Le onzième commandement : tu ne seras pas indifférent·e !

Entretien

Le dix-neuf avril 1943, la population juive condamnée à mort du ghetto de Varsovie s’est soulevée dans une lutte héroïque sans précédent contre l’occupation allemande. La célébration du quatre-vingtième anniversaire du soulèvement du ghetto approche. Joanna Maria Stolarek, directrice du bureau de Varsovie de la Fondation Heinrich Böll s’est entretenue avec Zygmunt Stępiński, directeur du Musée de l’Histoire des Juifs polonais (POLIN) de Varsovie à propos de la célébration, du caractère du souvenir et du message universel suscité par le soulèvement et sa célébration.

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Joanna Maria Stolarek : Le soulèvement du ghetto de Varsovie a débuté il y a 80 ans. Cette année, c’est un anniversaire très spécial. Comment doit-on le commémorer ?

Zygmunt Stępiński : Le soulèvement doit toujours être présent dans les mémoires. Cet anniversaire n’est pas seulement important pour la population juive de Pologne. Il l’est aussi pour celles et ceux qui vivent en Israël et pour l’ensemble de la diaspora juive. Il l’est même pour le peuple polonais. C’est le premier soulèvement armé de la population juive enfermée, isolée dans des ghettos et condamnée à mourir de faim, de maladie et des crimes qui y furent perpétrés. Condamnée aussi à être déportée à Treblinka, un camp de la mort où elle était exécutée le jour même de son arrivée, les corps brulés. Je vous rappelle qu’à son apogée, le ghetto de Varsovie comptait 450 000 personnes.

Il s’agit également du premier soulèvement armé dans l’Europe occupée.

Il faut s’en souvenir, car la Shoah a mis fin à une histoire de presque mille ans de la diaspora juive en Pologne. Quand la Seconde Guerre mondiale a éclaté, la communauté juive de Pologne comptait plus de 3,5 millions de personnes. Le nombre des survivant·s à l’occupation et à l’Holocauste en Pologne était de 50 000. Environ 250 000 membres de la communauté juive ont survécu à la guerre en Union soviétique. Ils sont retournés par vagues successives en Pologne à partir de 1945, et n’y ont trouvé que ruines et décombres. Ils ne pouvaient pas vivre dans leurs anciennes maisons, où d’autres personnes les avaient remplacés.

L’ampleur de ce génocide est effarante. Nous évoquons des chiffres abstraits. Cependant, il est extrêmement compliqué de se représenter la solitude de chaque individu, de s’imaginer et de ressentir l’ampleur de cette tragédie, l’expérience vécue par les gens enfermés dans les ghettos à travers le pays. Pendant plus de deux ans, ces personnes ont vécu avec la conscience que c’était déjà la fin, sans pratiquement aucun espoir d’être sauvées.

Au début du soulèvement, le ghetto de Varsovie comptait 50 000 personnes d’origine juive. C’était des civils. Elles n’appartenaient à aucune organisation armée, mais se battaient pourtant : pour chaque minute, chaque heure, chaque jour de leur vie. L’attitude de ces civils qui se préparaient depuis longtemps à la survie, qui ont refusé de suivre les ordres des Allemands et ont construit des bunkers et des abris pour tenter de sauver leurs vies et celles de leurs proches est absolument remarquable. C’est une démonstration d’héroïsme extrême.

L’expression « jamais plus » réapparaît depuis des années comme un leitmotiv. Pendant ce temps, à quelques kilomètres à peine de Varsovie, en Ukraine, la Russie mène une guerre effroyable contre la nation et l'État ukrainiens. Des crimes contre l’humanité y sont à nouveau commis. Cela ne devrait pas nous laisser insensibles ! C’est le onzième commandement, que Marian Turski, un survivant des camps de concentration, témoin de cette histoire tragique et président du conseil de direction du musée, a adressé au monde entier.

Après la prise de pouvoir d’Hitler en Allemagne, la population juive a été peu à peu, jour après jour, privée de ses droits. Le monde entier regardait, indifférent à ce qui se passait. Nous connaissons la suite. C’est pourquoi il convient de ne pas être indifférent·e·s aux crimes perpétrés actuellement par les Russes en Ukraine. Cependant, le mal se produit aussi dans d’autres parties du monde et sur le plan individuel, très souvent juste à côté de chez nous, parfois même dans la rue où nous vivons.

