Déclaration de Rome : un nouveau Pacte sur l’asile et la migration

Communiqué
Au lendemain de la publication du Pacte européen sur l’asile et la migration, France terre d’asile, la Fondation Heinrich Böll, Sant’Egidio et Grei 250 se sont associés pour organiser une Conférence de Rome en ligne, visant à réagir à la proposition de la Commission. Rejoints par une quarantaine d'associations, réseaux et villes européennes, ils publient aujourd'hui des propositions adressées à la Commission européenne pour une politique basée sur le respect des droits humains.
Signataires de la déclaration de Rome

Les 43 signataires de cette déclaration sont des ONG et des associations, des réseaux ainsi que des villes de pays européens qui ont, ensemble, décidé de prendre la parole. En 2019, dans une Déclaration de Paris, elles ont fait face au durcissement des politiques publiques d’accueil des migrants comme des réfugiés. Puis, réunies à Berlin, elles ont esquissé ce que pourrait être un plan d’action pour une nouvelle politique de l’asile.

Aujourd’hui, devant le nouveau Pacte sur l’asile et l’immigration proposé le 23 septembre 2020 par la Commission pour sortir la politique européenne de l’impasse, ces acteurs de la société civile, rejoints par des villes « accueillantes », réagissent par cette déclaration. Bien qu’elle conclut une conférence organisée en ligne, cette déclaration peut être regardée comme une « déclaration de Rome », tant l’Italie représente les défis liés au phénomène migratoire.


Nous demandons aux institutions et aux gouvernements européens de ne pas s’enfermer dans ce Pacte, si manifestement orienté vers les retours, la prévention des arrivées, la défense de frontières de l’Europe.

1) Nous pensons que l’Europe s’est unie et organisée sur le fondement de valeurs qui comportent le respect du droit d’asile et plus largement de droits fondamentaux qui doivent être reconnus aux personnes migrant en Europe autant qu’aux citoyens de l’Union. Le respect de ces valeurs et de ces droits s’impose particulièrement aux Etats membres, qui doivent être sanctionnés lorsqu’ils y manquent, comme à l’Union qui ne saurait rechercher le consensus entre ses membres sur la base de tels manquements.

2) Un pacte européen sur l’asile et l’immigration ne peut ignorer ni les causes ni les conséquences de la mobilité croissante des populations dans le monde, aggravée par la pandémie actuelle. Ce faisant, le nouveau Pacte devrait se pencher sur les modalités de l’entrée sur le territoire, de l’accueil de ces populations en Europe et de leurs droits, au lieu de faire une priorité de la prévention de leur arrivée et de l’organisation de leurs retours voire de leur refoulement.

Il devrait, lorsqu’il traite des relations avec les pays tiers d’origine ou de transit, privilégier les actions qui tendent à améliorer la condition des réfugiés et des migrants, au lieu de chercher à sous-traiter à ces pays les devoirs de l’asile.

3) Le nouveau Pacte fait une place particulière aux procédures à appliquer aux réfugiés et aux migrants qui arrivent aux frontières extérieures de l’Europe, en privilégiant un traitement précoce des demandes d’asile et d’immigration, appliqué à proximité de la frontière d’arrivée.

  • Il rapproche et confond, dans un même lieu et un même temps, une procédure d’entrée et une procédure de l’asile, et soumet l’une et l’autre à un régime de rétention qui peut aller jusqu’à douze semaines ou plus. Il fait ainsi de l’enfermement le premier visage de l’Europe pour tous ceux qui y arrivent sans titre, y compris ceux qui lui demandent asile. Nous pensons que le premier accueil aux frontières de l’Europe doit traiter les demandeurs d’asile sans les enfermer, et pouvoir les orienter de manière prévisible pour l’instruction de leurs demandes.
  • Les procédures envisagées pour l’entrée comme pour l’asile sont, en outre, loin de respecter les droits et la dignité des personnes : pour les demandeurs d’asile, le droit à un examen individuel de leur demande (au lieu d’une orientation sur la base de critères forfaitaires comme l’appartenance à une certaine nationalité) ; le droit de visite, le droit de recevoir des informations et des conseils adéquats d’experts indépendants avant et pendant la procédure administrative ; le droit effectif à assistance et à recours ; la faculté pour tout débouté d’obtenir sur un autre fondement un titre de séjour ; pour les migrants non admis, la dignité des procédures de retour.
  • Une surveillance du respect des droits fondamentaux est bien nécessaire. Nous pensons qu’elle doit être menée de manière indépendante, par des représentants qualifiés d’organisations de défense des droits de l’Homme.

4) Le Pacte trahit sa faiblesse lorsqu’il aborde la question de la solidarité entre Etats membres dans la répartition des demandeurs d’asile. Non seulement, la règle de Dublin III, qui impose une responsabilité prioritaire au seul Etat de première arrivée, est maintenue. Mais le projet d’organiser des mécanismes de répartition obligatoires pour d’autres Etats membres, et prévisibles est abandonné : le Pacte s’en remet à des formes de solidarité volontaires et optionnelles, sans réelles perspectives de relocalisations.

