Le 25 septembre 2022, un nouveau parlement sera élu en Italie. La législature actuelle, issue des élections de 2018, aurait dû s’achever en avril 2023. Cependant, le 21 juillet, le président de la République Sergio Mattarella a été contraint de dissoudre le Parlement, provoquant des élections anticipées de six mois.
Le 25 septembre 2022, un nouveau parlement sera élu en Italie. La législature actuelle, issue des élections de 2018, aurait dû s’achever en avril 2023. Cependant, le 21 juillet, le président de la République Sergio Mattarella a été contraint de dissoudre le Parlement, provoquant des élections anticipées de six mois. La première question qui se pose est naturellement la suivante : était-ce vraiment nécessaire ?
Nous souhaitons nous pencher sur toutes les questions liées à ce sujet, en commençant par ce premier article d’une série qui fera le point sur la situation politique italienne. Il n’est pas seulement question de l’Italie, un pays que nombreux apprécient et dont autant pensent qu’il peine à se sortir d’un marasme politique inextricable et souvent incompréhensible pour l’observateur extérieur. Il est aussi question de l’avenir de l’Union européenne (UE), au sein de laquelle l’Italie représente la troisième puissance économique. Les rapports de force dans l’UE sont également en jeu, les répercussions de ces élections se feront sentir au-delà des frontières de l’Europe, entre, d’une part, la démocratie libérale et tournée vers l’avenir, et d’autre part, le populisme autoritaire et réactionnaire de droite. Jusque-là, cette dernière tendance politique présente dans presque tous les États membres n’était parvenue à s’imposer au pouvoir que dans quelques pays, notamment en Hongrie et en Pologne, aboutissant non seulement à la remise en question des valeurs fondamentales de l’Union, mais à leur violation massive.
Il s’agit également de la politique financière commune de l’Union européenne, au même titre que la mutualisation partielle des dettes des États européens, l’avenir du programme NextGenerationEU, et en particulier la poursuite du financement du plan pour la reprise et la résilience de l’Italie (PNRR : Piano nazionale per la ricostruzione e la resilienza). Il n’est sans doute pas exagéré de dire que jamais encore, au cours des dernières décennies, des élections italiennes n’auront eu une incidence aussi importante sur d’autres pays et sur l’Europe.
Démission de Mario Draghi : pourquoi ?
Commencons par le premier des nombreux paradoxes de la politique intérieure italienne, à savoir le refus d’une majorité de parlementaires de participer au vote de confiance demandé par le Premier ministre Mario Draghi. L’action gouvernementale ne s’est pourtant jamais heurtée à des aspirations contradictoires insurmontables exprimées par les groupes parlementaires désireux de provoquer la chute du gouvernement, pas même par le seul parti d’opposition Fratelli d’Italia (Frères d’Italie), dirigé par Giorgia Meloni.
Quasiment jamais dans l’histoire de l’Italie d’après-guerre un chef de gouvernement n’aura suscité une adhésion aussi large de la population comme ce fut le cas de Mario Draghi. Ce dernier était en fonction depuis à peine plus d’un an, à la tête du troisième gouvernement formé sous la législature débutée au printemps 2018, un gouvernement d’« unité nationale » qui devait lutter efficacement contre la crise découlant de la pandémie de COVID-19 et assurer la gestion des fonds importants alloués par l’Union européenne. Mario Draghi, banquier, ancien directeur de la BCE, jamais élu au Parlement, n’appartenant à aucun parti, indépendant, apprécié pour son expertise financière, jouissant d’une grande reconnaissance internationale, sans ambition personnelle apparente, semblait être aux yeux de tous, à commencer par le président de la République, l’homme de la situation, voire l’homme idéal, pour relever les défis posés par la crise de COVID-19 et l’après COVID. Une seule condition émise : pouvoir former un gouvernement disposant d’une large majorité parlementaire, au sein duquel des adversaires autrefois farouchement opposés siégeraient ensemble au Conseil des ministres, mettant ainsi de côté les griefs et les divergences idéologiques. Le Mouvement 5 étoiles, le Parti démocrate, la Ligue, Forza Italia de Silvio Berlusconi, Italia Viva de Matteo Renzi et quelques autres petits partis se retrouvaient côte à côte.
Le Mouvement 5 étoiles (qui n’a jamais voulu endosser l’étiquette de « parti ») était sans surprise sorti largement vainqueur des élections législatives de 2018, mais avait ensuite connu, dès les élections européennes de 2019 et, par la suite, à toutes les élections régionales et municipales, une longue descente aux enfers. Pendant un peu plus d’un an, les représentants du Mouvement 5 étoiles se sont employés à former un gouvernement avec la Lega (extrême droite) de Matteo Salvini et « Forza Italia » de Silvio Berlusconi, après que le Parti démocrate (social-démocrate) a refusé de se joindre à une coalition en raison de divergences de programmes. Rétrospectivement, cette décision du Parti démocrate est considérée par beaucoup comme une erreur stratégique, car elle présageait la montée de la Lega.
