Remettre la mobilité sur les bons rails

Atlas des Mobilités

Conçu au XIXe siècle de façon très centralisée, le réseau ferroviaire français n’est plus adapté aux besoins de la mobilité contemporaine. Le système souffre du sous-investissement, et, en Île de France, de la surfréquentation. Pourtant, la demande n’a jamais été aussi forte.

Le train à grande vitesse, un succès français

La centralisation ferroviaire française prend sa source dans les années 1840, quand Alexis Legrand, directeur général des Ponts et chaussées sous Louis-Philippe, imagine un réseau en étoile, destiné à desservir le pays depuis les gares parisiennes. Près de 200 ans plus tard, la marque de « l’étoile de Legrand » s’impose toujours au système ferroviaire.

En 2017, la France comptait, tous réseaux confondus, près de 30 000 kilomètres de lignes, pour 1,7 milliard de voyages effectués. Le train appartient à la culture populaire : l’histoire sociale se nourrit des grandes grèves des transports, et tout un chacun est capable de donner un avis bien précis sur les services de la SNCF. Malgré l’avènement du TGV, pourtant, la part du train dans la mobilité a beaucoup diminué depuis le début des années 1960. La construction et l’entretien constant d’un système routier performant, ainsi que l’éparpillement des attributs urbains loin des gares, l’ont détrôné au profit de la voiture. Plus récemment, la concurrence du covoiturage et des cars de longue distance ont détourné une partie de la clientèle.

Le système ferroviaire français répond, comme dans d’autres pays européens, à une hiérarchie des réseaux : grande vitesse, liaisons interurbaines rapides, trains régionaux et enfin réseaux urbains. Mais en pratique, face à la route, le train ne présente un intérêt évident que dans les zones très denses, où l’usage de la voiture bute sur les embouteillages, ou pour relier à grande vitesse les métropoles françaises et européennes entre elles. En conséquence, une large majorité des usagers sont des Franciliens, que ce soit pour les trajets quotidiens ou la longue distance. Dans les autres régions, le train est devenu un mode de transport résiduel, réservé à certaines catégories, les lycéens, les touristes ou les personnes se rendant à Paris. L’ensemble des TER de France transportent un million de voyageurs par jour, moins que le seul RER A qui traverse la région parisienne d’est en ouest.

On peut difficilement parler de réseau ferroviaire cohérent, qui supposerait de passer facilement d’un train à l’autre, comme cela se fait en Allemagne ou en Suisse. Le fer français se présente plutôt sous la forme d’une juxtaposition de segments, répondant chacun à des demandes différentes et présentant des enjeux distincts.

Le TGV a atteint ses limites : la construction de nouvelles lignes coûterait cher, au seul bénéfice d’un petit nombre de voyageurs. Les trains Intercités, dits « d’équilibre du territoire », qui complètent le réseau national sur des lignes classiques ou transversales, subissent le sous-investissement chronique et le désintérêt de l’État. Les TER, dont l’organisation a été confiée en 2002 aux régions, ont bénéficié d’importants investissements jusque dans les années 2010. Des lignes ont été ouvertes, les fréquences augmentées, le matériel renouvelé. Mais depuis, l’offre a cessé de progresser. Une partie des lignes TER ou Intercités, les moins fréquentées, ont été remplacées par des autocars ou supprimées. Le ministère des Finances ne manque jamais de rappeler le fardeau budgétaire du réseau capillaire. En 2018, le rapport de Jean-Cyril Spinetta suggérant à l’État de renoncer au financement de 9  000 kilomètres de « petites » lignes secondaires, soit 32% du réseau, transportant 17% des voyageurs, avait provoqué un certain émoi. Début 2020, un plan de sauvetage d’une partie des lignes a été annoncé, en s’appuyant sur les engagements des régions. Quelques tronçons ont été rénovés ou doivent l’être, mais de nombreux axes demeurent en sursis.

Que se passe-t-il sur les rails français ?
Si le TGV est la vitrine du ferroviaire français, ce sont les TER (trains régionaux) qui font le plus de kilomètres en France.

Le réseau francilien subit un fardeau inverse : la surfréquentation. Si la région-capitale ne compte que 10% des voies de la SNCF, elle concentre 40% des trains et 70% des passagers. Depuis la réalisation, dans les années 1970, de plusieurs lignes de RER traversant Paris de part en part, le trafic n’a fait que progresser. La modernisation du réseau, elle, n’a pas suivi. Les investissements n’ont repris qu’au début des années 2000, sous la pression des élus franciliens. Le projet du Grand Paris Express est censé faciliter les trajets banlieue-banlieue. Mais la désorganisation chronique de la mobilité en région parisienne ne garantit pas que le super-métro, qui a pris beaucoup de retard, amènerait durablement un report du réseau routier vers le réseau ferré.

Face au manque récurrent d’engagement financier, auquel s’ajoutent les baisses de recettes dues à la crise sanitaire, la SNCF et l’État espèrent réinventer le ferroviaire. La réforme de 2018 a assaini, au moins momentanément, la dette de l’entreprise publique. L’ouverture à la concurrence promet de s’attaquer aux lourdeurs de la SNCF, sans répondre à la question de fond : quel doit être le rôle du chemin de fer à l’avenir ?

Après avoir longtemps misé sur le TGV, les pouvoirs publics mettent désormais en avant les vertus environnementales du train. Le chemin de fer contribue en effet à limiter la pollution et le risque routier. On transporte sur des rails bien plus de monde qu’en voiture, pour un espace équivalent. En juillet 2017, le président Macron a esquissé une nouvelle doctrine, faisant l’éloge des « transports du quotidien » au détriment des liaisons à grande vitesse promises par ses prédécesseurs. Mais en 2022, la tonalité était à la relance des projets de grande vitesse.

Malgré les défaillances subies par les voyageurs, les grèves et les prix jugés élevés, l’appétence pour le train reste forte. Jusqu’en 2019, les transports publics, tous secteurs confondus, gagnaient des parts de marché. Des associations d’usagers, de citoyens, des entrepreneurs, inspirés par le mouvement pour le climat, promeuvent les multiples usages du train. Le collectif Oui au train de nuit ! a réussi à éviter la disparation des convois nocturnes. Dans les départements peu peuplés, des citoyens et des élus parviennent à maintenir une gare menacée ou une ligne risquant d’être suspendue. La société coopérative Railcoop, qui cherche à réactiver la ligne Bordeaux-Lyon, compte plus de 10 000 sociétaires. D’autres initiatives, telles que Midnight Trains ou Le Train, cherchent des fonds pour lancer des projets ferroviaires.

À Toulouse, le mouvement Rallumons l’Étoile, allusion au réseau en étoile qui part de la ville, prône un « RER métropolitain », qui, à l’instar de son homologue francilien, permettrait de traverser l’agglomération sans changement à la gare centrale. En Île-de-France, l’association d’usagers Plus de trains suggère des améliorations à la SNCF et la RATP. Cette floraison d’initiatives, qui prônent un lien solide entre le fer et les autres modes de transport, esquisse une politique nationale de la mobilité qui fait encore défaut à l’État.

La qualité du service sur Transilien et RER

Sources :
Ministère de l’écologie (2018), Rapport sur l’avenir du transport ferroviaire,
https://bit.ly/3PTHJmc | SNCF Réseau (2020), Etoiles ferroviaires et services express métropolitains. Une démarche partenariale, https://bit.ly/3GB7m76