Vélorution sur les routes

Atlas des Mobilités

Le vélo est désormais plébiscité comme une solution de mobilité capable de lutter contre la pollution atmosphérique, le changement climatique, la sédentarité, le bruit routier ou la dévitalisation commerciale. En France, où la pratique est en retard par rapport à d’autres pays européens, les aménagements urbains se multiplient.

Dans quels pays produit-on le plus de vélos en Europe ?

Le vélo est désormais reconnu, en France, comme un moyen de transport légitime. La plupart des municipalités en ont fait un instrument de leur politique de mobilité. Un nombre croissant d’entreprises, dans le secteur industriel comme dans les services, misent sur la transition cyclable. Les médias accordent au sujet de nombreuses enquêtes, tandis que des doctorants y consacrent leurs travaux. Tout ceci semble aujourd’hui banal, mais n’était pas encore acquis au milieu des années 2010.

Pendant la crise sanitaire, au printemps 2020, le besoin de faire de l’exercice, la peur de la contamination par le coronavirus, le souhait de ne plus dépendre des embouteillages ou des retards, ont encouragé l’usage du vélo. En milieu urbain, des élus de tous bords politiques ont matérialisé, en quelques semaines, des aménagements initialement programmés pour les années suivantes. La démocratisation de l’assistance électrique et les ventes exponentielles du vélo-cargo ont contribué à cet engouement. Après des années de gestation, le vélo, solution de mobilité identifiée de longue date pour contrer la pollution atmosphérique, le changement climatique, la sédentarité, le bruit routier ou la dévitalisation commerciale, s’impose enfin comme une évidence.

L’enthousiasme citoyen a, il est vrai, été accompagné d’une pression associative constante. La Fédération française des usagers de la bicyclette (FUB), fondée en 1980 et qui rassemblait, en 2022, 490 associations locales, s’est professionnalisée. Ses dirigeants, appuyés par leurs salariés, passés de quatre à soixante-dix entre 2015 et 2022, mènent un lobby constant auprès des décideurs politiques, économiques et médiatiques. Tous les deux ans, la FUB invite les usagers à noter les performances de leur ville en remplissant un questionnaire en ligne, directement inspiré du modèle de la Fédération allemande des cyclistes (ADFC). Ce « baromètre des villes cyclables » a enregistré plus de 270 000 réponses en 2021. Les résultats, sériés par ville, servent aux associations dans leur plaidoyer local. Ils contribuent aussi à imposer le vélo, et plus largement la question des déplacements, comme un thème politique national. 

Malgré ces évolutions, le potentiel demeure immense. Fin 2021, la bicyclette ne représentait, selon les calculs de l’association d’élus Vélo & territoires, qu’entre 3 et 4% des trajets en France. C’est un peu moins qu’en Italie, deux fois moins qu’en Allemagne ou en Belgique, six fois moins qu’aux Pays-Bas. Ce chiffre demeure en outre bien inférieur à l’objectif de 9% des trajets en 2024, fixé par le « plan vélo » national, doté, en 2018, de 350 millions d’euros sur sept ans.

Pour résumer l’ampleur de l’enjeu, on rappellera que 42% des personnes qui vivent à moins d’un kilomètre de leur travail s’y rendent encore en voiture, comme le soulignait l’Insee début 2021. L’automobile est utilisée dans 60% des trajets domicile-travail de moins de 5 kilomètres, l’équivalent d’une demi-heure de vélo. Les réflexes, hérités de l’époque où la voiture était considérée comme l’unique moyen de transport viable, demeurent puissants.

Les exemples européens montrent que les habitudes ne changent durablement que si les cyclistes se sentent en sécurité. Les pouvoirs publics investissent dans des pistes cyclables, aménagent les carrefours ou bâtissent un réseau de proximité, capable de desservir les quartiers résidentiels ou les pôles d’emploi. Une solution encore négligée en France, mais pratiquée massivement dans les villes italiennes ou néerlandaises, consiste à limiter le trafic de transit, c’est-à-dire limiter la circulation motorisée aux usagers d’un quartier, ses riverains ou ses commerçants.

La politique cyclable s’appuie également sur des structures de stationnement appropriées à chaque usage, boxes sécurisés pour les quartiers urbains, vastes espaces faciles d’accès dans les gares ou arceaux confortables pour les endroits de destination et lieux de réparation. Cette « vélorution » pourrait conduire à une transformation en profondeur du paysage urbain et périurbain. L’espace dévolu à la voiture, aussi bien en circulation qu’en stationnement, serait restreint. Les modes de consommation, déjà modifiés par la pandémie, s’appuieraient davantage sur la proximité et sur les livraisons à domicile. Les lieux de travail et de consommation pourraient se rapprocher des cœurs de villes.

Infrastructures cyclables européennes : une expansion sans précedént
De 2014 à 2021, le réseau des pistes cyclables s’est fortement étendu dans de nombreuses villes européennes.

Une telle transition implique une coordination avec les transports publics. Les deux modes sont en effet complémentaires. Le vélo accroît la zone de chalandise des gares et stations sans nécessiter d’amplifier démesurément la superficie des parkings. Aux Pays-Bas, la moitié des voyageurs qui empruntent le train arrivent en pédalant à la gare. Les transporteurs ne cherchent pas à développer l’emport du vélo dans le train, le métro ou le tramway, qui mobilise beaucoup d’espace. Ils préfèrent encourager l’intermodalité, c’est-à-dire l’usage successif de plusieurs moyens de transport. Les opérateurs des transports publics, à commencer par la SNCF ou, en Île-de-France, la RATP, bénéficieraient ainsi d’une clientèle fidèle. Le modèle est, une fois de plus, néerlandais : dans les gares, le système de location de vélos OV-Fiets rassemble près d’un million d’utilisateurs effectuant chaque année cinq millions de locations.

La transition cyclable est aussi économique. Depuis 2020, la demande de vélos, mais aussi d’accessoires ou de composants, est en forte hausse. La plupart des bicyclettes vendues en France sont importées, et même celles qui sont assemblées dans l’Hexagone mobilisent des sous-traitants implantés en Europe ou en Asie. Toutefois, la demande se répercute sur les unités de fabrication situées dans des régions industrielles comme les Vosges, la Loire ou la Vendée. Les usines tournent à plein régime et ne cessent d’embaucher. La complexité de l’approvisionnement mondial et la hausse des coûts du transport international permet d’envisager la relocalisation d’une partie de l’industrie du vélo en Europe.

Cette économie recouvre une grande diversité de secteurs, allant des enseignes spécialisées aux dépenses des cyclotouristes en passant par la logistique urbaine ou le conseil aux collectivités. En 2019, déjà, l’Agence de la transition écologique, l’Ademe, estimait son poids total à près de 10 milliards d’euros. Toutefois, la transformation en profondeur des mobilités bute sur une réalité démographique. À la fin des années 2010, la population française augmentait moins dans les villes, plus propices à l’usage du vélo, que dans les territoires périurbains, conçus pour l’usage de la seule automobile. La transition cyclable sera vaine si l’étalement urbain se poursuit à la même vitesse.

La palmarès français des villes cyclables 2021

Sources :

Fédération des usagers de la bicyclette (2021), Baromètre des villes cyclables, https://bit.ly/3tcssDd | Vélo et territoires (2021), La Plateforme nationale des fréquentations (PNF), https://bit.ly/3NKiD7o | Ademe (2020), Impact économique et potentiel de développement des usages du vélo en France, https://bit.ly/38DkzzD