Une industrie sans grand avenir

Analyse

Le nucléaire a beau ne pas émettre de CO2, c’est une technologie dépassée par l’éolien et le solaire. Sa place dans le mix électrique décarboné de demain devrait être marginale. Au mieux.

Terreur graphique 2
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© Terreur graphique pour Alternatives économiques

« Peu importe que vous soyez pour ou contre le nucléaire. Ce n’est plus le sujet. Tout simplement parce que le nucléaire est devenu hors-sujet. » Mycle Schneider, consultant et coordinateur d’un rapport annuel qui fait référence sur l’état de l’industrie nucléaire dans le monde[1], cite deux chiffres. En 2020, entre mises en service et arrêts définitifs de réacteurs, les capacités nucléaires nettes à l’échelle de la planète ont progressé de 0,4 GW. De leur côté, les capacités électriques renouvelables ont augmenté de 260 GW (un nouveau record malgré le Covid), le solaire et l’éolien représentant 91 % de ce total[2].

Ces deux données disent assez bien dans quel sens pousse le vent. Evidemment, quand il n’y a pas de vent ou pas de soleil, ces sources ne fonctionnent pas. Il faut donc regarder les volumes produits. Depuis 2012, la production électronucléaire mondiale de nouveau progressé, après avoir atteint un maximum historique en 2006 et reculé ensuite. Elle avait presque retrouvé en 2019, avant la crise du Covid, son point haut de 2006, près de 2800 TWh[3], soit 10,3 % de la demande électrique mondiale (les énergies fossiles comptant pour 62,8 % et les renouvelables, hydraulique y compris, pour 26 %). De 2012 à 2019, la production des réacteurs en activité a crû de 325 TWh. Mais dans le même temps, celle des éoliennes et du solaire a progressé de 1522 TWh. En 2019, installations éoliennes et solaires avaient déjà produit 2 154 TWh.

Ces deux sources vont dépasser d’autant plus rapidement le nucléaire que sa reprise depuis 2012 va s’essouffler. Sur 325 TWh de hausse, 250 TWh sont le fait de la seule Chine. Or en Chine, l’essor rapide de ces dernières années semble déjà toucher à sa fin. En effet, c’est le résultat d’une forte croissance de la construction de réacteurs dans ce (seul) pays durant les années 2000 et qui a culminé en 2010. Depuis, le nombre des mises en chantier a été divisé par deux, ce qui va mécaniquement se traduire dans les années 2020 par une progression beaucoup plus faible de la production d’origine nucléaire, tandis que les renouvelables poursuivent leur ascension fulgurante. Pire, la poursuite des mises en chantier est devenue très incertaine.

Hormis la Chine, le monde ne construit pratiquement plus de réacteurs

Nombre de mises en chantier de nouveaux réacteurs chaque année dans le monde entre 1951 et 2020

Graphique 3

Source : WNISR

Peu d'opportunités à l'international

Même à supposer que la construction de nouveaux réacteurs redémarre
à l’international, il y a peu de chances que la France en profite. La Chine a jusqu’ici
poursuivi une stratégie de maîtrise technologique pour fournir son propre marché.
Mais avec le développement de son réacteur Hualong (« dragon » en chinois) et
d’autres succès comme la construction de deux EPR en joint-venture avec la France,
elle démontre son savoir-faire au reste du monde. Elle est devenue un dangereux
compétiteur de l’Hexagone, notamment au Royaume-Uni, qui réfléchit à la mise
en chantier de nouvelles unités. Quant à la France, avec ses contre-performances
sur les chantiers de l’EPR à Flamanville et en Finlande, elle a perdu de son aura. Elle
avait déjà raté le contrat avec Abu Dhabi en 2009 face à la Corée du Sud, et cherche
désespérément depuis 2008 à vendre six EPR à l’Inde, qui préfère investir dans
du solaire et de l’éolien deux à trois fois moins chers, ou passer des contrats avec
la Russie pour ses centrales nucléaires. Le coût de l’EPR français ou son équivalent
américain (AP1000) s’élève entre 7 500 et 10 500 dollars le kilowatt, contre 2 800
à 5 400 dollars pour le Hualong chinois, l’APR1400 coréen ou le VVER-120 russe [1].

[1] L’Usine nouvelle, cutt.ly/enqQ5zt


Une question de coûts 

Cette évolution n’a rien de surprenant. Alors que la meilleure prise en compte des risques du nucléaire en accroît les coûts et la complexité industrielle, l’éolien et le photovoltaïque, beaucoup plus modulables, faciles à maîtriser et à installer, dont les marges de progression sont encore très importantes avant que leur variabilité ne puisse plus être gérée par les capacités pilotables existantes, ont vu ces deux dernières décennies leurs coûts s’effondrer au fur et à mesure de leur développement. Aux Etats-Unis, le coût de production moyen du nucléaire neuf fin 2019 est estimé par le cabinet Lazard à 155 $/MWh (117 $/MWh en 2015), contre 40 $/MWh pour le photovoltaïque (65 $ en 2015) et 41 $ pour l’éolien terrestre (55 $ en 2015). En France, le coût de production de l’EPR de Flamanville pourrait se situer entre 110 et 120 €/MWh[4]. Mais selon les bilans des appels d’offres de la CRE (Commission de régulation de l’énergie)[5], les prix de vente de l’électricité s’établissaient en 2020 à 59,5 €/MWh pour l’éolien terrestre et 52,6 €/MWh (parcs au sol de puissance supérieure à 5 MW). EDF, qui veut construire une première série de six EPR mise à terme sur des coûts de 70 €/MWh (avec une estimation de 85 €/MWh pour les trois premières unités). En France, la baisse maximale de coûts par rapport à une tête de série jamais observée a atteint 16 %[6]. Et si ces nouveaux EPR voient le jour, ce ne sera pas avant 2035, tandis que les renouvelables auront entretemps encore vu leurs coûts baisser.

0,4 GW : c’est la progression des capacités nucléaires nettes enregistrée dans le monde en 2020, contre + 260 GW pour les renouvelables.

Un rôle d'ajustement

Sur le long terme, même lorsque les scénarios prospectifs lui font une place, c’est le cas des travaux du Giec, de l’AIE (agence internationale de l’énergie) ou de l’Irena (agence internationale des énergies renouvelables), le nucléaire occupe en définitive une place marginale dans le mix électrique mondial décarboné de demain. Son importance (très relative) dépend par ailleurs des efforts qui seront faits ou non sur les économies d’énergie. Selon le scénario de l’Irena paru au printemps et construit sur une hypothèse raisonnable de maîtrise de la demande énergétique totale[7], la production d’électricité devrait tripler et couvrir la moitié des besoins énergétiques mondiaux en 2050 (contre un cinquième aujourd’hui). Mais dans ce « mix électrique » de demain, le nucléaire ne compterait que pour 4 % contre 90 % pour les renouvelables.

Le nucléaire est clairement sans réelles perspectives face à la concurrence du solaire et de l’éolien qui le cantonne à un rôle d’ajustement de l’offre à la demande d’électricité. Reste une question : est-il seulement nécessaire pour gérer les fluctuations des productions éolienne et solaire ? Viser un mix électrique 100 % renouvelable ne serait-il pas une meilleure option ?