Si les transports publics assurent 22% des déplacements quotidiens en Île-de-France, leur part ne dépasse pas 5% dans la plupart des villes moyennes ou petites. Usagers, transporteurs et élus réclament à l’unisson une meilleure offre, mais ils doivent composer avec un espace public conçu pour la voiture.
Métro, tramway, trolleybus, funiculaire, bus, véhicule à la demande. Lyon est probablement la ville de France qui dispose du plus grand nombre de modes de transport public différents. Si on ajoute à cette panoplie les navettes fluviales ou maritimes et les téléphériques, qui fonctionnent dans certaines villes, on mesure l’étendue des moyens de transport urbain à disposition des pouvoirs publics.
Il n’en a pas toujours été ainsi. Jusqu’au milieu des années 1970, alors que la plupart des villes françaises, au contraire de leurs homologues allemandes, néerlandaises ou belges, avaient détruit les voies des tramways pour laisser davantage d’espace à l’automobile, les transports urbains se limitaient aux réseaux de bus et, à Paris seulement, au métro.
Les égarements du tout-voiture triomphant ont en partie été réparés. Dès la fin des années 1970, le RER a modifié la physionomie de l’Île-de-France. Des lignes de métro ont été creusées à Lyon, Marseille, Lille, Toulouse. Entre 1985 et 1995, à Nantes, puis à Grenoble, Strasbourg ou en région parisienne, de nouvelles lignes de tramway ont eu pour objectif de relier les quartiers résidentiels, bourgeois ou populaires au centre-ville. À la fin des années 2010, une trentaine de villes françaises étaient équipées de tramways. En 2019, selon l’Union des transports publics (UTP), 158 agglomérations françaises abritant 33,6 millions d’habitants étaient équipées d’un réseau. Chaque année, 6 milliards de voyages sont enregistrés, dont un peu plus de la moitié en Île-de-France.
La fréquentation des réseaux diffère beaucoup selon les villes. Dans les métropoles, les transports ferrés lourds ponctuent la vie quotidienne des salariés. Les grandes villes moyennes ont préféré, aux coûteuses lignes de tramway, les « bus à haut niveau de service » dotés d’une voie réservée de bout en bout. En revanche, les quelques lignes de bus sillonnant les petites villes s’adressent surtout aux lycéens et collégiens, aux personnes âgées qui ont renoncé au volant ou aux ménages dépourvus de voitures.
Le cas de l’Île-de-France est à part. Presque toute la population du cœur de l’agglomération, à Paris et dans sa proche banlieue, est amenée à emprunter les transports de temps à autre et le réseau, aux ramifications fines, présente des fréquences sans commune mesure avec le reste du pays.
Comme le constate l’UTP, tous ces réseaux urbains, quelle que soit leur taille, desservent des territoires de plus en plus vastes. Ceci s’explique par l’extension des structures intercommunales et par l’étalement urbain, qui amène les citadins à vivre toujours plus loin des centres. Pour le maire d’une petite commune, le passage d’un bus, même deux ou trois fois par jour, signe l’appartenance à l’agglomération.
Malgré une hausse régulière de la fréquentation, les recettes des transporteurs par voyage effectué ont chuté de 0,6 euro en 1999 à un peu plus de 0,5 euro en 2019. La plupart des élus, craignant la réaction des usagers, rechignent à augmenter le coût des tickets et des abonnements. En conséquence, de 2000 à 2015, le taux de couverture des dépenses d'exploitation par les recettes tarifaires s’est effondré de 33% à 18% dans les villes sans métro ni tramway et de 37% à 32% dans celles qui en sont équipées, constate le Commissariat général au développement durable en 2018.
Pour offrir une alternative crédible à la voiture individuelle, les collectivités ont besoin de financements. Or, les ressources des transports publics sont précaires. Des organisations patronales, parfois relayées par des candidats aux élections nationales, contestent le bien-fondé du versement mobilité, un impôt assis sur la masse salariale destiné à financer les infrastructures, qu’ils qualifient d’« impôt de production ». Les recettes de voyageurs sont remises en cause par la gratuité totale des transports pour les usagers, décrétée dans une trentaine de villes françaises. Or, si la gratuité dope la fréquentation dans un premier temps, elle n’entraîne pas, en soi, un report depuis la voiture individuelle. Les associations d’usagers lui préfèrent une « tarification solidaire », en fonction du revenu, et l’amélioration de la qualité du service.
Cette qualité de service implique d’abord l’efficacité du transport urbain, quel que soit son mode de propulsion, même si l’État encourage la conversion à l’électrique. Autrement dit, le passager veut être certain de la durée du trajet et voyager dans un véhicule confortablement. Dans les grandes villes, aux heures de pointe, une augmentation de l’offre permet de mieux répartir les passagers. En revanche, dans les villes petites et moyennes, on peut davantage remplir les véhicules. Une étude des pratiques amène les collectivités et les opérateurs à refondre l’offre, en réorganisant par exemple le réseau autour d’une ligne centrale aux horaires cadencés ou en prolongeant le service en soirée ou le week-end.
Pour être efficaces, les transports publics ont moins besoin de navettes autonomes au fonctionnement, encore aléatoire, que de l’espace qui, sur la voirie, leur permet aux véhicules d’être plus rapides que la circulation générale. Or, si les tramways circulent en site propre, ils n’ont pas toujours priorité aux carrefours. Dans les villes moyennes ou en banlieue parisienne, les voies réservées aux bus s’interrompent à certains endroits et les véhicules se retrouvent bloqués, matin et soir, dans les embouteillages.
L’efficacité implique enfin de faciliter l’intermodalité, c’est-à-dire le passage d’un mode de transport à un autre. Les transporteurs, associés à des start-ups, misent sur la « mobilité comme un service » (MaaS, selon l’acronyme anglais), consultable sur smartphone. Ce service présente l’étendue des moyens de transport individuels et collectifs, publics ou privés, disponibles dans un lieu précis et à un moment donné.
Mais en pratique, le système global de mobilité fait encore défaut. Les liens entre les réseaux urbains et les transports interurbains, trains ou cars, nécessiteraient par exemple une coordination des horaires. Les collectivités gagnent à massifier le parking relai en bout de ligne, en réservant des places aux véhicules en autopartage et aux covoitureurs. Autour des gares, des stations de métro et des arrêts de bus, le piéton est parfois désorienté ou confronté à une voirie hostile, tandis que la complémentarité avec le vélo n’est pas assez mise en avant. Enfin, comme le rappelle la Fédération nationale des associations d’usagers des transports (FNAUT), la dépendance automobile d’une grande partie de la population urbaine limite encore le recours aux transports publics.
Sources :
Union des transports publics (2019), Parution des chiffres clés du transport public 2019, https://bit.ly/3NKlkpx | Commissariat général au développement durable (2019), Les comptes des transports en 2018, https://bit.ly/38G1InG | FNAUT (2021), Parts modales et partage de l’espace public dans les grandes villes françaises, https://bit.ly/3NkBypm