Les transitions écologique et numérique ont déjà commencé à transformer les véhicules. Moins lourde, plus sobre, partagée et connectée, l’auto de demain tiendra-t-elle toute ses promesses ?
Engagée dans un objectif de réduction drastique des émissions de polluants atmosphériques et de CO2, l’industrie automobile a entamé un grand virage vers les motorisations électriques. Demain, les véhicules électriques seront majoritaires même si d’autres types de motorisation pourraient aussi prendre le relai de l’essence et du diesel pour certains usages spécifiques : ce devrait être le cas de l’hydrogène, et dans une moindre mesure, du biogaz.
En 2021 déjà, un véhicule neuf sur cinq vendu en France est électrifié, c’est-à-dire électrique ou hybride. La conversion à l’électrique est tout sauf un phénomène anecdotique. Avec elle, fini les pots d’échappement, les stations essence et les vrombissements du trafic! La qualité de l’air que chacun respire s’en trouvera inévitablement améliorée. Mais cela ne suffira pas. Pour répondre aux objectifs climat, la voiture du futur devra être aussi beaucoup plus sobre que les voitures actuelles. Cela implique qu’elle soit à la fois plus petite, recyclable à 100 %, et utilisable de manière partagée. Trois exigences pour penser la voiture dans un futur décarboné.
Première exigence, les voitures devront être moins consommatrices en matières telles que l’acier, le plastique, l’aluminium, ou les terres rares. Autrement dit, plus légères. Or avec l’engouement pour les SUV, qui ont représenté 44 % du marché européen en 2020, c’est exactement l’inverse qui s’est produit. D’après l’Agence internationale de l’énergie, la généralisation de ces véhicules a été le deuxième facteur d’augmentation des émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial. L’augmentation du poids semble avoir commencé à s’infléchir, mais c’est une inversion de tendance qui serait nécessaire.
En réalité, les véhicules plus légers, plus petits, plus sobre, seraient bien plus adaptés aux besoins des particuliers. Alors qu’une voiture pèse en moyenne 1,3 tonne, des modèles n’excédant pas 800 kg pourraient voir le jour. D’autres pourraient prendre la forme de quadricycles, tels la Twizy de Renault ou l’AMI de Peugeot, qui affichent des poids à vide de moins de 500 kg. L’évolution du marché automobile vers ces véhicules, en remplacement des modèles de gamme intermédiaire, permettrait de réduire drastiquement les impacts de production. Une meilleure fluidité du trafic et une moindre occupation de l’espace public seraient d’autres bénéfices induits.
Pour l’heure, c’est aux négociateurs européens de prendre l’initiative : seule une modification de la règle européenne sur les émissions de CO2 des véhicules permettra d’orienter les stratégies d’investissement des grands groupes et les politiques industrielles vers des véhicules plus sobres.
La deuxième exigence pour une voiture dans une société décarbonée est la réduction des déchets, qui va de pair avec la baisse de la consommation de matières premières. Ce sujet est particulièrement sensible à l’heure du passage à l’électrique. La production de batteries de traction est en effet une grande consommatrice de ressources minérales. Elle est aussi énergivore, donc fortement émettrice de CO2.
Les pollutions diffuses liées à la fabrication même des cellules qui composent les batteries ont aussi un impact sur les écosystèmes. Le déploiement de l’électrique va donc impliquer de profondes transformations de cette industrie : recyclage, pour réutiliser les matières premières dans les batteries et réduire les activités d’extraction, mise en place de filières de réemploi et de reconditionnement pour prolonger la durée de vie des voitures et batteries. Le projet de Re-factory de Renault à Flins affiche, par exemple, l’ambition de reconditionner 140 000 véhicules par an. Dans le contexte de pénurie de composants, et alors que les matières premières sont des ressources limitées, l’économie circulaire fait figure de modèle prometteur. Les activités de « rétrofit », qui permettent de transformer un véhicule essence ou diesel en véhicule électrique, semblent avoir du potentiel.
Depuis quelques temps déjà, la voiture se loue autant qu’elle s’achète : en 2021, le leasing a représenté 47 % des financements d'achat de voitures neuves. L’intérêt porté à la propriété privée de la voiture finira-t-il par être supplanté par la logique de partage entre particuliers ou par celle de la voiture en libre-service? Les projets de ce type se sont multipliés, mais aucune tendance nette ne s’est encore dégagée. Le covoiturage peine, quant à lui, à s’inscrire dans les pratiques du quotidien pour les trajets de courte distance. L’augmentation du prix du carburant et d’éventuelles incitations concrètes de la part des autorités locales devraient encourager le développement de cette pratique qui fluidifierait le trafic. Elle allégerait aussi le budget voiture des ménages, qui y allouent en moyenne 13 % de leurs dépenses. Elle permettrait enfin de désencombrer l’espace public. En effet, la voiture a la particularité de rester stationnée, en étant inutile et encombrante, l’immense majorité du temps. Certes, la multimotorisation des ménages (37 % d’entre eux disposent d’au moins 2 voitures) répond à un besoin de mobilité. Mais une révolution des usages ouvrirait la voie à l’abandon de la voiture particulière au profit de services de location ou de partage.
Enfin, la voiture s’annonce comme facteur de connectivité croissante dans nos sociétés. Aujourd’hui, les logiciels représentent déjà la moitié de la valeur d’un véhicule. Les industriels ont massivement investi dans l’intelligence artificielle et dans la gestion des données. À terme, la voiture pourrait devenir un lieu de divertissement, de travail, donnant accès à de nombreux services. À titre d’exemple, le constructeur Stellantis s’est associé à Amazon pour développer des services connectés.
Cependant, la connectivité ne réduira pas l’impact environnemental des voitures. Elle sera même une source de consommation supplémentaire de ressources minérales et d’énergie. Les choix d'investissement entre connectivité et décarbonation sont voués à entrer rapidement en contradiction.
Moins lourde, plus sobre, moins polluante dans sa fabrication comme dans son fonctionnement : tel est le portrait robot idéal de la voiture de demain. Reste à le dessiner dans la réalité, en accompagnant l'évolution des usages. La voiture de demain ne saurait plus être seulement individuelle : la sortie du tout automobile implique que son usage soit désormais davantage partagé.
Sources :
ADEME (2022), Chiffres-clés Évolution du marché, caractéristiques environnementales et techniques Véhicules particuliers neufs vendus en France https://bit.ly/3GGifV8 | WWF (2021) SUV : à contresens de l’histoire https://bit.ly/3xkTaw9 | IEA (2021), Carbon emissions fell across all sectors in 2020 except for one - SUVs https://bit.ly/3x17JmV