 

Se souvenir est une chose. Mais comment procéder ? Qui décide de la forme que doit prendre cette commémoration ? Quelle est la nature de ce souvenir ? Comment devons-nous nous souvenir à une époque où quelques témoins sont encore en vie, mais bientôt ne seront plus là ?

Les témoins sont de plus en plus rares. Il s’agit d’un nombre très restreint de personnes. Elles étaient enfants lors de la Shoah. Quelques-unes ont été sauvées, car elles ont été évacuées du ghetto et confiées à des familles qui vivaient du côté « aryen », s’en sont occupées et les ont aidées à survivre. Très peu ont survécu à l’Holocauste dans le ghetto ou en ont été évacuées pendant le soulèvement. Une de ces personnes est Krystyna Budnicka, le seul membre de la famille Kuczer à avoir survécu à la Shoah. Ses rencontres avec les jeunes sont très appréciées. Quand elle vient, notre auditorium est toujours plein. Ces événements sont extrêmement importants. C’est vraiment le dernier moment où il est encore possible d’écouter une survivante de l’Holocauste partager son expérience personnelle.

D’un point de vue plus général, c’est la position de chaque individu qui importe. C’est pourquoi nous avons lancé la « campagne des jonquilles » qui, cette année, pour la 11e fois déjà, rappellera ce que fut le soulèvement du ghetto de Varsovie. C’est avec une grande fierté que nous voyons de plus en plus de personnes s’intéresser à ce soulèvement. En 2013, nous avons recruté quelques dizaines de volontaires. On en dénombre aujourd’hui plus de 3 000. Il y a dix ans, peu de gens connaissaient le soulèvement du ghetto de Varsovie. Aujourd’hui, plus de 90 % de la population de Varsovie en ont entendu parler, comme le confirme l’enquête sur Varsovie.

 

Permettez-moi de répéter la question : quelle est la meilleure façon de se souvenir ? Quelle est la bonne façon de le faire ?

L’éducation est la meilleure façon de se souvenir. Il faut revenir aux sources, organiser des rencontres avec les survivant·e·s du cauchemar de la Shoah, de l’isolement du ghetto et du soulèvement lui-même. Il y en a de moins en moins, mais beaucoup ont réussi à enregistrer leurs témoignages. Ils ont une valeur éducative unique. L’éducation, y compris l’éducation à l’Holocauste, constitue l’un des programmes principaux du Musée POLIN. L’année dernière, plus d’un demi-million de classes de toute la Pologne ont participé à des ateliers organisés dans le cadre de l’exposition principale et à des cours.

La plupart des sociétés dans les pays démocratiques développés vivent dans la prospérité. Certaines sont mieux loties que d’autres, mais en général, nous jouissons de la paix en Europe depuis de nombreuses années. Il y a plus de trente ans, un génocide a eu lieu en Bosnie-Herzégovine. Aujourd’hui, la même chose se produit en Ukraine et le monde entier regarde. Nous avons bien dit « plus jamais ça », n’est-ce pas ? Nous devons continuer à expliquer aux jeunes les conséquences de l’indifférence et le fait que la paix ne peut pas être considérée comme acquise. À l’avenir, ces jeunes gens seront en mesure d’influencer les actions de leurs gouvernements, des sociétés dans lesquelles ils vivent et de leurs nations. Nous voulons qu’ils profitent des leçons tirées de l’Holocauste, ainsi que des génocides dans les Balkans et en Ukraine.

 

Vous parlez du contexte européen et mondial de la culture de mémoire. Pensez-vous que la Pologne devrait jouer un rôle particulier dans l’élaboration de la culture de mémoire ? Je fais allusion à l’anniversaire du soulèvement du ghetto de Varsovie.

