Le Parlement européen a opté le 23 octobre pour une politique agricole commune toilettée. Un texte qui propose des « éco-régimes », censés motiver les agriculteurs dans leur transition. Effort supplémentaire ou statu quo inefficace ? Le débat fait rage.
Christiane Lambert, présidente de la FNSEA et présidente de la COPA, principal syndicat agricole européen
Etes-vous satisfaite de la nouvelle PAC qui a été adoptée vendredi dernier ?
C’est difficile de répondre en un seul mot. Disons que c’est une victoire pour l’Europe, et c’est l’essentiel, sachant que c’est la stratégie commune qui l’a emportée sur des plans nationaux. Et que les éco-régimes seront obligatoires pour tous. Rappelons que plusieurs pays de l’Est refusaient cette logique et que la France et l’Allemagne, entre autres, ont poussé pour qu’il en soit ainsi.
Certains estiment qu’elle ne répond cependant pas aux défis climatiques et de biodiversité. Qu’en pensez-vous ?
Certains voulaient renverser la table mais c’est littéralement impossible. Il y a eu d’énormes pressions. Des parlementaires ont été harcelés à coup de mails toutes les secondes, en Italie il y a même eu des menaces de mort. On est même allé chercher Greta Thunberg pour dire qu’il ne fallait pas voter cette PAC. Bref, les pressions ont été insupportables. On oublie cependant qu’il s’agit avant tout d’une politique pour l’alimentation, même s’il faut tenir compte du respect de l’environnement.
Est-ce à dire que cette PAC en a déjà fait beaucoup pour l’environnement ?
Depuis 2002, on a déjà conditionné les aides avec 21 directives et règlements (oiseaux, habitat, eau, etc.. ) qui étaient traduits en indicateurs à respecter pour les agriculteurs, puis en 2014, 30% des aides directes ont été liées à des exigences de verdissement ( maintien des prairies par exemple). A cela, on ajoute maintenant les 20 à 30 % des éco-régimes. Pour les agriculteurs, cela va représenter une contrainte de plus. On va leur demander de réduire davantage leur empreinte carbone pour toucher autant d’aides. C’est assez punitif. Je suis moins offensive sur ce point car il faut bien trouver des solutions. Mais ces mesures doivent rester soutenables pour les agriculteurs. Or les Verts ne regardent pas tous les aspects que sont l’économie, le social et l’environnemental.
Pour les plus critiques, cette PAC ne fait qu’encourager les grandes exploitations, et donc l’agriculture productiviste au détriment de l’agro-écologie. N’est-ce pas le cas ?
C’est faux. La PAC n’est pas liée au volume produit mais à l’hectare : 80% des soutiens vont à 54% des agriculteurs. Vous voyez bien que l’agriculture européenne est très diversifiée et que l’on est loin d’être dans un modèle « latifundia » comme il en existe en Amérique du Sud par exemple.
Que pensez-vous des objectifs de réduction des pesticides de la Commission Européenne?
Il faut en réduire la consommation mais on ne pourra pas en sortir complètement. Cela reviendrait à demander aux humains de se passer de médicaments ou de vaccins ! Ces produits sont des médicaments qui permettent de soigner les plantes quand elles sont malades, quand elles ont des champignons ou sont attaquées par les insectes. Il faut certes que la recherche aille plus vite pour produire des produits moins toxiques. Mais, en France, on a déjà réduit de 15% le recours aux produits phyto-sanitaires de catégorie A, les plus toxiques. Et 30% des agriculteurs déjà n’utilisent plus de glyphosates. On cherche des solutions. Idem pour la réduction des gaz à effet de serre. Le 25 novembre, par exemple, chez un agriculteur, nous planterons dans la Marne, à Gourgançon, 1 kilomètre de haies avec le Medef en vue de compenser le carbone qui a été émis lors du Congrès ( le REF) qui se tient chaque année fin août. Au total nous planterons 4 kilomètres de haies pour compenser 36 tonnes équivalent de CO2. Il s’agit d’un projet de relocalisation verte ! Le but étant que d’autres entreprises du MEDEF s’intéressent au sujet.
Benoît Biteau, eurodéputé membre du Groupe Europe Ecologie Les Verts (EELV), agriculteur et agronome
Vous jugez cette nouvelle PAC catastrophique. Pourquoi ?
Cette PAC n’apporte rien de nouveau par rapport à la précédente. On a juste changé de vocabulaire. On parle désormais d’ « éco-régime » en lieu et place de « verdissement » (30% d’aides conditionnées) sans que cela n’apporte de véritable marge de progression en terme d’exigence. Et ce, alors que la Cour des comptes européenne avait déjà émis de fortes réserves quant au verdissement de 2013.
Les satisfaits de cette PAC mettent en avant le fait que ces éco-régimes vont s’additionner aux mesures déjà existantes. N’est-ce pas le cas ?
Dire que les éco-régimes vont s’ajouter – comme le fait Renew Europe – au verdissement est une fumisterie. De surcroît, au lieu de simplifier la PAC actuelle qui est déjà une usine à gaz, cela ne fait qu’ajouter un étage de plus au millefeuille administratif.
Le modèle actuel, dites vous, ne va en rien promouvoir l’agroécologie qui serait pourtant plus rentable?
Oui, le problème est que l’on continue de mobiliser l’argent du contribuable pour perfuser un modèle qui n’a plus lieu d’être, car il est marqué par une crise des vocations et un véritable marasme: un tiers des agriculteurs vivent avec 350 euros par mois. On pourrait engager ces sommes colossales – la PAC représente un tiers du budget de l’UE – pour accompagner la transition écologique et entrer dans le cercle vertueux de l’agro-écologie. J’en ai moi-même fait l’expérience. On aurait besoin de moins de subventions pour dégager des revenus et l’on pourrait accompagner plus de personnes.
Dans ces conditions, qu’en sera-t-il des objectifs de la Commission, qui vise notamment une baisse de 50% de l’usage des pesticides d’ici à 2030. Peuvent-ils être atteints ?
Il n’y a pas de conditionnalité donc il n’y a pas de raison pour que l’on avance. A aucun moment nous n’atteindrons cet objectif de 50% de pesticides en moins ni une baisse de 20% des engrais de synthèse s’il n’y a pas, par exemple, de rotation des cultures qui permette de réduire cette dépendance. Nous avions demandé la fin de la monoculture et que l’on impose une rotation tous les 4 ans au moins avec une légumineuse. Que l’on change la densité de l’élevage trop concentrationnaire pour répondre au bien-être animal. Et que les agriculteurs qui veulent continuer à suivre un modèle industriel et productiviste puissent le faire mais sans percevoir d’aides. Mais nous n’avons pas été entendus.
Quelle solution vous reste-t-il pour faire avancer vos arguments au sein de l’UE?
La prochaine fenêtre de tir, ce sera le trilogue, mais compte tenu du fait que le Conseil européen est encore moins-disant que le Parlement qui défend lui-même une position désastreuse, cela reste compliqué. Restent les débats sur les stratégies en terme de biodiversité et « De la ferme à la fourchette » qui donneront, je l’espère, l’occasion de mettre en lumière les incohérences de cette PAC au regard du Pacte Vert porté par la Commission européenne.