La fragmentation des territoires, facteur d’inégalité

Atlas des Mobilités

Le mouvement des « gilets jaunes » a jeté une lumière crue sur la dépendance des ruraux à l’automobile. Mais ce n’est que l’un des facteurs d’inégalité entre les territoires urbains et la campagne.

Les transports, points faibles du monde rural

Les fossés d’inégalités ont tendance à se creuser en France, en particulier celui qui divise les territoires ruraux et urbains. Si le phénomène n’est pas nouveau, il s’est accéléré ces dernières années propulsant la question du transport et de son coût au cœur de l’actualité. Cela a notamment été le cas lors de la crise des « gilets jaunes » qui a secoué la France entre 2018 et 2019. C’est en effet l’annonce d’une augmentation de la taxe carbone, qui aurait dû se traduire par une augmentation du prix du carburant, qui avait mis le feu aux poudres.

La mobilisation des « gilets jaunes » a jeté une lumière crue sur les difficultés de la population vivant en milieu rural à se passer de la voiture, faute de disposer de solutions de transport alternatives. Les populations rurales ne sont d’ailleurs pas les seules concernées : les habitants des zones périurbaines de plus petites villes, où les transports en commun sont peu, voire pas du tout développés, sont dans la même situation.

Interrogés en 2019, à 70 %, les participants au mouvement ou leur soutien déclaraient ainsi vivre à l’intérieur ou à proximité de petites villes, souvent enclavées, où, sans voiture, le déplacement prend des allures de casse-tête. Aurillac, la ville considérée comme la plus enclavée de France en raison de sa situation géographique au milieu des montagnes est emblématique de ces difficultés. Toutefois, l’isolement géographique n’est pas le seul en cause. Certaines villes pourtant proches de Paris souffrent beaucoup plus du chômage et de problèmes économiques qu’Aurillac, une situation aggravée par la faiblesse des services publics de transport, comme c’est par exemple le cas à Grigny, dans le département de l’Essonne.

La place centrale de la voiture et les contraintes financières qui en découlent est facilement associée à un mode de vie : celui de la France des petits propriétaires de pavillons en zone périurbaine, dont l’accroissement a été encouragé par les gouvernements successifs à coup d’incitation à construire et d’aides fiscales sur l’accession à la propriété. Sur les quelque 35 millions de logements que compte la France, une large majorité (19 millions) sont des logements individuels. On estime également que 55 % des Français vivent dans des maisons.

Ce modèle est aujourd’hui remis en cause. Ces zones pavillonnaires, qualifiée « HLM à plat » par Anne Lambert, chercheuse à l’Institut national d’études démographiques (INED), ont parfois aggravé l’enclavement d’une partie de la population. La forte croissance des villes et de leurs zones périurbaines comme à Toulouse, Nantes, Bordeaux ou Montpellier a provoqué un étalement urbain. Les projets d’aménagement urbain en matière de transport n’ont pas été à la hauteur de la montée en flèche de la population dans ces agglomérations au cours des deux dernières décennies.

Une concentration très richesse différente entre rural et urbain
Les territoires ruraux peu denses ou très peu denses éloignés des pôles d’influence concentrent le plus de ménages pauvres ou modestes.

Alors que le TGV a fêté ses 40 ans en 2021, la centralisation historique de la France continue de se perpétuer. Certaines métropoles ont largement profité de la croissance urbaine, mais c’est l’Île-de-France qui reste le pôle d’attraction majeur de l’activité économique. Selon l’INSEE, 38 % des emplois créés en France entre 2006 et 2016 l’ont été en Île de France.

Une France mi-rurale mi-urbaine

Alors que l’emploi se développe dans les métropoles, les Français semblent pourtant aspirer de plus en plus à s’en éloigner pour la campagne. Dans une étude publiée par l’Ifop en 2018, 43 % des Français assuraient souhaiter vivre à la campagne, tout en travaillant en ville. Aux yeux des Français, qui sont majoritairement citadins, la campagne offrirait de nombreux avantages en termes de qualité de vie et de l’air, de calme, le contact avec la nature ainsi qu’un coût de la vie plus raisonnable qu’en ville.

La réalité est plus nuancée. La campagne française est parfois isolée. Les services médicaux y sont en net recul : dans certaines zones, il faut parfois plusieurs semaines pour décrocher un rendez-vous avec un généraliste, voire des mois pour consulter un spécialiste. Faute de médecins et de services d’urgence, l’espérance de vie est désormais inférieure de deux ans à la campagne par rapport à la ville. Celle d’un Français habitant dans un département très rural tel que l’Ariège n’excède pas 78 ans, alors que son concitoyen installé dans un centre-ville peut espérer atteindre 80 ans.

Cela n’a pas empêché l’habitat individuel de se développer en zones rurales depuis vingt ans, en particulier dans les territoires les mieux desservis par des routes. Or, alors que l’habitat a eu tendance à s’émietter, les services publics et commerces, eux, se sont à l’inverse raréfiés et concentrés, allant jusqu’à peser sur l’attractivité de certains territoires. C’est ce que soulignait un rapport parlementaire en 2019 : l’accès aux services publics – écoles primaires, bureaux de poste, maternités et gares – s’est détérioré dans les petites communes et les territoires ruraux sur la période 1983-2013. L’accès à Internet, tributaire des capacités de télécommunications qui restent insuffisantes dans certains territoires, voire absentes dans les « zones blanches » rurales, a accentué cette fracture.

En parallèle, la distance entre le travail et le domicile a fortement progressé. Selon l’INSEE, 9 millions de personnes, soit un tiers des actifs, ne travaillaient pas dans leur intercommunalité de résidence en 2016, soit 12 % de plus que dix ans auparavant.

Le coût de cet éparpillement est élevé en termes absolus. Mais il pèse encore plus sur le budget des ménages les plus modestes, qui subissent des surcoûts spécifiques, ainsi que le montre une note de recherche publiée en 2019 par l’Institut des hautes études d’aménagement des territoires (IHEADATE) parue en 2019. En plus du coût financier, le temps d’accès aux services et au travail empiète de manière significative sur l’organisation de la journée. Ainsi, comme le souligne Thierry Pech, l’auteur de cette étude intitulée « La fin de la paix territoriale » : « La moitié des Français ayant un emploi résident aujourd’hui à plus de 15km de leur travail (2km de plus en moyenne qu’en 1999, soit une croissance de 1 % par an). 80 % se déplacent en voiture (90 % dans les zones peu denses) et seulement 15 % en transport en commun ».

Les spécificités de l’habitat, des transports et du tissu économique dans l’Hexagone valent ainsi aux Français d’être les détenteurs d’un record peu enviable à l’échelle de l’Union européenne : celui d’avoir à effectuer au quotidien les plus longs temps de trajet.  

Sources :

Famille Rurales & IFOP (2018), Territoires ruraux : Perceptions et réalités de vie,
https://bit.ly/3PSlxZC  | Pech, T. (2019), Conférence inaugurale 2019 : La fin de la paix territoriale ?, https://bit.ly/3M5Cug7