Vous pouvez suivre la façon dont les anniversaires postérieurs au soulèvement du ghetto de Varsovie ont été célébrés. Le premier monument fut inauguré en 1946. Il était très modeste et était symbolisé par une plaque d’égout, car les Juifs et les Juives avaient tenté de s’enfuir du ghetto par les égouts. En 1948, l’un des monuments les plus célèbres au monde fut érigé. Il s’agit du Monument aux héros du ghetto. Une œuvre de Natan Rapoport. Il s’en est suivi une période honteuse de silence. Les seuls à commémorer les anniversaires furent les membres de la communauté juive, les émissaires des rares organisations juives et leurs proches. Nous ne devons pas oublier que la plupart des Juifs et des Juives qui avaient miraculeusement survécu à la guerre ont quitté la Pologne par vagues successives. C’est aussi le cas de leurs enfants. La dernière vague d’émigration a été la conséquence de la campagne antisémite de 1968.

En 1983, ce sont les communistes qui ont eu l’idée d’organiser un événement officiel pour commémorer le 40e anniversaire du soulèvement du ghetto de Varsovie. Marek Edelman, le dernier chef du soulèvement, fut alors invité. Il a bien évidemment décliné l’invitation, car de nombreuses personnes en relation avec l’opposition démocratique polonaise étaient, à cette époque, soit interpellées, soit incarcérées. Les activistes de l’opposition ont organisé leur propre événement pour célébrer cet anniversaire, au cours duquel Marek Edelman a prononcé un discours remarquable.

Il faut attendre la fin des années 80 pour qu’une avancée se produise. Les rassemblements devant le monument sont devenus une tradition. À ces rassemblements participaient Marek Edelman, ses camarades et collègues de l’opposition démocratique, et de plus en plus la population de Varsovie. Pour la première fois, Marek Edelman reçut un bouquet de fleurs jaunes d’une inconnue. Dès lors, fleurira chaque année de fleurs jaunes le Monument aux Héros du ghetto. C’est ainsi qu’une nouvelle tradition vît le jour. Auparavant, seuls les membres de la communauté juive, dont mes pairs et leurs familles faisaient partie, se rassemblaient au pied du monument. Cette tradition cessa net après 1968. 13 000 Juifs et Juives de Pologne qui tentaient de refaire leur vie dans la Pologne d’après-guerre durent alors quitter le pays en raison de la politique antisémite du gouvernement. Ce n’est qu’à la fin des années 80 que les rassemblements devant le monument seront possibles. Les autorités communistes autoriseront alors les exilé·e·s à se rendre en Pologne pour assister aux cérémonies de commémoration.

Par la suite, les cérémonies de commémoration, en particulier les décennales, lors desquelles les présidents successifs étaient présents, furent organisées par l’État. Depuis, les émissaires des plus hautes autorités, y compris allemandes, furent invités et ils ont assisté aux cérémonies, ce qui est d’une importance capitale.

La visite du chancelier allemand Willy Brandt en décembre 1970 a constitué un geste très symbolique. Il s’est agenouillé au pied du monument des héros du ghetto et a présenté ses excuses. Le peuple allemand reconnaissait ainsi sa responsabilité. Willy Brandt restera dans les mémoires comme la première personnalité politique allemande, et longtemps la seule, à avoir le courage d’une telle déclaration.

Aujourd’hui, des cérémonies commémoratives sont organisées au monument de Rapoport tous les ans par l’État. Elles s’accompagnent de manifestations du souvenir non officielles auxquelles participent des centaines de personnes de tous âges. Notre musée, comme nous l’avons déjà évoqué, organise la « campagne des jonquilles ». Elle est suivie par des millions de personnes en Pologne et au-delà, y compris aux États-Unis, au Canada et en Israël. Des jonquilles sont distribuées au Parlement européen et envoyées aux missions diplomatiques. Nous voulons que la mémoire du soulèvement se perpétue au-delà de la Pologne, car elle est porteuse d’un profond message humaniste.

 

Qu’attendez-vous du peuple allemand au sujet de la commémoration du soulèvement du ghetto de Varsovie ?

