La marche est le dénominateur commun de tous nos trajets quotidiens. Elle est désormais reconnue comme un mode de déplacement à part entière. Il lui reste à conquérir une place au cœur des réflexions sur les mobilités, comme le vélo a réussi à le faire.
La marche est le deuxième mode de déplacement en France après la voiture. En 2019, 23,7 % des déplacements étaient faits à pied (contre 62,8 % en voiture). Ce chiffre est sous-estimé dans la mesure où l’enquête prend en compte le mode le plus lourd lors des trajets intermodaux. Par exemple, pour un trajet domicile-travail en train impliquant de se rendre à la gare à pied, seul le déplacement en train sera retenu. Or la marche intervient dans 88 % des déplacements intermodaux. Elle est le dénominateur commun de tous nos déplacements quotidiens. Elle est, aussi, le mode de déplacement le plus accessible à un grand nombre d’usages. Elle est le premier mode de déplacement que l’on apprend enfant et le dernier auquel on a recours lorsque le vieillissement entraîne une baisse de nos capacités physiques et cognitives.
Pour comparaison, la part modale de la marche (nombre de trajets effectués en marchant, rapporté au nombre de trajets total) était de 14 % en Belgique en 2019 et de 26 % en Grande-Bretagne. Ces chiffres, calculés par les gouvernements nationaux, sont à relativiser du fait de différences de méthodologie des différentes enquêtes.
La crise sanitaire a porté un coup de projecteur sur les mobilités actives en tant que modes de déplacement. Mais cela fait déjà plusieurs années que la marche regagne du terrain dans tous les territoires français : alors que sa part modale était en diminution depuis les années 1970, elle remonte sensiblement depuis une décennie, progressant de 1,4 point de pourcentage entre 2008 et 2019. La marche est pratiquée à la fois dans les espaces urbains et dans les espaces ruraux. Elle est plus faible, en revanche, dans le périurbain, où les territoires sont façonnés autour de l’utilisation de la voiture.
Très pratiquée dans les grands centres urbains, la marche est le premier mode de transport de la région Île-de-France où elle représente 38 % des déplacements contre 33,3 % pour la voiture. Paris est d’ailleurs, à l’échelle européenne, la ville où l’on marche le plus avec 46 % de part modale comparativement à des villes où l’usage d’autres modes l’emportent : la voiture à Rome (18 % pour la marche ; 60 % pour la voiture) ou le vélo à Copenhague (26 % de pour la marche; 41 % pour le vélo).
Si beaucoup de Français·es sont, au moins occasionnellement, marcheur·ses, des tendances se dégagent, permettant d’identifier des catégories plus enclines que d’autres à la marche à pied. Les marcheur·ses sont en effet plus souvent des marcheuses que des marcheurs : la part modale de la marche atteint 25,8 % chez les femmes contre 21,5 % chez les hommes. Les personnes âgées et les enfants sont également plus susceptibles de marcher que d’autres catégories de la population, comme c’est le cas en Île-de-France.
L’étude de la diversité des usages semble indiquer que les usages contraints, c’est-à-dire non choisis puisqu’ils résultent d’une obligation, sont forts. Ainsi, nombre de femmes utilisent la marche en tant qu’accompagnantes d’enfants ou de personnes ayant besoin d’aide dans leurs déplacements. La part de la marche est plus grande qu’ailleurs dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville : les personnes qui résident dans les unités urbaines de 50 000 à 199 000 habitant·es y pratiquent plus la marche que les résident·es d’autres quartiers (1,6 déplacement contre 1,0). En l’absence de permis de conduire, la marche est utilisée en complément des transports en commun – or, comme on l’a vu, ces usages sont sous-représentés dans les enquêtes statistiques.
Enfin, la marche est le dernier mode de transport que peuvent utiliser les personnes ayant des difficultés à se mouvoir et notamment les personnes âgées, qui la pratiquent parfois avec des dispositifs d’aide tels que des déambulateurs, des cannes ou même des draisiennes pour adultes.
Alors que la Loi d’orientation des mobilités (LOM), promulguée le 24 décembre 2019, a introduit la marche comme un mode de déplacement à part entière au même titre que le vélo, les conditions ne sont pas toujours réunies pour la faciliter. « Les mobilités actives, notamment la marche à pied et le vélo, sont l’ensemble des modes de déplacement pour lesquels la force motrice humaine est nécessaire, avec ou sans assistance motorisée », définit la LOM.
Selon beaucoup d’usager·es qui la pratiquent, le « confort » de la marche pourrait être amélioré. Paru en septembre 2021, le premier baromètre des villes marchables, porté par le collectif « Place aux piétons » et auquel ont répondu près de 70 000 personnes, met en lumière les améliorations souhaitées : 70 % des répondant·es demandent des aménagements tels que des toilettes, des bancs, des fontaines, etc. Beaucoup souhaitent des cheminements dépourvus d’obstacles tels que des poubelles, poteaux, terrasses empiétant sur les espaces réservés aux piétons ou stationnements de véhicules motorisés. La sécurité des piétons, en particulier des plus vulnérables, ressort également comme une problématique importante : 60 % des répondant·es estiment qu’aller à l’école à pied est dangereux pour les enfants.
Il reste donc beaucoup à faire pour rendre la marche plus agréable pour tous et toutes, et encourager sa pratique, seule ou en intermodalité. Le baromètre des villes marchables suggère quelques pistes pour améliorer le confort piétionnier : concevoir des itinéraires dédiés tels que des « magistrales piétonnes » aménagées dans certaines villes dont Strasbourg ; libérer ces espaces dédiés des obstacles potentiels ; proposer des aménagements au service des marcheur·ses.
Au-delà d’aménagements ponctuels, remettre la marche au centre des politiques publiques de mobilité nécessiterait d’avoir une approche globale assumant de réduire la vitesse des conducteurs de véhicules motorisés – comme c’est le cas dans des métropoles comme Paris ou Lyon. Cela impliquerait aussi de porter une attention particulière aux besoins des usager·es les plus vulnérables dans le système actuel de mobilité, à commencer par les personnes en situation de handicap, les enfants ou encore les personnes âgées. De nombreuses actions peuvent être entreprises en faveur d’une plus grande hospitalité de l’espace public pour tous et toutes, qui incluent notamment une réflexion autour de la place de l’art dans la ville, de la « ludification » et de la cohabitation entre les personnes.
La marche est un mode de déplacement à part entière de plus en plus utilisé en France. Le vélo a retrouvé une place de choix dans les politiques de mobilités à la suite de la crise sanitaire de la Covid-19. Dans un contexte de préoccupations environnementales croissantes et alors qu’une plus grande sobriété de nos déplacements semble devoir s’imposer, la marche a, elle aussi, toute légitimité à figurer au cœur de cette réflexion.
Sources :
Ministère de la Transition Écologique (2019), Enquête sur la mobilité des personnes 2018 2019, https://bit.ly/3zb1dgm | IAU Île-de-France (2016), La marche à pied en Île-de-France, https://bit.ly/3zb8oVQ | Deloitte Urban Mobility Index (2020), La mobilité dans les métropoles européennes, https://bit.ly/38BMiAK | Juste, N. (2021), Webinaire Épisode #6 – « Quelles solutions dans les quartiers prioritaires de la ville ? », https://bit.ly/38YXkQE | Place aux piétons (2021), Dossier de presse. Baromètre des villes marchables, https://bit.ly/3N6ZBrZ | Cerema (2015), De la marche comme mode à la marche intermodale. Journées d’échanges sur la Mobilité Urbaine, https://bit.ly/3x2izch