  • Nous pensons que le Pacte doit comprendre, ou permettre, des mécanismes de relocalisation organisés de manière transparente et prévisible entre Etats membres volontaires, en tenant compte des liens effectifs des personnes. C’est particulièrement nécessaire pour les demandeurs d’asile identifiés (voire enregistrés) dans un port à l’issue du débarquement de personnes secourues en mer (sans quoi, comme le HCR l’a souvent dit, les secours en mer risquent de se tarir), et plus généralement à l’issue des procédures qui seraient conduites aux frontières extérieures de l’Union européenne. Nous y voyons une condition de la légitimité de telles procédures.
  • Le Pacte retient le principe de liens significatifs d’un demandeur d’asile pour un pays particulier, permettant à cette personne d’exprimer une préférence, sinon d’exercer une pleine liberté de choix. Les procédures de transfert pour motif familial de la responsabilité des demandeurs d’asile devraient être plus efficaces et inclure un plus grand nombre de cas.
  • Les titulaires de la protection internationale doivent également être autorisés, sous certaines conditions, à s’établir pour des motifs professionnels et pas seulement familiaux, dans des pays membres autres que le pays d’asile sans attendre l’acquisition d’un titre de séjour permanent.

5) Le Pacte, qui se veut inspiré d’une vision d’ensemble de la politique européenne de l’asile et de l’immigration, manque cependant d’éléments essentiels à nos yeux, comme :

  • Des mécanismes pour l’entrée régulière et protégée des réfugiés et demandeurs d’asile, tels que les « canaux humanitaires » déjà expérimentés en Europe pour ceux qui fuient les conflits et les crises de leur pays d’origine.
  • L’immigration de travail, qui est peu ouverte par les voies actuelles de migration légale, qui correspond pourtant à des besoins reconnus dans des Etats membres, et qui vient gonfler depuis quelques années les demandes d’asile.
  • Pour l’asile proprement dit, le défaut d’harmonisation entre Etats membres des conditions d’accueil, et, surtout, des taux de reconnaissance, cause de désordres et d’errances dans les mouvements des demandeurs d’asile en Europe.
  • Le silence sur les politiques d’intégration, y compris pour les réfugiés reconnus, dans les Etats membres. Les possibilités d’intégration conditionnent pourtant toute la chaîne de l’accueil. Concentré comme il l’est sur la question des retours, le Pacte n’en parle guère.
  •  S’adressant aux Etats membres, au Conseil, et au Parlement européen, le Pacte ignore la part croissante prise par les villes dans l‘accueil et l’intégration des réfugiés et des migrants.

 

La Conférence de Rome s’est conclue sur un mot d’ordre de mobilisation, afin de peser sur une négociation européenne qui s’annonce longue. La mobilisation sera recherchée à la fois à trois niveaux :

  • En agissant au niveau des institutions de l’Union européenne, notamment du Parlement européen, mais aussi des Etats membres, pour infléchir les aspects les plus critiquables du Pacte, proposer des alternatives, obtenir des garanties et une surveillance qualifiée des procédures ;
  • En recherchant une coalition large de partenaires intéressés en Europe à promouvoir une politique humaine et digne d’accueil des réfugiés et des migrants : au-delà des ONG et associations et de leurs réseaux, les villes volontaires, les Etats membres disposés à faire bouger les lignes, les chercheurs ;
  • En s ‘adressant aux sociétés et aux opinions des pays d’accueil, en tenant compte de la multiplicité des perceptions mais sans se soumettre aux idéologies xénophobes si présentes, pour faire prévaloir une autre approche culturelle des enjeux migratoires.

Signataires : Arbeiterwohlfahrt Bundesverband e.V. ; A.M.I.S Onlus ; Africa e Mediterraneo ; Africa Express ; Agorà degli abitanti della Terra ; AOI Associazione delle organizzazioni non governative  italiani ; ASGI (Associazione Studi Giuridici Immigrazione) ; CIR Consiglio Italiano per i rifugiati ; CRED (Research and development center for democracy) ; Centro Astalli Palermo ; Diakonie Deutschland ; Differenza lesbica ; Forum Réfugiés Cosi ; Forum per cambiare l’ordine delle cose ; Heinrich Böll Stiftung ; Fondazione Orestiadi ; France terre d’asile ; FIEI (Federazione Italiana Emigrati Immigrati) ; Filef (Federazione Italiana lavoratori emigrati e famiglie) ; Grei250 ; GRIS  (Gruppo Immigrazione e Salute) Sicilia ; Istituto Pedro Arrupe ; ICS Italian Solidarity Consortium ; Italian-Tunisian Forum ; GIGI International legal intervention group ; Link 2017 ; Ligue des droits de l’homme ; La Cimade ; Movimento europeo ; Matilde ; Nigrizia ; Promidea ; Programma Integra ; ProAsyl ; Republican Lawyer Association Germany ; Sant’ Egidio ; Secours Catholique – Caritas ; Società Italiana di Medicina delle Migrazioni (S.I.M.M.) ; Swiss Refugee Council ; Tempi moderni ; Ufficio regionale per le migrazioni della CESI ; UNIOPSS ; Ville de Marseille.