Ma fille, qui a quitté la Pologne depuis longtemps, s’est mariée à un Allemand. Elle vit à Francfort et a deux enfants. Quand je lui ai rendu visite pour la première fois à Francfort, elle m’a conduit à une exposition sur la responsabilité du peuple allemand durant la Seconde Guerre mondiale. L’accent portait surtout sur IG Farben dont le siège social de l’époque abrite maintenant l’Université Goethe. Le rôle joué par cette entreprise pendant la guerre est connu de tout le monde. De même, ce qu’elle produisait, où elle le produisait et à qui elle livrait ses produits. Ma petite fille de 13 ans a aussi vu cette exposition. Elle est très intelligente et s’intéresse depuis des années à la Shoah. Je suppose qu’elle a lu tous les livres d’enfants sur le sujet. Il y a un an, elle m’a téléphoné et m’a demandé : «᠎ Grand-père, j’aimerais te demander une faveur. Peux-tu organiser une rencontre avec Marian Turski ? ». J’ai appelé Marian avec qui j’étais ami depuis des années et lui ai fait part de l’intention de ma petite fille de le rencontrer pour obtenir des informations de première main. Il accepta, bien sûr, de la rencontrer. Lors de leur entrevue, il répondit à toutes ses questions. Leur rencontre devait durer une heure. Elle a en fait duré cinq heures ! Marian Turski m’a dit que c’était la rencontre la plus importante de sa vie. Mon petit fils a posé la dernière question : « Monsieur Turski, que feriez-vous si vous rencontriez de vrais antisémites ? Tout le monde sait qu’ils sont encore actifs ». Marian lui raconta comment la BBC lui avait demandé de rencontrer trois leaders de partis nazis britanniques, allemands et italiens au camp de concentration d’Auschwitz. Il donna son accord. Il indiqua que c’était la première fois de sa vie qu’il ne sût comment réagir quand un néonazi italien lui demanda : « Pouvez-vous prouver que votre frère et votre père ont été tués à Auschwitz ? Ils auraient pu s’échapper, avoir été sauvés, survivre. Vous n’avez aucune preuve qu’ils ont été vraiment tués à Auschwitz ». Marian s’est alors levé et est parti.

Je vous raconte cette histoire afin de vous montrer l’effet incroyable produit sur de jeunes gens qui ont l’occasion de discuter avec un rescapé ou une survivante, aussi bien en Pologne qu’en Allemagne. Marian Turski fut reclus pendant cinq ans dans le ghetto de Lizmannstadt. Il fut plus tard incarcéré à Auschwitz, où seuls lui et sa mère survécurent au reste des membres de sa famille. Pour finir, il a pris part aux marches de la mort. Lorsque Marian s’adresse à des enfants, il ne se contente pas de leur raconter ce qui lui est arrivé pendant la Shoah. C’est plus que ça. C’est un orateur talentueux qui trouve les mots justes pour stimuler l’imagination et la sensibilité des enfants.

Et maintenant, pour répondre à votre question de savoir comment se souvenir et ce que j’attends de l’Allemagne ou de tout autre pays. Eh bien, c’est l’éducation, l’éducation et encore l’éducation. Il n’existe pas d’autre choix que de montrer ou de décrire ce qui s’est passé pendant la Shoah. D’autant plus que tout ceci a fait l’objet de recherches approfondies et d’articles dans des journaux largement diffusés. Il suffit de faire preuve de bonne volonté.

 

Vous avez parlé de la rencontre de Marian Turski avec vos petits-enfants, du message direct transmis par un rescapé dont l’impact est différent de celui exercé par la lecture d’un livre ou du visionnage d’un film. Mais que ferons-nous lorsqu’il n’y aura plus ni rescapés ni survivantes ? Quelle sera la prochaine étape ?

Les nouvelles technologies progressent. Nous travaillons depuis plus de six mois à un avatar de Marian Turski. Après différentes tentatives pour le convaincre, il a finalement accepté d’effectuer les enregistrements. Son avatar sera disponible dans la galerie de l’héritage du Musée POLIN. Les visiteurs et visiteuses pourront lui poser des milliers de questions. Un programme informatique très rapide y répondra automatiquement.

 

Cela signifie-t-il qu’il utilisera l’intelligence artificielle ?

En effet. Peut-il remplacer Marian qui participe déjà en personne à ces meetings ? Non. Remplacera-t-il Krystyna Budnicka ? Non plus. Remplacera-t-il ma mère adoptive qui, pendant dix ans, a voyagé de Varsovie à Lodz à la rencontre d’élèves des États-Unis qui venaient chaque année à Lodz avec leur enseignant·e pour l’écouter raconter la vie dans le ghetto ? Non, ce n’est pas le cas.

