qui se traduit par la multiplication des conflits sociaux en Amérique latine depuis le début des années 1990[5].

Les prémices du projet Espérance montrent d’ores et déjà que la mine industrielle altèrerait gravement la biodiversité, accélèrerait les changements climatiques et intensifieraient la déforestation de la région, selon le collectif « Or de question », rassemblant 21 ONG dénonçant les dérives de l’extraction aurifère. Si la protection de l’environnement est la priorité de nos gouvernements, il est nécessaire de stopper définitivement les débats sur les autorisations de construction de mines industrielles et de chercher des alternatives au développement durable de la région.

II – La nécessaire lutte contre l’orpaillage illégal

          Selon la préfecture de Guyane, environ 10 tonnes d’or sont ramassées chaque année sur le sol guyanais par les orpailleurs illégaux, contre 1 tonne pour l’orpaillage réglementé. On estime aujourd’hui qu’entre 5000 et 10 000 orpailleurs illégaux sont présents dans la forêt guyanaise, souvent issus de milieux modestes brésiliens, prêts à risquer leur vie pour récolter quelques pépites du métal précieux. Ces techniques, extrêmement nocives pour la santé des orpailleurs, sont combattues par la gendarmerie française depuis plus de 20 ans à travers les opérations Anaconda et Harpie. Si les orpailleurs sont prêts à prendre ces risques, c’est que le prix du cours de l’or a flambé dans les 40 dernières années, et que les opérations de contrôle, bien que très coûteuses pour l’État français, ne parviennent qu’à de résultats minimes dans une forêt dense, difficile d’accès et où les frontières avec le Brésil sont floues. La lutte contre l’orpaillage illégal, bien que renforcée depuis 2008, nécessite une restructuration et des moyens de plus en plus importants, dans un contexte où l’extraction illégale est accentuée de jour en jour.

Les méthodes agressives de l’extraction illégale provoquent l’écrémage des ressources, renforce la déforestation et chaque site provoque des dégâts irrémédiables pour l’environnement et pour la forêt amazonienne française. De plus, les techniques de ramassage de l’or en surface génèrent une importante pollution au mercure. Le mercure présent dans les cours d’eau se répand ensuite largement par la pluie sur tout le territoire. Les premiers à souffrir de cette pollution sont les populations autochtones, dont la nourriture principale se constitue de poissons.

Pour les défenseurs des projets miniers industriels, les projets Montagne d’Or et Espérance doivent être vus comme un moyen de lutte contre l’orpaillage illégal. Selon eux, la promotion des mines d’or industrielles permettrait une meilleure surveillance des zones aurifères, d’embaucher de manière contrôlée les travailleurs précaires et de limiter la prolifération des chantiers illégaux d’extraction. Seulement, comme l’explique François-Michel Le Tourneau, géographe spécialiste de l’Amazonie brésilienne et guyanaise, ces arguments sont largement utopiques[6]. Premièrement, les deux techniques d’orpaillage ne ciblent pas les mêmes types de minerai. L’orpaillage illégal ne pouvant se permettre de creuser de long puits, ils se concentrent sur l’or de surface tandis que le projet Espérance prévoit de creuser une fosse de 300 mètres. Les deux types d’extraction peuvent donc subsister et l’industrialisation ne diminuera pas les ressources des orpailleurs clandestins. Sur la question de la création d’emplois directs en Guyane, étant donné que la plupart des orpailleurs clandestins sont originaires du Brésil ou du Suriname, ils ne seront pas directement concernés par les emplois aidés. De plus, étant donné l’image très négative du secteur minier auprès des jeunes guyanais citadins, l’entreprise elle-même s’attend à rencontrer des difficultés à embaucher les jeunes de la région. Les projets industriels auront un impact très relatif sur le taux de chômage du département français. Quant à la surveillance des zones aurifères et donc la réduction des chantiers clandestins, l’objectif est également difficilement réalisable. En effet, il est difficile d’imaginer que Newmont soit capable d’investir suffisamment pour protéger une zone aussi étendue de la forêt. L’opération Harpie dépense d’ores et déjà des millions d’euros chaque année pour freiner l’installation des orpailleurs. Mais ceux-ci parviennent toujours à contourner les contrôles et à s’installer autour de la zone surveillée de la mine, tout en profitant de la modernisation des routes menant à la mine.

Même si l’orpaillage illégal est un problème majeur en Guyane qui mériterait la coordination de tous les acteurs publics pour en réduire l’impact, les projets de mines industrielles ne proposent aucune solution, et ne permettrait qu’un déplacement temporaire et anecdotique des répercussions environnementales.

III – Creuser pour trouver des alternatives à l’exploitation aurifère

          Malgré la multiplication des rapports sur l’exploitation aurifère guyanaise dans les vingt dernières années pointant les effets pervers de l’extractivisme, pour beaucoup de ses défenseurs, son développement reste la seule alternative valable au chômage très élevé du département français. Le taux de chômage s’élevait en moyenne dans les 5 dernières années à 20%, contre moins de 10% en France toutes régions confondues. Le chômage des jeunes de moins de 30 ans atteignait 32% en 2018 et n’est pas en passe de diminuer avec la crise sanitaire. L’essentiel de l’emploi des jeunes se concentre dans l’administration publique et dans l’armée.

La Guyane ne peut pas s’appuyer uniquement sur son potentiel aurifère pour améliorer les conditions de vie de sa population mais se doit de développer son économie dans d’autres filières pour ne pas dépendre uniquement de l’exploitation par des entreprises étrangères des ressources naturelles limitées.

