Perspectives d’emploi contrastées dans les transports

Atlas des Mobilités

A première vue, le secteur paraît en bonne santé avec des emplois en progression. Mais dans la logistique et le fret, qui sont en plein essor, la précarité gagne du terrain. L’aérien est, quant à lui, menacé par des restructurations.

Portrait du travailleur des transports

L’emploi dans le secteur des transports continue de progresser en France. Le secteur comptait 1,538 million de salariés mi-2021, son plus haut niveau en deux décennies. Derrière cette bonne santé apparente, la réalité du secteur, en pleine mutation, est contrastée. Le transport est en effet l’une des branches économiques où les ruptures d’emploi ont été les plus nombreuses pendant la crise sanitaire, avec la métallurgie, les bureaux d’études et l’hôtellerie-restauration.

Au sein de la branche elle-même, certaines activités se portent bien. L’Insee intègre dans les statistiques du transport l’entreposage et la logistique, des activités qui se sont développées pendant la crise sanitaire avec l’explosion des livraisons à domicile. C’est dans ces domaines que l’emploi progresse le plus rapidement. Les entrepôts gigantesques que l’on voit se déployer en bordure d’autoroutes ne font pas qu’accaparer les sols : ils font aussi appel à de la main d’œuvre, au point de modifier la carte de l’emploi ouvrier. Ainsi, en Île-de-France, il y a désormais plus d’emplois ouvriers dans la logistique que dans l’industrie, un phénomène constaté dans de nombreuses métropoles et qui s’accompagne d’une hausse de la demande de fret.

Le fret représente d’ailleurs le premier poste d’emplois dans les transports. La tendance accélère au point que les entreprises peinent à recruter des chauffeurs de poids-lourds sur longue distance. C’est dans ce métier que l’indicateur de tension est le plus élevé.

Comparativement aux autres secteurs, le fret, qui recourt massivement à l’emploi intérimaire, se distingue par la relative précarité qui y règne. Ce phénomène est accentué par les activités de cabotage, dont la France est le deuxième pays de destination en Europe, c’est-à-dire l'acheminement de marchandises ou de passagers sur une courte distance sur le territoire national par un transporteur européen, non-établi en France. En pratique, de nombreux chauffeurs routiers européens travaillent en France une partie de leur temps de travail, avec un régime encore plus précaire que leurs collègues français, sans que leur activité soit officiellement prise en compte dans les statistiques françaises.

Les chauffeurs de VTC, taxis, livraison constituent une autre activité de transports spécifique en progression dans l’Hexagone. À l’inverse, le secteur aérien est en plein marasme. Pendant la crise sanitaire, l’emploi y a plutôt mieux résisté que dans d’autres pays d’Europe, notamment grâce aux plans d’aide massifs et rapides de l’État français au principal employeur du secteur, Air France. La compagnie nationale a reçu plus de 7 milliards d’euros d’aide sous forme de prêts. Elle a néanmoins supprimé plus de 7 500 postes, à l’instar d’autres compagnies aériennes confrontées au recul des réservations. La chute du trafic a également affecté les aéroports, notamment les emplois indirects dans le domaine du nettoyage ou de la restauration.

À l’échelle européenne, l’écosystème des transports au sens large, c’est-à-dire y compris la production et la vente de véhicules, emploie 16 millions de personnes. Mais les objectifs de réduction des émissions le condamnent à une mutation certaine. En France, pour ne citer qu’elle, les transports constituent la première source d’émission de CO2 (31 % des émissions nationales en 2019), dont 94 % sont dues au transport routier (source Citepa 2020).

La Stratégie nationale bas-carbone (SNBC) recense cinq leviers pour limiter l’impact carbone des transports : la modération de la demande de transport, le report vers les modes peu carbonés, l’optimisation du remplissage des véhicules, l’amélioration de l’efficacité énergétique et enfin, la décarbonation de l’énergie utilisée. Ces évolutions auront inéluctablement un impact sur les perspectives d’emploi dans le secteur, en particulier sur les activités liées au transport des voyageurs.

L'Europe de l'Est concentre la plus forte densité des travailleurs du secteur
Les pays d’Europe de l’Est, et notamment la Roumanie et la Bulgarie, emploient de très nombreux travailleurs dans les transports, notamment dans le transport routier international.

L’évolution des modes de vie et le développement du télétravail devraient en toute logique faire reculer le besoin de mobilité quotidien, tandis que les modes de transport peu carbonés et actifs, comme la marche et le vélo, gagneront du terrain.

L’essor du numérique et la multiplication des applications liées aux services de transport affecte aussi l’emploi de manière ambivalente. Des outils comme Uber, Deliveroo ou Waze ont tendance à entrainer une précarisation croissante des emplois dans le secteur. Les chauffeurs sont de plus en plus contraints d’endosser un statut d’auto-entrepreneur, synonyme de revenus modestes et de protection sociale faible voire inexistante. Et les abus sont légion : ils s’exercent notamment aux dépens de personnes sans-papiers, qui effectuent les livraisons à la place des auto-entrepreneurs contre une faible rémunération en liquide. En outre, si une large part de la population active bénéficie aujourd’hui de journées de télétravail, les métiers du transport sont peu praticables à distance, à l’exception des fonctions support. Les travailleurs du transport ont donc tendance à être exclus des évolutions des modes de vie post-Covid, qui bénéficient essentiellement aux employés du tertiaire. 

À moyen et long terme, le secteur aérien, qui employait 83 000 personnes en 2019, sera le plus pénalisé par l’appel à la sobriété énergétique. Selon l’essai du Shift Project et de Supaero-Decarbo, « Pouvoir voler en 2050 ? », les fonctions support (informatique, RH, commercial, finance) représentent 40 % de l’emploi aérien en France. Ces salariés peuvent envisager d’intégrer des postes comparables dans d’autres secteurs de l’économie. En revanche, il n’existe pas de telles équivalences pour le personnel navigant commercial (PNC, 22 % des salariés). « Les PNC remplissent une mission de sûreté et de secourisme d’une part, de relation client d’autre part. Cette population est multilingue, adaptable, habituée aux déplacements et formée au secourisme, autant de compétences précieuses dans une société bas-carbone : tourisme local, aide à la personne, transport ferré par exemple », suggèrent néanmoins les auteurs.

La construction automobile et aéronautique, deux filières très développées en France – respectivement 400 000 et 300 000 emplois, sont-elles-aussi sous pression. Les grands constructeurs automobiles ont déjà commencé à réduire la voilure. Du côté de l’aéronautique, le paysage aussi est en train d’être remodelé. En 2020, le nombre d’embauches s’est effondré de 50 %. La région Occitanie, où est basé Airbus ainsi que de nombreux sous-traitants, est devenue la région française avec la plus forte prévalence de chômage en 2021. Dans ce secteur comme dans celui de l’aérien, l’emploi, souvent très qualifié, est au défi de se réinventer.

La livraison, grande gagnante des confinements

Sources :
Raimbault, N. (2020), Nouveaux emplois ouvriers, nouveaux territoires ouvriers ? Une comparaison des géographies professionnelles et résidentielles des ouvriers de l’industrie et des ouvriers de la logistique en Île-de-France, https://bit.ly/3GP6dZT | The Shift Project & Supaero Decarbo (2021), Pouvoir voler en 2050. Quelle aviation dans un monde contraint ?, https://bit.ly/3m5Ff6l | Ministère de la Transition Écologique (2020), Data Lab. Bilan annuel des transports en 2019 : emploi et salaires, https://bit.ly/3M3CCws | Commissariat général au développement durable (2017), Les non-salariés dans le transport : Hausse des effectifs et baisse du revenu d’activité entre 2009 et 2014, https://bit.ly/3PU2tdt