Savez-vous ce qui est important dans tout cela ? Ni elle ni Marian Turski n’ont de ressentiments. Ils n’ont jamais dit qu’ils haïssaient les Allemand·e·s. Ils ne haïssent que les Allemands qui ont fait subir à des gens ce destin tragique. Cela ne s’applique pas aux jeunes générations. 80 ans se sont écoulés depuis. Nous devons en parler et nous concentrer sur la construction de ponts et la compréhension mutuelle.

 

Vous avez mentionné l’éducation. En Allemagne, mais pas seulement en Allemagne, le soulèvement du ghetto de Varsovie et l’insurrection de Varsovie font souvent l’objet de confusion. C’est précisément l’éducation qui est primordiale pour éviter de telles confusions, n’est-ce pas ?

Deux révoltes se sont effectivement produites à Varsovie à un peu plus d’un an d’écart. On parle même parfois de Varsovie comme de la ville des deux révoltes. Cela peut aussi prêter à confusion. Je ne suis d’ailleurs pas sûr que la jeunesse polonaise (en particulier celle qui ne vit pas à Varsovie) n’est pas aussi désorientée. Je suis toutefois certain que la connaissance de cette guerre atroce et de l’Holocauste commence à s’estomper. Après tout, 80 ans se sont passés depuis. Lorsque j’étais à l’école, je ne connaissais probablement pas grand-chose non plus de l’histoire du XIXe siècle. Il existe bien une différence fondamentale : c’est le soulèvement du ghetto de Varsovie qui doit être commémoré. C’est pourquoi j’espère que les Allemand·e·s visiteront le Musée POLIN et le musée de l’insurrection de Varsovie. Si oui, je pense que tout sera clair pour eux·elles.

Revenons-en aux deux révoltes. La seule chose que ces deux événements ont en commun, c’est la ville. Vous ne pouvez comparer la situation de la population juive enfermée dans le ghetto depuis 1940 et exterminée de façon systématique avec celle des Polonais·e·s juste avant le début du soulèvement. Juste pour plus de clarté : la situation des Polonais·e·s qui vivaient de l’autre côté du mur était aussi très difficile. Beaucoup furent arrêté·e·s et torturé·e·s, des rafles avaient lieu tous les jours, et les exécutions en public étaient aussi fréquentes. La population polonaise souffrait terriblement. Cependant, la Pologne disposait d’un gouvernement qui travaillait en exil à Londres. En Pologne même, l’armée intérieure était une force puissante. C’est la raison pour laquelle le début de l’insurrection fut décidé en août 1944 avant l’arrivée de l’offensive de l’Armée rouge. N’oublions pas une chose : l’insurrection de Varsovie a éclaté parce que ses leaders espéraient une victoire stratégique. Les Juif·ve·s de 1943 ne luttaient pas pour une victoire au sens militaire du terme. Ils n’avaient aucune chance.

Les conséquences des deux révoltes furent cependant similaires. Lors du soulèvement du ghetto de Varsovie, pratiquement la totalité des membres de la communauté juive furent abattus sur place ou au camp de concentration de Treblinka. Très peu survécurent. D’un point de vue militaire, il n’y avait rien à gagner en 1943 et rien ne fut gagné. Ce fut un triomphe de l’humanité, une révolte de gens condamnés à mort. Lors de l’insurrection de Varsovie, 200 000 personnes environ moururent, certaines dès le début, dans des circonstances absolument cruelles. Les unités de SS commandées par Oskar Dirlewanger assassinèrent brutalement, entre autres, 300 000 civils qui n’étaient pas impliqués dans l’insurrection.

Après le soulèvement du ghetto de Varsovie, tout le quartier juif dans lequel le ghetto fortifié se trouvait au préalable fut détruit et incendié, maison par maison. Pendant et après l’insurrection de Varsovie, la ville entière fut entièrement détruite. Il existe donc des similitudes. Cependant, ces deux révoltes sont distinctes. J’essaie de comprendre les personnes qui veulent trouver des similitudes, mais il est important de ne pas occulter les différences.

