Comment créer une dynamique commune franco-allemande sur une politique de désarmement nucléaire ?

Drapeau ICAN

Quels sont les enjeux du désarmement nucléaire en France et en Allemagne, et comment les deux partenaires peuvent-ils consolider une culture commune du désarmement à l’échelle européenne ? La question était au cœur du webinaire organisé lundi 22 mars par la fondation Heinrich Böll et ICAN France, et auquel ont participé des député-e-s européens et nationaux ainsi que des expert-e-s français et allemands engagés sur les questions de défense et de désarmement.

Ce riche débat a permis d’aborder des questions clés telles que la notion « d’autonomie stratégique européenne » énoncée par le président Emmanuel Macron, le rôle de l’OTAN, ainsi que l’influence du binôme franco-allemand dans l’émergence d’une dynamique de désarmement nucléaire. L’impératif de transparence sur les questions d’armement ainsi que le rôle essentiel joué par la société civile étaient également à l’ordre du jour.  

2021 est une année cruciale pour le désarmement nucléaire : la date du 22 janvier marque l’entrée en vigueur du Traité sur l’Interdiction des Armes Nucléaires (TIAN), premier traité rendant les armes nucléaires illégales au regard du droit international et ratifié à ce jour par 54 pays, tandis qu’en automne prochain doit se tenir la 10ème conférence d’examen du Traité de Non-Prolifération (TNP), un document visant à limiter la diffusion des armes nucléaires. Aujourd’hui, ni la France ni l’Allemagne n’ont ratifié le TIAN, considérant que celui-ci est inadapté au contexte sécuritaire international. Il n’en demeure pas moins que les deux pays tentent – bien que de façon encore limitée – de développer des projets conjoints afin de coordonner leurs politiques de dissuasion, alors que la France et l’Allemagne incarnent deux approches traditionnellement divergentes en matière d’armement nucléaire.

Des initiatives communes en matière de désarmement : renforcer la coopération bilatérale    

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la dissuasion nucléaire est au cœur de la stratégie de défense de la France, qui la considère comme une garantie de souveraineté. Le président Emmanuel Macron a ainsi indiqué en février 2020 que celle-ci « demeure, en ultime recours, la clé de voûte de notre sécurité et la garantie de nos intérêts vitaux. (…) Elle garantit notre indépendance, notre liberté d'appréciation, de décision et d'action ». En Allemagne, l’opinion publique ainsi que les dirigeants sont habituellement plus critiques à l’égard d’une stratégie de dissuasion nucléaire. Ces dernières années, les deux partenaires ont cependant réussi à adopter des positions communes en matière de non-prolifération, rendant leurs actions plus efficaces sur la scène internationale : ils soutiennent par exemple tous les deux l’entrée en vigueur du Traité d’interdiction des essais nucléaires (TICE).  

Ces projets se limitent cependant à la maitrise des armements et ne concernent pas une politique active de désarmement, c’est-à-dire une réduction voire d’une élimination complète des armes nucléaires dans le but de réduire les conflits. L’initiative franco-allemande NUDIVE (Nuclear Disarmament Verification), qui a permis le démantèlement d’une ogive nucléaire, fait figure d’exception.  

Patrice Bouveret et Jean-Marie Collin, experts de l’armement nucléaire et membres de ICAN France, nous rappellent que la France continue de renouveler et de moderniser son arsenal nucléaire. La loi de programmation militaire (LPM) prévoit d’accorder, pour la période 2019-2025, 37 milliards d’euro aux forces nucléaires, leur permettant ainsi d’être opérationnelles jusqu’en 2090. L’Allemagne reste plus ambitieuse en matière de désarmement, du moins dans la rhétorique officielle du gouvernement : le ministre des affaires étrangères Heiko Maas a ainsi réinscrit le contrôle des armements nucléaires à l’ordre du jour du Conseil de sécurité des Nations Unies en 2020 et s’est associé à l’initiative de Stockholm, rassemblant 16 Etats, et dont l’objectif est de renforcer les politiques de désarmement. La multiplication d’exercices communs entre la France et l’Allemagne (à l’image de l’initiative NUDIVE) et l’harmonisation de leurs discours sur cette question permettraient aux deux partenaires d’encourager une dynamique européenne du désarmement nucléaire. 

L’avenir de « l’autonomie stratégique européenne » et le rôle de l’OTAN          

Le président Emmanuel Macron s’est, à plusieurs reprises, prononcé en faveur d’une consolidation du « dialogue stratégique » à l’échelle européenne sur la question de l’armement nucléaire. Cette volonté est jugée relativement abstraite par les experts allemands, voire peu réaliste dans le contexte actuel. L’OTAN apparait en effet encore comme un partenaire indispensable : l’Allemagne a pour ambition de relancer la discussion sur le désarmement nucléaire au sein de cette organisation, en négociant notamment le stationnement des armes nucléaires sur son sol. L’élection de Joe Biden représente une occasion de réanimer le dialogue multilatéral, et constitue une opportunité pour le tandem franco-allemand de négocier d’une seule voix afin de réduire les armements nucléaires à l’échelle mondiale. Les deux partenaires pourraient par ailleurs s’associer afin d’influencer les actuelles négociations sur le renouvellement du traité New Start.

Transparence et place de la société civile en matière de nucléaire         

L’action de plaidoyer des ONGs, associations et citoyens engagés a été déterminante pour le vote du TIAN et pour l’émergence de la question du désarmement dans le débat public, ce qui a été souligné. Le sujet pourrait gagner en visibilité lors des prochaines échéances électorales en France et en Allemagne.

Par ailleurs, le webinaire a fait apparaitre une méconnaissance de la part des citoyens des activités liées à l’armement nucléaire de leur pays : 30% des Français ignorent qu’ils vivent dans un Etat qui possède des armes nucléaires, nous indique Jean-Marie Collin. Davantage de transparence sur ces sujets est exigé de la part des Etats : le détail du budget annuel consacré à l’armement nucléaire demeure opaque, de même que la composition exacte de l’arsenal français, « inférieur à 300 têtes ». Dans cette optique, la mise en place en France d’une délégation permanente au désarmement au Parlement, comme c’est le cas en Allemagne, est souhaitable, et permettrait de renforcer la transparence et le contrôle parlementaire sur ces questions. Les deux Etats peuvent donc mutuellement s’inspirer de bonnes pratiques en la matière.  

Rappelons que l’arme nucléaire demeure l’arme la plus destructrice jamais crée, frappant sans distinction civils et combattants, ce qui est contraire au droit humanitaire. Un missile ASMP-A (la France en détient une cinquantaine) possède une puissance de destruction comparable à 20 fois celle de la bombe larguée sur Hiroshima en 1945. Ce débat à dimension franco-allemande a mis en lumière le fait que La France, en tant que puissance détentrice, et l’Allemagne, en tant grande puissance européenne, ont l’opportunité d’agir de concert afin de favoriser le désarmement et de montrer l’exemple en adhérant au TIAN. Une telle avancée permettrait l’élimination progressive de la menace nucléaire et aiderait à promouvoir la sécurité collective. Seule une sortie résolue et concertée de l’armement nucléaire constitue une réelle garantie de paix.