L’avion vert se cherche encore

Atlas des Mobilités

Alors même que 80% des habitants de la planète n’ont jamais volé, l’impact climatique de l’avion est jugé de plus en plus problématique. Les solutions envisagées par le secteur restent pour l’heure incertaines. Or le temps presse.

L'aviation émet du CO₂, mais pas que...

Dès 1999, un rapport spécial du GIEC intitulé « L'aviation et l'atmosphère planétaire » questionnait l'impact climatique de l'aviation. Pourtant, ni le protocole de Kyoto ni l’accord de Paris sur le climat n'ont permis de placer le secteur dans une trajectoire environnementale compatible avec les objectifs affichés par les gouvernements du monde entier. Le développement du transport aérien s'est poursuivi, et malgré des tentatives d’améliorations, l'impact climatique du secteur n'a pas été réduit, notamment en raison des effets rebonds causés par l'accroissement du trafic.

L’aviation a produit entre 2 et 3% des émissions de CO2 en 2018. Mais le CO2 n’est pas seul à poser problème. Les avions sont aussi associés aux NOx (oxydes d’azote), aux traînées de condensations, etc. On estime que l’aviation est responsable, depuis ses débuts dans les années 1900, de 3,8% du forçage radiatif global relevé jusqu’à 2018. La période d’analyse retenue est importante, car la croissance du trafic aérien s’est encore accélérée au cours de la toute dernière décennie. Ainsi, si l’on tient compte des seules années 2010-2018, l’impact climatique anthropique de l’aviation atteint 5,1%.

En outre, par rapport à d'autres secteurs, les émissions sont produites par une très petite partie de la population : plus de 80% des habitants de la planète n’ont jamais pris l'avion. Au-delà des inégalités d’accès aux visas nécessaires pour voyager, ce sont surtout les disparités de revenus qui sont à l'origine de cet état de fait. Il s’avère que seulement 2 à 4% de la population mondiale a pris un vol international en 2018. La moitié du CO2 lié à l’aviation commerciale, en incluant le low cost, est émis par un seul pourcent de la population mondiale.

Face aux enjeux climatiques, les acteurs de l’aéronautique avancent plusieurs solutions, qui, pour l’heure, demeurent toutes incertaines. L’avion à hydrogène est l’une des pistes envisagées, mais sa faisabilité et les options retenues ne seront pas connues avant 2025 ou 2026. De l’aveu même de certains cadres du secteur, dans l’état actuel des connaissances, il serait osé de miser sur la commercialisation d’un avion à hydrogène en 2035, comme envisagé par certains industriels du secteur. Et quand bien même le développement suivrait ce calendrier exigeant, l’avion à hydrogène aura une capacité et une portée réduites (100 places pour 1000 kilomètres).

Le remplacement des flottes actuelles par des avions qui consommeront environ 30% de moins à l’horizon 2050 fait partie des solutions avancées. Mais cette proposition bute sur deux incertitudes : s’agira-t-il vraiment d’un remplacement et qui paiera la facture ? Air France annonce par exemple vouloir remplacer 45 Airbus A319 par 60 nouveaux avions, mais la compagnie ne s’engage pas à recycler les anciens, avec un potentiel effet rebond à la clé. Dans le même temps, Air France sollicite le rallongement et la renégociation des aides publiques, ce qui semble aller à l’encontre des annonces d’investissement précédentes.

Le secteur propose également d’emprunter la voie de la compensation des émissions. L’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) et les compagnies aériennes s’engagent à compenser les émissions de CO2 de l’aviation à hauteur de 50% et d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050. Or, diverses études démontrent que ces stratégies de compensation sont loin de répondre aux besoins, aussi bien dans le choix et l’ampleur des projets de reboisement que dans leur réalisation. En outre, les gaz à effet de serre sont émis aujourd’hui et maintenant, alors la compensation envisagée s’étale sur un temps beaucoup plus long et dépend de la pérennité des arbres plantés. Les mégafeux de ces dernières années, notamment, interrogent d’ailleurs sur la pertinence de cette stratégie. Si la compensation doit être utilisée largement, comme annoncée par de nombreuses industries et gouvernements, les méthodes ne sont pas encore abouties et des efforts de recherche restent nécessaires pour les faire évoluer.

Plus de passagers, plus d'émissions CO₂
Les émissions de CO2 suivent la croissance du nombre de passagers transportés. La réduction des émissions du secteur aérien ne semble pas pouvoir faire l’économie d’une modération du trafic.

Restent, enfin, les carburants durables d’aviation (SAF pour Sustainable aviation fuel). Ils sont présentés comme un moyen de réduire de près de 80% les émissions de CO2 des avions. Mais, ils ne sont pour l’heure produits qu’en quantités très faibles. Leur usage pose la question de la disponibilité des ressources et de la priorisation de leur allocation aux différents secteurs de l’économie (alimentation, autres transports, industries, etc). Les projections montrent d’ailleurs que ces carburants se heurteront à des facteurs d’échelles si l’on substitue l’ensemble du kérosène utilisé par la flotte mondiale par des SAF, comme l’envisage le secteur aérien.

L’ensemble de ces limites ne va pas sans soulever une interrogation : n’y aurait-il pas d’autres méthodes permettant de réduire les émissions globales de façon plus sûre ? Plusieurs collectifs ont démontré que les objectifs de réduction des émissions imposaient, en plus du recours au différents moyens technologiques évoqués plus haut, une réduction du trafic. Les associations Aéro Décarbo et The Shift Project proposent de mettre en place un budget carbone pour l’aviation. Selon elles, pour atteindre les objectifs de l’accord de Paris,le scénario le plus probable nécessiterait une réduction de 19% du trafic aérien, ce qui entraînerait une réduction de plus de 50% des volumes actuels d’avions en construction dans les trente ans à venir.

Une telle évolution, imposée par les limites climatiques, ne peut s’envisager sans une planification et une restructuration complète de la filière. L’objectif serait d’amortir l’impact social et le risque de ralentissement économique provoqués par la baisse de mobilité des biens et des personnes, tout en préservant un haut niveau technologique.

Plusieurs régions françaises et européennes sont concernées par la nécessité de restructurer le secteur aérien. Elles réfléchissent à la diversification de leur économie. En Occitanie, le rapport publié par le collectif Pensons l’aéronautique pour demain, « Moins d’avions, plus d’emplois », appelle à anticiper la réduction du trafic pour ne pas la subir. Il suggère des pistes pour diversifier le territoire et avance des solutions pour absorber les baisses d’emplois en ingénierie et en production et réutiliser les compétences dans des secteurs utiles à la transition écologique. À titre d’exemple, pour répondre aux futurs besoins identifiés dans l’agriculture ou dans d’autres secteurs (transition écologique, social, etc.), le collectif propose aux salariés qui le souhaitent de travailler en polyactivité, c'est-à-dire de partager leur temps de travail avec un autre secteur d’activité.

Une solution de ce type permettrait à l’aéronautique de ne pas perdre en compétences tout en conservant son utilité sociale. Il nous appartient de redéfinir collectivement les usages de l’aviation en ce sens. Une chose est certaine : face à l’urgence climatique, il n’y a pas de temps à perdre et mieux vaut que le secteur l’anticipe dès aujourd’hui pour ne pas avoir à subir la restructuration demain.

Le transport, un acteur-clé des émissions de CO₂

Sources :
GIEC (1999), Rapport spécial du GIEC. L'aviation et l'atmosphère planétaire, Résumé à l'intention des décideurs, https://bit.ly/3M37HAt | ONU (1997), Protocole de Kyoto à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, https://bit.ly/3N8o14m | ONU (2016), Accord de Paris – Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, https://bit.ly/3N9SSgL  | Gössling, S. & Humpe, A. (2020), The global scale, distribution and growth of aviation: Implications for climate change, https://bit.ly/3x4EMI0 | The Shift Project & Supaero Decarbo  (2021), Pouvoir voler en 2050. Quelle aviation dans un monde constraint ?, https://bit.ly/3m5Ff6l | PAD (2021), Moins d’avions. Plus d’avions. Recommandations pour une transformation en une région écologiste, égalitaire, épanouie, https://bit.ly/38VWgNJ