 

Je comprends parfaitement. Quel a été le fil directeur, pour vous ou pour le musée, de la commémoration du 80e anniversaire du soulèvement du ghetto de Varsovie ? Que voulez-vous montrer ?

Nous avons décidé qu’en 2023 l’événement principal du programme du Musée POLIN serait une exposition temporaire focalisée sur le soulèvement. Nous avons proposé une collaboration sur ce projet à Barbara Engelking, professeure au Centre de recherche polonais sur l’Holocauste, une des meilleures spécialistes au monde de l’histoire et du soulèvement du ghetto de Varsovie. Elle s’est forgée sa propre idée de l’exposition. Nous avons décidé qu’elle serait dédiée aux civils. Les membres de la communauté juive qui décidèrent de rester dans le ghetto, dans des conditions extrêmement pénibles, isolé·e·s, sans aucune aide de l’extérieur, abandonnés à leur sort, sans aucun espoir de survie. Ils se cachaient, car ils ne voulaient pas être déportés vers Treblinka. Leur résistance passive fut une forme de combat. Nous les considérons avec les mêmes égards que les combattants et les combattantes. C’était une lutte pour la survie, pour la vie, pour exister un jour de plus, une semaine de plus, plus longtemps peut-être. Ceci est primordial à nos yeux.

L’histoire et l’évolution du soulèvement du ghetto de Varsovie sont relativement bien documentées. En ce qui concerne les civils, cependant, dont nous avons décidé de montrer leur sort dans l’exposition, nous n’avons pu utiliser que de rares informations, de très rares matériaux conçus dans le ghetto, préservés par miracle. Nous avons aussi utilisé des récits rédigés pendant le soulèvement par des Juifs et des Juives caché·e·s du côté « aryen », ainsi que des témoignages écrits et oraux des personnes qui ont survécu au soulèvement dans le ghetto lui-même. Ce n’est pas grand-chose. Nous avons, sur cette base, en sachant comment il·elle·s préparaient le soulèvement, comment ils·elle·s édifiaient des bunkers avec accès à l’eau, à l’électricité et à l’air frais, reconstruit une histoire sur le destin tragique des civils.

Je vis à Varsovie depuis 76 ans. J’ai appris mon origine juive assez tard. J’ai eu l’occasion de voir le monument des héros du ghetto à de nombreuses reprises. Croyez-moi, pendant de nombreuses années, je ne connaissais que sa façade avant. Celle qui fait aujourd’hui face au Musée POLIN. Toute la composition de la décoration intérieure et extérieure du musée, telle qu’elle a été conçue par son architecte, Rainer Mahlamäki, démarre par le monument à la mémoire des héros de l’insurrection. Les combattant·e·s font face au musée. Le Musée POLIN, comme nous le répétons souvent, est un musée dédié à la vie. Il raconte l’histoire millénaire des Juifs et des Juives en terre polonaise et dispose d’une large baie vitrée donnant sur le parc. C’est d’ailleurs dans ce dernier que se trouve le monument de Willy Brandt.

L’autre côté du monument, « l’autre », comme nous l’appelons, raconte l’histoire des civils. Chaque jour, en me rendant au travail, je passe devant le monument et je vois les personnes qui y sont représentées se faire bousculer pour aller au-devant de la mort. Un jour, il neigeait. J’ai pris mon appareil photo et j’ai fait une photo. Il y avait de la neige aux pieds des personnages représentés sur l’« autre » côté du monument. Elle était si dense que l’appareil photo a capturé les flocons de neige. Je pense que cette photo est la meilleure représentation de ces civils et des conditions dans lesquelles ils ont vécu et ont été conduits à l’Umschlagplatz (centre de transbordement). Pour être acheminés à Treblinka dans des wagons à bestiaux. Pour mourir dans des chambres à gaz.

Toutefois, l’idée de Natan Rapoport, qui conçut le monument, avait une explication historique. Permettez-moi de citer ma collègue, la docteure Renata Piątkowska, qui travaille au musée :

« Le mur oriental du monument avec la  “Marche vers la mort”, le bas-relief en pierre est la partie la plus importante de la galerie consacrée aux “Années d’après-guerre” de l’exposition principale du Musée POLIN. Nous y exposons une copie du bas-relief original “Marche vers la mort” de Rapoport et des photos d’archives privées. