Nous savons que nos voitures seront majoritairement électriques demain. Mais pour un secteur qui emploie plus de 400 000 personnes en France, la conversion de la production n’est pas sans danger. Les nouvelles activités de la révolution écologique ne compenseront pas les destructions de poste.
Début 2022, les véhicules électriques et hybrides représentent désormais 20% des immatriculations en France, sur un marché globalement en baisse (-20% en un an). Le virage vers l’électrique constitue une étape clé pour engager la décarbonation des transports, la fin de l’usage des carburants fossiles étant attendue d’ici 2050 pour répondre aux objectifs climatiques. C’est en ce sens que la Commission européenne a proposé que 100% des véhicules neufs mis en circulation soient “zéro émission” d’ici 2035. Cet objectif implique une conversion massive à l’électrique, qui est aujourd’hui la technologie la plus mature et la moins émettrice de gaz à effet de serre, même si d’autres solutions, de type hydrogène ou biogaz, pourront se déployer pour des usages spécifiques ou de manière territorialisée.
La décarbonation totale du secteur des transports nécessitera d’aller plus loin, en réduisant les émissions sur l’ensemble du cycle de vie, sur la phase de production et de fin de vie : réduction des consommations d’énergie et de matériaux, des pollutions industrielles, recyclage, réemploi.
Le virage vers une économie circulaire constitue un défi inédit pour les acteurs de l’automobile en France, les constructeurs, les équipementiers mais aussi les sous-traitants implantés dans le nord-est du pays. Les entreprises sont nombreuses à vouloir anticiper ces transformations en se positionnant, par exemple, sur la production de batteries. C’est le cas des acteurs historiques comme Stellantis avec la gigafactory en cours d’installation sur son site de Douvrin ou Renault avec le pôle ElectriCity à Douai ou d’acteurs émergents tels que Verkor.
L’enjeu à moyen terme pour le secteur est bien de constituer une filière intégrée, de la fabrication des batteries jusqu’au recyclage et à la gestion de la fin de vie.
La transformation du secteur se fait de manière rapide et est amenée à s’accélérer. La France a annoncé, au travers de deux plans de relance dédiés à l’automobile, en 2020 et 2021, un objectif de production d’un million de véhicules électriques en 2025 – l’équivalent du nombre total de véhicules produits en 2019 - puis de deux millions à l’horizon 2030. Cela signifie que 100% de la production sera convertie en moins de dix ans, avec tous les risques et opportunités que comporte une transformation d’une telle magnitude.
Le premier risque à considérer est celui d’une baisse relative de l’intensité en emplois dans l’industrie : avec l’ensemble de ses composants, la production d’un moteur électrique requiert 40% de main-d'œuvre en moins que celle d’un moteur essence et 60% de moins comparé au diesel, encore dominant dans la filière française. Cette réduction du besoin de main d'œuvre l’impacte d’autant plus qu’elle est en déclin et donc moins réactive : depuis 10 ans, l’automobile française a connu 100 000 suppressions d’emploi, ce qui en fait le secteur numéro 1 en termes de destruction d'emploi dans le pays.
Le second risque est lié à la redistribution des cartes entre les bassins d’activités, plus ou moins attractifs pour les nouveaux projets industriels. Si aujourd’hui plusieurs projets structurants dans l’électromobilité voient le jour dans les Hauts-de-France ou dans l’hydrogène en Rhône-Alpes, dans d’autres régions, telles que la Bourgogne-Franche-Comté, le Grand Est ou la Normandie, l’absence de projets équivalents menace d’affaiblir le tissu industriel de manière irréversible.
Le principal facteur de la baisse d’activité et d’emplois réside dans les arbitrages internationaux des grands donneurs d’ordres du secteur : délocalisations, approvisionnement dans les pays à bas coût et abandon de la production des petits modèles. Ces stratégies s’inscrivent dans un contexte européen marqué par une absence de stratégie industrielle coordonnée, qui a alimenté les pratiques de dumping social à l’intérieur de l’Union européenne. Les sites français, affaiblis par le manque de stratégie industrielle propre et un dialogue social atone, n’ont pas pu tirer leur épingle du jeu et subissent les effets du désinvestissement.
