Les 22 millions de personnes qui vivent, en France, dans les « territoires peu denses » ne sont pas obligées, comme on le dit souvent, d’emprunter leur voiture pour tous les trajets, y compris les plus courts. Encouragés par la loi, les acteurs locaux développent de plus en plus d’alternatives basées sur l’autopartage, le covoiturage ou le vélo.
L’observation des territoires ruraux sous l’angle de la mobilité nécessite un certain sens de la nuance. Ces régions sont associées dans l’imaginaire collectif à l’usage systématique de l’automobile. La figure de l’autosoliste rural s’invite régulièrement dans le débat national, en particulier depuis le mouvement des « gilets jaunes », en 2018-2019. À chaque fois que les impératifs climatiques, la pollution atmosphérique ou une hausse de prix du carburant rappellent la nécessité d’une modification des manières de se déplacer, la réplique fuse : « On ne peut pas faire autrement ». Ce raisonnement sert parfois à discréditer les transports publics ou non motorisés, qui ne conviendraient qu’aux seuls « habitants des métropoles », voire constitueraient une « lubie de Parisien ».
Parallèlement, les décideurs politiques et économiques locaux promettent de « désenclaver » les territoires trop éloignés des villes en les dotant de nouvelles liaisons routières. Le désenclavement entre toutefois en concurrence avec une autre politique publique, qui vise à revitaliser les centre-bourgs par des emplois, services et commerces, de façon à éviter aux habitants de se rendre en ville en toutes occasions.
Si personne ne conteste que la voiture individuelle restera le moyen principal pour relier entre eux des villages éloignés ou accéder à certains services publics, tous les trajets ne justifient pas ce recours. Pour traverser une bourgade, chercher des enfants à l’école, faire ses courses au marché, rejoindre la ville voisine, la marche, le vélo, le covoiturage, le car ou le train constituent des alternatives possibles.
Le sujet n’est pas anecdotique. Selon l’Insee (2021), 21,9 millions de personnes, soit 33% de la population française, vivent en milieu rural. Cette population se répartit entre communes rurales « sous influence d’un pôle urbain » (12 millions) et communes rurales « autonomes » (9 millions, dont 1,6 dans des communes « très peu denses »). Au-delà des définitions démographiques, la mobilité rurale est également influencée par des facteurs tels que la densité en habitants et en emplois, l’équipement en commerces et services, la part de personnes âgées voire dépendantes, l’impact d’une saison touristique, le relief, etc.
Diminuer le recours à la voiture individuelle dans ces territoires, où elle compte pour 85% des trajets, n’est pas seulement salutaire pour le climat. Cela conduirait à réduire le budget considérable - jusqu’à un cinquième de leur revenu - que les habitants de la campagne consacrent aux déplacements. Cela contribuerait aussi à lutter contre la sédentarité, à limiter le bruit et l’insécurité routière.
Le législateur a tenté de répondre à ces préoccupations. Axée sur la mobilité quotidienne, la Loi d’orientation des mobilités (LOM) de décembre 2019 renforce le rôle des autorités organisatrices de mobilité (AOM), le nom des collectivités territoriales lorsqu’elles s’occupent des déplacements. Le texte cultive un certain paradoxe, puisqu’il présente les déplacements ruraux comme un droit, tout en faisant de leur décarbonation un devoir. Pour compléter l’offre des transports publics, les collectivités peuvent aménager de nouveaux services, notamment d’autopartage, de covoiturage ou de transport à la demande, des bus commandés d’avance, et encourager la marche et le vélo. Lorsque la collectivité ne souhaite pas ou n’a pas les moyens de mener cette politique, la région peut s’en saisir. La LOM suscite les initiatives. Avec l’aide des services de l’État ou des régions, les élus et leurs administrations procèdent à des diagnostics de l’existant, des opérations de concertation ou des collectes de données. Ainsi, les projets concrets n’émanent pas « de Paris », mais sont lancés dans les territoires concernés par les élus, les associations ou les employeurs.
Dans la panoplie des solutions, le « covoiturage villageois » ou « solidaire » tient une place particulière. Le partage d’une voiture pour le même trajet se pratique déjà de manière informelle, par exemple entre une personne âgée qui ne peut plus conduire, mais dispose d’une voiture qu’elle confie à un jeune du village. Les acteurs locaux cherchent à encourager ces échanges spontanés. Les aires de covoiturage maillent désormais le pays, à proximité des sorties d’autoroute ou des ronds-points. Dans la plaine de l’Ain, à Pontcharra (Savoie) ou dans la métropole de Rennes, les collectivités définissent, le long des axes fréquentés, des « lignes de covoiturage » dotées d’arrêts fixes et signalés aux automobilistes par un panneau lumineux, grâce à un partenariat établi avec un opérateur privé tel que la société Ecov. Certains projets associent la SNCF, qui rénove une ligne de chemin de fer, tandis que les collectivités relient les gares aux villages voisins par des chemins réservés aux piétons et cyclistes.
Enfin, parmi les collectivités lauréates des appels à projets lancés depuis 2018 par l’État pour financer les « mobilités actives », on compte de nombreuses communautés de communes, petites villes ou assemblées départementales. Ces financements contribuent à restaurer un pont, bâtir une passerelle piétonne et cyclable, prolonger une voie verte, créer des liaisons desservant un collège, etc. Les aménagements, conçus au départ pour développer le cyclotourisme, permettent de relier en toute sécurité des villages entre eux et bénéficient à la population locale. À ces réalisations concrètes, il faut ajouter une couche technologique, par le biais d’applications conçues par les administrations, les opérateurs de transports publics ou les start-ups du numérique.
Toutefois, les moyens de transport alternatifs à la voiture seraient bien plus empruntés s’ils n’étaient pas pensés comme résiduels. Les voyageurs, habitués ou occasionnels, déplorent la non-coordination entre le train et le car, les panneaux d’horaires illisibles, les arrêts de bus non abrités, l’absence de stationnement pour les vélos ou le manque d’informations fiables.
L’habitant rural n’est pas condamné à la voiture pour tous les trajets. Mais sa bonne volonté ne suffit pas. L’organisation de services efficaces nécessite un espace public accueillant et des trains desservant les gares rurales à horaires réguliers. Après avoir envisagé de supprimer purement et simplement les lignes secondaires non rentables, les pouvoirs publics ont, dans certaines régions, cédé à la pression des usagers et des élus et rétabli un horaire régulier. Le réseau ferroviaire local est l’épine dorsale d’une vraie politique de mobilité.
Sources :
Insee (2021), La France et ses territoires, https://bit.ly/38Cwn5l | Ministère de la Transition énergétique (2021), La loi d’orientation des mobilités, https://bit.ly/3Ncaedc