Liberté, Égalité, Mobilité ?

Atlas des Mobilités

Faire face à l’urgence climatique exige de transformer radicalement nos modes de déplacement. Mais pour entraîner l’ensemble de la société, la prise en compte des inégalités sociales dans les politiques de mobilités est indispensable.

"La précarité" mobilité en France

En France, l’émergence du mouvement des gilets jaunes en 2018 est fortement liée aux problématiques de mobilité. Il s’inscrit en effet dans le contexte d’une forte augmentation des prix du carburant depuis les années 1990 et coïncide avec deux décisions politiques : l’augmentation (progressive) du niveau de la taxe carbone et la diminution de la vitesse maximale autorisée sur les routes secondaires de 90 à 80km/h. Le mouvement prend rapidement une forte ampleur et s’empare des symboles de la mobilité contemporaine : la voiture, le gilet jaune (dont la présence est obligatoire dans les véhicules), les ronds-points. Cette mobilisation sociale a rendu éclatant le risque que comporte la mise en œuvre de mesures écologiques ne prenant pas sérieusement en compte les inégalités sociales.

Elle a notamment mis en lumière le phénomène de « mobilité contrainte », c’est-à-dire l’impossibilité, notamment dans les territoires les moins denses, de renoncer à un usage quotidien de la voiture et aux dépenses qui y sont associées. Le Baromètre des Mobilités du Quotidien estimait ainsi début 2022 à 13,3 millions le nombre de personnes en situation de « précarité mobilité » en France, dépendantes de l’usage de la voiture et vulnérables à l’augmentation des prix du carburant, notamment.

Si l’on regarde les pratiques de mobilité en fonction des revenus, l’Enquête Mobilités des personnes de 2019 montre que les ménages ayant les plus faibles revenus diversifient déjà leurs modes de déplacement et marchent ou empruntent davantage, lorsque cela est possible, les transports en commun. Les ménages les plus riches sont, eux, les mieux équipés en véhicules récents, compatibles avec les zones à faibles émissions mobilité (ZFE-m) qui limitent l’accès aux véhicules les plus polluants dans de nombreux centres-villes et doivent être généralisées dans toutes les communes de plus de 150 000 habitants à partir de 2023 (36% des voitures des ménages les plus modestes sont concernées, car classées Crit’Air 4 ou 5, c’est-à-dire les catégories les plus polluantes). Alors que les 10% les plus riches font près de 15 000 kilomètres par personne et par an et les ménages les plus pauvres seulement 3 200 kilomètres, ces derniers sont les plus vulnérables à ces évolutions. Les ménages les plus riches sont également ceux dont les déplacements sont les plus émetteurs de gaz à effet de serre et ceux sur qui les efforts doivent nécessairement davantage porter pour atteindre les objectifs climatiques dans une logique de justice sociale.

En matière de mobilité, des émissions de gaz à effet de serre très liées aux niveaux de vie
Les ménages les plus riches sont également ceux dont les déplacements sont les plus émetteurs de gaz à effet de serre et ceux sur qui les efforts doivent nécessairement davantage porter pour atteindre les objectifs climatiques dans une logique de justice sociale.

L’accompagnement social et les politiques de redistribution sont donc indispensables, tant pour réduire les inégalités sociales que pour l’acceptation et l’appropriation de la transformation des mobilités. Plusieurs mesures ont été prises dans le cadre de la Loi d’orientation des mobilités et de la loi Climat et Résilience, qui fait suite à certaines propositions de la Convention citoyenne pour le climat. Ainsi, un « forfait mobilités durables », qui doit permettre aux salariés de bénéficier du remboursement de leurs dépenses pour l’usage d’un mode durable (vélo, transports en communs, covoiturage notamment) pour un maximum de 600€ par an et par salarié, a été mis en place. Il demeure facultatif et son application limitée – certaines ONG demandent qu’il soit rendu obligatoire.

