Dialogue de sourds sur l’hydrogène propre en Europe

Climatico

Attendus sur une déclaration commune, les 27 Etats-membres ne parviennent pas à s’entendre sur les sources de production de cette énergie.

Hydrogène

Urgence climatique ou pas, la guerre des lobbies continue de sévir au sein de l’UE. En témoigne l’évolution de la stratégie en matière d’hydrogène « propre ». Alors qu’en juillet dernier, la Commission européenne avait indiqué vouloir se centrer sur l’hydrogène renouvelable, les dernières négociations laissent entendre qu’elle ferait de plus en plus de place à d’autres sources d’énergie comme le gaz et le nucléaire. Face à cette dérive, six pays en faveur des énergies renouvelables, le Luxembourg, l’Espagne, le Danemark, l’Irlande, l’Autriche et la Lettonie se sont récemment alliés dans une coalition informelle en vue de peser davantage sur le débat. « Au fil des réunions et des textes qui nous ont été présentés, les énergies renouvelables ne sont plus apparues que comme une option parmi d’autres », rapportent-ils dans un communiqué à l’issue d’un énième conseil sur le sujet. « La terminologie a également évolué : l’UE parle désormais d’ hydrogène « bas carbone » et non plus seulement « à base de renouvelables ». Ce qui laisse le champ libre au nucléaire et au gaz ». A la manœuvre pour promouvoir le gaz, on trouve la Pologne bien sûr, et d’autres pays de l’Est. La France de son côté, silencieuse sur le sujet au niveau national, œuvre en faveur du nucléaire. Tout en soutenant des projets franco-allemands, à travers notamment la production de grands électrolyseurs.

Une coalition pro-renouvelables informelle

Le Luxembourg est l’un des pays à s’inquiéter du poids que pourraient occuper ces autres options sur le long terme.« Notre objectif est de produire de l’hydrogène basé à 100% sur des sources renouvelables », explique Claude Turmes, ministre de l’énergie et de l’aménagement du territoire du Grand Duché. « C’est la seule option réellement durable et sûre. Le recours à d’autres technologies ne peut être qu’une option de court-terme avant de basculer exclusivement vers l’hydrogène renouvelable ». D’autant que, selon lui, les pays défendant l’usage du gaz ne se limiteront vraisemblablement pas à un recours transitoire à ce combustible fossile. « Ils l’envisagent aussi sur le long terme, dès lors que les techniques de captage de CO2 seront mises au point. Ce qui reste une solution encore très hypothétique. Nous n’avons aucune garantie quant à l’efficacité de ces techniques, qui pour l’heure ne permettent de capter que 60 à 70% des émissions liées à la combustion. C’est très insuffisant, sans même tenir compte des émissions de méthane lors de l’extraction du gaz. De surcroît, le stockage ne pourra concerner que des volumes limités, sur des zones bien précises autour de la Mer Du Nord ou des Pays-bas par exemple », prévient-il. 

La filière des renouvelables en campagne

Pour les défenseurs du renouvelable, l’hydrogène en soi – cette « rock star des nouvelles énergies » comme l’avait qualifié le vice-président de la Commission européenne – est sans doute « surévalué ». « L’UE tend à aller vers ce qui brille », relève Aurélie Beauvais, secrétaire générale adjointe chez SolarPower Europe, qui met en garde : l’hydrogène sera toujours plus onéreux que les renouvelables. « Il faudrait déjà tirer parti des bénéfices que nous offrent les renouvelables en termes de prix et, dès lors que l’on aborde l’hydrogène, se centrer davantage sur les secteurs où l’électricité ne peut suffire. Comme l’aviation, le fret maritime ou les industries à très haute combustion telles que les aciéries ». A son sens, le problème réside dans le fait que les Etats-membres jouent désormais des coudes, chacun se prévalant du titre de futur « hub » de l’hydrogène en Europe. De quoi alimenter des logiques de court-terme. « Certains Etats cherchent aussi à amortir leurs actifs existants dans les énergies fossiles ou à trouver des débouchés pour leurs filières nucléaires, en invoquant la nécessité d’énergies de transition pour créer un nouveau marché », explique celle qui est à l’origine de la campagne en faveur de l’hydrogène à base de renouvelables. « Notre stratégie est différente, et consiste d’une part à continuer le déploiement massif des énergies renouvelables qui produiront l’électricité à bas coûts nécessaire à l’essor de l’hydrogène vert, et d’autre part à mettre les moyens dans l’innovation, pour développer des électrolyseurs compétitifs et efficients afin de poursuivre la baisse des coûts de production ».

Blocage et nouvelle réunion

Au plan politique, pour l’heure, ces positions antagonistes n’ont pas permis d’aboutir à un compromis comme cela aurait dû être le cas à l’issue de la réunion des ambassadeurs des Etats membres auprès de l’UE (Coreper) le 27 novembre. Dans les tout prochains jours, ceux-ci devront cependant s’accorder sur une déclaration de politique commune, qui devra être votée à l’unanimité. Bien que non contraignante, elle enverra un signal fort à la Commission européenne. Prochain rendez-vous, le 4 décembre, pour tenter de concilier des points de vues a priori inconciliables.

Article réalisé en partenariat avec la Fondation Heinrich Böll