Dans ce contexte, le secteur automobile est apparu au premier plan des politiques de relance post-Covid, qui affichent une volonté de réindustrialiser, de relocaliser et de miser sur la transition écologique. Mais le manque de solidarité au sein de la filière, entre donneurs d’ordre et sous-traitants, est criant. Le renforcement de la concurrence après la pandémie fragilise notamment les sous-traitants ; les besoins en investissement sont autant de pressions supplémentaires sur les coûts de production et la compétitivité française.
Ainsi, quel que soit le scénario, des pertes d’emplois importantes sont envisagées dans les cinq à dix prochaines années. L’Observatoire de la Métallurgie évalue à 65 000 le nombre d’emplois menacés d’ici 2030 sans politique industrielle volontariste. Pour la filière moteur spécifiquement, qui compte jusqu’à 85 000 salariés, le syndicat CFDT et la Fondation pour la Nature et l’Homme estiment que 16 000 emplois sont menacés dans les dix ans quelle que soit la politique menée.
Les acteurs de la métallurgie mettent néanmoins en avant les nouvelles opportunités d’emplois, qui pourraient atteindre jusqu’à 15 000 postes dans la production de batteries, 9 000 dans le recyclage, 5 700 dans le rétrofit, c’est-à-dire le remplacement d’un moteur thermique pas un moteur électrique. Pour autant, dans les sites industriels, le constat est clair : les créations d’activité ne compensent pas les emplois perdus. Un ouvrier de fonderie ne trouve pas nécessairement de reclassement dans les usines de batteries, qui se situent de toute façon dans d’autres bassins industriels. Il n’y a pas de compensation des emplois perdus. Par ailleurs, quand les emplois sont détruits, les compétences ne se transmettent plus, elles finissent par se perdre et le tissu industriel se dégrade.
L’un des enjeux prioritaires pour la filière est donc de valoriser les compétences et savoir-faire des salariés, de former ces derniers aux nouvelles compétences clés et d’accompagner à la conversion de chacun d’entre eux et de chacune de leurs entreprises. C’est à ces conditions que la filière pourra rester attractive demain, notamment vis-à-vis des jeunes générations.
Mais surtout, la transition vers une économie écologique ne pourra se passer d’un réancrage des activités dans les territoires, au plus près des besoins. Pour l’automobile, cela implique une relocalisation des approvisionnements. Cela signifie aussi, à rebours de la tendance actuelle, de voir réémerger la production de petits segments (les citadines par exemple), aujourd’hui disparus des circuits français alors qu’ils sont en tête du marché, et d’innover pour des véhicules vraiment plus légers (2-3 places).
L’industrie automobile en France est à un carrefour : son avenir dépendra des choix de politique industrielle et de la capacité des acteurs de la filière, constructeurs, équipementiers et sous-traitants, à répondre aux défis qui sont ceux du 21e siècle : la lutte contre le changement climatique et la préservation des ressources naturelles. Pour survivre, elle devra réconcilier emploi et climat, autrement dit, offrir des perspectives d’avenir aux salariés et aux territoires dans un monde qui doit être plus sobre. La manière dont ce secteur clé mènera ou non à bien ses transformations aura un impact sur l’ensemble de la transition de l’économie française.
Sources :
Observatoire de la Métallurgie (2021), Les impacts des mutations de la construction automobile sur l’emploi et les compétences, https://bit.ly/3x12Fir | Syndex (2021), Automobile : comment relever le défi d’une transition juste ? Une étude co-réalisée par Syndex, la CFDT et la Fondation Nicolas Hulot, https://bit.ly/3zakDBH