La faune et la flore guyanaise possèdent une valeur économique incontestable en termes de cueillette, d’élevage, de culture et de tourisme.

Avec un plan de formation adapté, la Guyane a la possibilité de développer sa propre filière artisanale, d’écotourisme ou culturelle mais aussi de former plus de locaux aux métiers dont le territoire manque comme ceux de l’administration, des nouvelles technologies, de l’audiovisuel, du domaine sanitaire, de contrôle et de gestion… Le secteur du tourisme en particulier, a un énorme potentiel de croissance puisqu’en 2018, 80% des visiteurs s’y rendaient pour des raisons professionnelles ou affinitaires, ce qui pourrait évoluer avec une véritable politique de mise en valeur du territoire. Un rapport de WWF sur le développement soutenable de la Guyane[7] estime que le tourisme est à même de créer six fois plus d’emplois directs qu’un projet comme celui de la Montagne d’Or et bien plus encore d’emplois indirects. De plus, la filière apporterait pérennité de l’emploi et garantie d’une meilleure répartition de la richesse créée. Selon ce même rapport, le soutien des secteurs de la pêche, du bois, de la forêt, de l’agriculture, des énergies renouvelables, de la construction et de l’agroalimentaire pourrait aboutir à la création de 20 000 emplois au total sur dix ans.

C’est dans une logique de durabilité que doivent se baser les politiques de réduction du chômage et de formation à l’emploi et ainsi permettre « l’Égalité réelle outre-mer » promise sous la présidence de François Hollande dans un contexte de mobilisation historique en Guyane. À l’époque, un dispositif est promis pour rendre la destination « Amazonie européenne » attractive et mettre en valeur les patrimoines naturels et culturels via des investissements publics suffisants. Le plan devait développer les formations au tourisme comme une véritable filière structurante et attractive en Guyane, mais les actions offrant une réelle soutenabilité peinent à venir.

Avant de pouvoir critiquer la gestion brésilienne de l’Amazonie brésilienne, il est nécessaire que le gouvernement français ouvre un réel débat sur les possibilités d’extractivisme sur son propre territoire. Outre les impacts sur l’environnement, les études sur l’extractivisme montrent clairement que ces chantiers génèrent conflits sociaux, dégradation de la santé publique, inflation, diminution de l’offre foncière, déséquilibres de la gestion forestière, pour peu de retombées économiques ou sociales positives pour les populations locales. La décision même d’étudier le projet Espérance en plein cœur du « poumon de la planète » ne peut être que motivée par la recherche de profits immédiats, au détriment de la gestion durable du bien commun, de la préservation des écosystèmes et de réelles alternatives durables pour la Guyane.

 

Bibliographie :

BOS Vincent, VELUT Sébastien, « Introduction. L’extraction minière, entre greffe et rejet », Cahiers des Amériques latines, 82, 2016, p.17-29.

Escat, Sébastien, « Lutte contre l’orpaillage clandestin en Guyane : Ce n’est pas gagné ! », Revue Défense Nationale, n.779, 2015.

Goddard, Jean-Christophe, « Montagne d’Or et résistances amérindiennes », Multitudes, n.68, 2017.

Svampa Maristella, Las fronteras del neoxtractivismo en América Latina, Calas, Guadalajara, 2019.

Hervé Théry, « À quoi sert la Guyane ? », Revue Outre-Terre, n.43, 2015.

Le Tourneau François-Michel, « Le projet Montagne d’Or peut-il assécher l’orpaillage clandestin ? », CNRS, Le journal, 2018, En ligne : https://lejournal.cnrs.fr/nos-blogs/le-blog-des-sept-bornes/le-projet-montagne-dor-peut-il-assecher-lorpaillage-clandestin

WWF, « Vers un développement soutenable de la Guyane », 2017, en ligne : https://www.wwf.fr/sites/default/files/doc-2017-10/20171025_Note_Vers_un_de%CC%81veloppement_soutenable_de_la_Guyane.pdf


[1] Discours prononcé le 20 novembre 2019 à Brasilia par Jair Bolsonaro : « Você não vai acabar com desmatamento nem com queimadas, é cultural ». Traduction de l’auteure : « Vous n’arrêterez pas la déforestation, ni les incendies, c’est culturel ».

[3] Par exemple, le 31 octobre 2017, dans une interview sur Guyane la 1ère, celui-ci déclarait : « c’est un projet qui, je le pense, peut être bon pour la Guyane, parce que je souhaite que la Guyane puisse réussir avec ses atouts. Et je ne suis pas pour mettre la Guyane sous une cloche ».

[4] À titre d’exemple : Élisabeth Borne, ministre de la Transition écologique et solidaire en remplacement de François de Rugy, le 16 octobre 2019 sur Twitter : « Notre position est claire : Le projet #MontagnedOr est incompatible avec nos exigences environnementales, le Gouvernement y est opposé. L’avis de la commission des mines de Guyane ne peut en aucun cas autoriser des travaux d’exploitation, il ne changera rien à notre décision ».

[5] Svampa Maristella, Las fronteras del neoxtractivismo en América Latina, Calas, Guadalajara, 2019.

[6] Le Tourneau François-Michel, « Le projet Montagne d’Or peut-il assécher l’orpaillage clandestin ? », CNRS, Le journal, 2018, En ligne : https://lejournal.cnrs.fr/nos-blogs/le-blog-des-sept-bornes/le-projet-montagne-dor-peut-il-assecher-lorpaillage-clandestin

[7] WWF, « Vers un développement soutenable de la Guyane », 2017, en ligne : https://www.wwf.fr/sites/default/files/doc-2017-10/20171025_Note_Vers_u…