Les actifs en emploi passent en moyenne quarante minutes par jour à se déplacer pour aller au travail. La crise de la Covid-19 a révolutionné les habitudes. Pourtant, l’expérience montre que le télétravail ne réduit pas nécessairement les temps et les distances de déplacement.
Les modes de vie contemporains sont structurés par des déplacements fréquents et rapides entre les différentes activités du quotidien, qu’elles soient contraintes (travail, études, courses, démarches administratives, accompagnement) ou non (relations sociales, loisirs, shopping). Sans surprise, dans une société dominée par l’économie, c’est le travail qui reste le plus structurant et les études sur la mobilité ont longtemps été focalisées sur les déplacements domicile-travail, même si les pratiques évoluent. La crise sanitaire de la Covid-19 a révolutionné la pratique du télétravail qui était jusque-là encore très marginale, notamment en France.
Avant la crise sanitaire, seulement 5% des actifs en emploi n’avaient pas à se déplacer pour le travail. Même si ce dernier n’est plus le principal motif en nombre de déplacements, comme le soulignent les enquêtes nationales et régionales, il reste central pour les personnes en activité avec près de 40% du temps passé à se déplacer et des kilomètres parcourus. Le fait de travailler augmente de cinq heures en moyenne les temps de déplacement hebdomadaire d’un actif par rapport aux personnes hors emploi : près de douze heures par semaine contre sept heures.
L’abandon des horaires fixes et la multiplication des lieux de travail viennent complexifier l’organisation des modes de vie, les rythmes de la vie quotidienne, et accroître la durée et la distance des déplacements. Travailler en dehors des horaires classiques de bureau augmente le temps de déplacement de près d’une heure; travailler sans cadre horaire l’augmente de plus de trois heures.
Mais c’est la polytopie du travail, c’est-à-dire le fait d’exercer en plusieurs lieux, qui impacte le plus fortement les temps de déplacement alors même qu’elle concerne désormais un actif sur deux : les personnes qui travaillent dans plusieurs lieux passent près de dix-sept heures à se déplacer chaque semaine, dont plus de dix heures rien que pour le travail.
Les déplacements domicile-travail concernent 82% des personnes en emploi qui doivent se déplacer pour se rendre sur leur(s) lieu(x) de travail, quotidiennement ou presque. Ils y consacrent en moyenne près de quarante minutes par jour, pour une distance moyenne de 27 kilomètres.
Si les déplacements domicile-travail sont bien documentés, les déplacements dans le cadre du travail, autrement dit, effectués sur le temps de travail, le sont beaucoup moins. L’Enquête nationale mobilité et modes de vie 2020 menée par le Forum Vies Mobiles a établi que 40% des Français en emploi étaient mobiles quotidiennement ou presque dans le cadre de leur travail. Parmi eux, il faut distinguer les travailleurs occupant un emploi par nature mobile des travailleurs dont le métier nécessite des déplacements professionnels quotidiens ou presque. On trouve ainsi en France, 27% de personnes en emploi qui exercent une profession dont la nature même implique de se déplacer : pilotes d’avion et personnel navigant, conducteurs de trains et contrôleurs, chauffeurs routiers, convoyeurs, chauffeurs de taxis, livreurs (camion, scooters, vélo, etc.), coursiers, facteurs, ambulanciers, etc. Ils parcourent près de 100 kilomètres par jour pour leur travail. On peut faire l’hypothèse que la globalisation et la digitalisation ont entrainé jusque-là une augmentation des professions mobiles (routiers, chauffeurs Uber ou Amazon, livreurs Deliveroo, etc.).
D’autres personnes en emploi se déplacent au quotidien ou presque pour se rendre sur les différents lieux où elles exercent leur métier : elles représentent 13% des actifs en emploi. Ces métiers sont traditionnellement ceux des commerciaux, des médecins de campagne, des métiers sur site (artisans, ouvriers du BTP, dépanneurs divers, paysagistes) et, avec le développement des métiers de service depuis quelques années, des infirmières à domicile, du personnel de ménage, etc. Ces actifs passent en moyenne une heure par jour à se déplacer pour leur travail et réalisent plus de 45 kilomètres chaque jour (225 kilomètres par semaine), auxquels, pour certains, il faut ajouter un éventuel déplacement domicile-travail.
Pour ces professions, la dépendance aux modes motorisés, et en particulier à l’automobile ou aux utilitaires légers, est forte tant les distances parcourues sont importantes. D’autant que les métiers concernés nécessitent souvent un transport de charges.
La pratique du télétravail est souvent pensée comme une solution pour éviter les déplacements domicile-travail d’une partie de la population active et donc, pour réduire les temps et les distances de déplacement. Pourtant, l’enquête du Forum Vies Mobiles montre que les personnes qui le pratiquaient avant la crise sanitaire avaient des temps et des distances de déplacement bien plus importants que le reste de la population. Les distances de déplacements sont plus importantes aussi bien pour le travail que pour les autres activités du quotidien. Le télétravail libère ainsi du temps pour d’autres déplacements et rend plus acceptable d’habiter loin de son travail puisque les trajets sont moins fréquents que la moyenne.
Les personnes pratiquant le télétravail avant la crise sanitaire étaient encore des précurseurs en France. Malgré la diffusion massive des outils numériques (ordinateurs portables, logiciels de réunion à distance), le télétravail n’était pas parvenu à s’imposer, du fait des employeurs, soucieux d’exercer un contrôle visuel sur leurs salariés, ou des salariés, attachés à la convivialité des échanges avec leurs collègues. Les espaces de coworking ont connu un écho médiatique, mais leur portée réelle est restée limitée.
Le contraste avec l’Angleterre est frappant : avant la crise du coronavirus, 25% des Anglais déclaraient avoir télétravaillé occasionnellement au cours de l’année 2019, contre seulement 7% des Français. Ils étaient même près de 5% à télétravailler l’essentiel de la semaine, contre à peine 1% en France. Les mesures de confinement mises en œuvre au printemps 2020 ont bouleversé les pratiques : plus d’un tiers des actifs français sont passés en télétravail à temps complet - les deux tiers en Île-de-France.
En dépit de conditions parfois difficiles (espace de travail non adapté, enfants au domicile), plus de la moitié des personnes concernées ont vécu positivement l’expérience, en raison de la réduction des déplacements domicile-travail et de la possibilité d’organiser différemment leurs rythmes de vie. Ces résultats suggèrent que le télétravail répond aux attentes d’une partie des Français et qu’il est appelé à se développer. Ils suggèrent également que si on laisse le télétravail gagner du terrain sans mener une politique pour l’organiser, il existe un risque de voir les kilomètres parcourus chaque semaine pour le travail et pour les autres activités du quotidien augmenter.
Sources :
DARES (2019), Quels sont les salariés concernés par le télétravail ?, https://bit.ly/3tb7rZM | Forum Vies Mobiles (2020), Enquête sur les impacts du confinement sur la mobilité et les modes de vie des Français, https://bit.ly/3x0dTE3 | Commissariat général au développement durable (2010), La mobilité des Français : Panorama issu de l’enquête nationale transports et déplacements 2008, https://bit.ly/3NJsHxx | Forum Vies Mobiles (2021), Quand les nouveaux modes de vie bouleversent les mobilités du quotidien en Angleterre, https://bit.ly/3N6tg4E