Pour la première fois depuis la guerre, en 2018, un politicien non professionnel, le professeur en droit Giuseppe Conte, a été élu chef du gouvernement italien. En raison des divergences existant entre le Mouvement 5 étoiles et la Ligue, ainsi qu’un but fatal du ministre de l’Intérieur et de la lutte contre l’immigration, Matteo Salvini, contre son propre camp, qui souhaitait la tenue d’élections anticipées et la formation d’un gouvernement unipartite (« avec des pouvoirs illimités » !), ce premier gouvernement (« gouvernement Conte ») est dissout en septembre 2019. Le « gouvernement Conte II », né cette fois-ci d’une coalition entre le Mouvement 5 étoiles et le Parti démocrate, et opposé à la Ligue, s’est rapidement vu confronté à la tâche d’élaborer des politiques pour répondre à la première vague de COVID-19, particulièrement dévastatrice en Italie, et de corriger, dans le même temps, les violations les plus graves intervenues sous Salvini. Cette coalition n’aura survécu que seize mois. Pendant ce temps, l’ancien Premier ministre (2014-2016) et secrétaire général du Parti démocrate, Matteo Renzi, avait quitté son parti avec un certain nombre de partisans pour fonder un nouveau parti (« Italia Viva ») qui a ensuite refusé de soutenir le gouvernement Conte II en janvier 2021, le privant ainsi de la majorité au Parlement. Pour faire face au choc de la triple crise politique, sanitaire et économique à la suite du confinement, Mario Draghi se voit confier la tâche de réunir autour d’une même table, au Palazzo Chigi, siège du Conseil des ministres, toutes les forces politiques qui s’étaient affrontées pendant des années dans l’une ou l’autre de ces coalitions. Le gouvernement Draghi s’est appuyé sur un programme « technique » qui devait guider l’Italie jusqu’aux prochaines élections régulières du printemps 2023. Nous tenons à souligner une fois de plus que personne, au sein de la grande coalition, n’a remis en cause les fondements de ce programme ni même sa mise en œuvre. Il n’y avait donc aucune raison politique ou programmatique de mettre fin prématurément au travail du gouvernement, qui s’est avéré être un succès sur le plan économique. Alors pourquoi ?
Selon de nombreux observateurs, la coalition du centre-droit a surtout cherché à améliorer les chances électorales de son propre parti en avançant la date des élections et en remplaçant le gouvernement. Non seulement le Mouvement 5 étoiles n’a pas tiré profit de sa participation à trois gouvernements différents depuis sa victoire électorale, mais il a vu sa cote de popularité chuter progressivement, passant de 32 % en 2018 à 10 - 11 % en juillet 2022 selon les estimations, une tendance qui s’était déjà dessinée lors de toutes les élections des quatre dernières années et qui avait entraîné de fortes tensions internes.[1] Le porte-parole politique du Mouvement 5 étoiles, Luigi Di Maio, ministre des Affaires étrangères, a quitté le mouvement en juin 2022, suivi par un certain nombre de députés, en raison d’un désaccord sur l’aide militaire octroyée à l’Ukraine. Au sein du gouvernement Draghi, le Parti démocrate a été la force motrice à laquelle on a volontiers attribué les succès de l’action gouvernementale. En revanche, le Mouvement n’a pas réussi à sortir du lot. En refusant d’approuver, au Parlement, un décret gouvernemental sur les aides d’urgence pour les personnes particulièrement touchées par la hausse des prix de l’énergie (qui avait été adopté par le Conseil des ministres avec le soutien de ses propres ministres !), le Mouvement avait provoqué la crise à la mi-juillet. Soudain, le mouvement dirigé par Conte s’est retrouvé sur le devant de la scène, mais seulement pour quelques jours et sans la hausse tant attendue dans les prévisions électorales.
Quelques jours plus tard, la Lega et Forza Italia ont prétexté le départ du Mouvement 5 étoiles pour renverser le gouvernement auquel ils avaient eux-mêmes participé. Ces deux partis étaient déjà affiliés depuis longtemps à la seule force d’opposition importante, Fratelli d’Italia, avec l’intention de former une coalition de « centre-droit » et d’avoir ainsi plus de chance de remporter les élections et d’imposer le national-populisme de droite pour les cinq prochaines années, au moins. Toutefois, il aurait été peu crédible, voire incohérent, de promouvoir, pendant la campagne électorale, une coalition composée de trois forces politiques avec un programme commun, dont deux faisaient partie du gouvernement jusqu’au jour des élections et dans les semaines qui ont suivi, alors que la troisième représentait le camp de l’opposition.
Malgré la confusion provoquée par la démission de Mario Draghi, non seulement en Italie, mais aussi au sein de l’Union européenne et au niveau international, et malgré la réaction négative attendue des marchés financiers et la brusque hausse des taux d’intérêt de la dette publique italienne, les calculs électoraux et l’égoïsme des partis l’ont emporté.
Majorité par-ci, proportionnalité par-là : la complexité du système électoral italien
Le système électoral revêt une importance capitale pour la campagne électorale qui vient de débuter et pour la composition du futur Parlement. Le deuxième paradoxe de la politique intérieure italienne réside dans les lois électorales souvent changeantes et relativement complexes. Elles ont été déclarées inconstitutionnelles à maintes reprises par la Cour constitutionnelle et ne semblent jamais être satisfaisantes. Une réforme, suggérée notamment par le Parti démocrate en 2021, en faveur d’un système proportionnel, à l’instar du système allemand, n’a jamais fait l’objet d’un débat parlementaire.
La loi électorale actuellement en vigueur appelée « Rosatellum », d’après Ettore Rosato, a été adoptée en 2017 et est entrée en application pour la première fois en 2018. Cette loi prévoit un système mixte combinant logiques majoritaire et proportionnelle, le premier mode[MP1] allouant 37 % des sièges du Parlement, le second 61 %. Les 2 % restants sont élus par les Italiens de l’étranger. Ce système s’applique dans les deux chambres du Parlement : Chambre des députés et Sénat. Dans chaque circonscription électorale, un seul candidat* peut être élu au scrutin majoritaire, en votant soit pour des listes seules, soit pour des coalitions de listes. Le panachage est interdit. Par conséquent, le nombre de sièges attribués à un parti ou à une coalition dans les deux chambres peut être plus important que ce qui correspondrait au résultat total. Lors des dernières élections de 2018, cette loi a favorisé aussi bien le Mouvement 5 étoiles que les partis de droite, au détriment du Parti démocrate et, surtout, du parti de gauche « Liberi e Uguali » (« Libres et égaux »). En effet, la coalition des trois partis de droite, qui ne peuvent présenter ensemble qu’un seul candidat par circonscription, l’emportera dans bien plus de circonscriptions que le centre-gauche et obtiendra donc plus de sièges qu’elle n’en aurait obtenus dans le cadre d’un système purement proportionnel.
Les partis doivent obtenir au moins 3 % des voix au niveau national pour être représentés au Parlement. Pour les coalitions, le seuil minimal est porté à 10 %, chaque parti de l’alliance étant tenu d’obtenir au moins 1 % des voix. Un tel système devrait aussi plutôt avantager la droite, car les différentes composantes de sa coalition obtiendront largement plus de 1 % des voix, alors que la gauche demeure extrêmement fragmentée. Dans tous les cas, le « Rosatellum » vise à encourager la formation de coalitions dans le but de renforcer la stabilité du futur gouvernement.
Cet objectif, particulièrement important pour l’Italie, vient toutefois se heurter à un autre paradoxe, à savoir une pratique très répandue parmi les parlementaires qui consiste à changer de groupe parlementaire en cours de législature, à quitter leur propre parti, à en fonder un nouveau ou à rejoindre le « groupe mixte ». Depuis 2018, le nombre de ces « transfuges » ou « traîtres » aux yeux de leur groupe respectif s’élève à au moins 144 députés et 72 sénateurs. Rien qu’au cours des trois premiers mois de l’année 2022, 24 parlementaires ont changé de groupe, parfois même plus d’une fois. Le Mouvement 5 étoiles a été le plus touché, perdant au total 100 représentants depuis 2018. Les rapports de force ont été profondément modifiés dans les deux chambres, bien que le Mouvement 5 étoiles constitue toujours le groupe le plus important. Très souvent, les raisons de cet abandon ne sont pas tant, ou du moins pas seulement, liées à des querelles de fond avec son propre parti, mais à des ambitions personnelles et à la volonté de sortir de l’ombre par la voie de la scission.
Il convient de souligner que le « Rosatellum » contient une clause de parité hommes-femmes, les partis et coalitions étant tenus de garantir un rapport maximum/minimum de 60:40 lors de la constitution des listes de candidats*, sous peine de nullité des listes. Cela vaut également pour les listes de candidats* soumis au scrutin majoritaire dans les circonscriptions électorales, qui doivent généralement respecter le même ratio au niveau national.
Enfin, il convient de rappeler que pour la première fois depuis la naissance de la République italienne, les deux chambres du Parlement seront réduites d’un tiers. Un référendum, souhaité notamment par le Mouvement 5 étoiles, avait conduit à une modification de la Constitution en ce sens en 2020. Dès le départ, le mouvement a revendiqué la réduction des dépenses de l’appareil politique, une revendication qui n’a pas eu de mal à obtenir des voix. Au lieu de 900, il n’y aura plus que 600 parlementaires au total.
Le même amendement constitutionnel a également abaissé l’âge d’éligibilité au Sénat de 25 à 18 ans. Le nombre d’électeurs pour le Sénat augmente ainsi de 6 %.
Dans les prochains articles, nous nous pencherons davantage sur les sondages et les projections relatifs aux élections. En guise d’introduction : À la mi-août, il semblait que la coalition de centre-droit pourrait obtenir entre 43 et 46 % des voix, ce qui, en incluant les députés élus au scrutin majoritaire, donnerait aux deux chambres du Parlement une majorité qui avoisinerait les 60 %.
[1] Dans un autre article de cette série, nous aborderons plus en détail la spécificité du Mouvement 5 étoiles.
[MP1]Scrutin ? Voir texte original