Pour accompagner la décarbonation des véhicules individuels, plusieurs dispositifs existent : les deux principaux sont le bonus écologique - une aide à l’achat de véhicules peu polluants neufs (jusqu’à 5000€ pour l’achat d’un véhicule électrique neuf) - et la prime à la conversion - une aide similaire dans le cas de la mise à la casse d’un véhicule polluant. Mais le prix d’un véhicule électrique à l’achat reste encore élevé pour les ménages moins favorisés. Une prime au « rétrofit » - le changement du moteur thermique par un moteur électrique sur un véhicule, lui donnant ainsi « une seconde vie » - est également disponible. Enfin, une expérimentation doit être lancée de 2023 à 2025 dans certaines ZFE-m : un dispositif de prêt à taux zéro pour l’acquisition de véhicules peu polluants. Ces mesures ne résolvent toutefois pas la question des usages et du « tout-voiture ».

Les transports collectifs jouent un rôle important. Les personnes vivant en milieu urbain restent fortement favorisés, y ayant davantage accès, de même qu’aux transports ferroviaires rapides et de longue distance tels que le TGV. La lutte contre les inégalités en la matière passe par des politiques de tarification adaptée : certaines communes ont ainsi recours à la gratuité des transports – son efficacité fait débat et dépend notamment de la taille des villes et de la saturation des réseaux –, d’autres à des tarifications solidaires (permettant aux foyers aux revenus modestes de voyager gratuitement ou quasi-gratuitement). Ailleurs en Europe, des initiatives voient le jour, qui lient réduction des émissions et incitations tarifaires : le Klimaticket en Autriche permet de voyager en illimité dans tout le pays, réseaux ferroviaires et de transports en communs, pour 3€ par jour (1000€ par an). En Allemagne, un ticket donnant accès à tous les transports en communs locaux et régionaux, expérimenté à l’été 2022, doit permettre de réduire massivement la consommation d’énergies fossiles dans le contexte de la guerre en Ukraine et inciter à l’utilisation du train et des transports collectifs pour un tarif très avantageux : 9€ par mois.

Agir sur les tarifs ne résout cependant pas le problème de l’offre de transports, de leur confort et de leur accessibilité. La lutte contre les inégalités passe ainsi surtout par des politiques publiques au service d’une meilleure desserte des populations vivant dans les espaces périurbains ou peu denses et d’une amélioration de la coordination des différents modes de transports (correspondances et horaires adaptés). Plus largement, les inégalités en matière de mobilités s’inscrivent dans un contexte plus large et leur résorption implique de réfléchir à l’aménagement du territoire et aux pratiques permettant de réduire les distances parcourues quotidiennement (télétravail, espaces de coworking, meilleure accessibilité ou mobilité des services publics et des commerces essentiels) pour réduire la dépendance à la voiture, les émissions de carbone et la pollution atmosphérique. Et ce, d’autant plus que les inégalités environnementales et sociales se recoupent : les plus pauvres étant plus exposés et plus vulnérables à la pollution de l’air.

Sources : 
Wimoov & Fondation pour la Nature et l’Homme (2022), Baromètre des mobilités du quotidien. 2e édition, https://bit.ly/3aDiswv | Chassignet, M. (2022), Mobilité : ça roule pour les riches, https://bit.ly/3GJoo2L | Energy Cities (2021), Qu’est-ce que la précarité liée aux transports et comment les villes peuvent-elles y remédier ?, https://bit.ly/3tbdMo3 | Szeftel, E. (2022), Mobilité : et si l’Etat faisait un bout du chemin ?, https://bit.ly/3MgU4O5 | Réseau Action Climat France (2022), Sortie des véhicules diesel et essence : où en sont les villes françaises ?, https://bit.ly/3GKczJL | Réseau Action Climat France (2021), Pollution de l’air et inégalités sociales : 10 informations à retenir, https://bit.ly/3m7oW9j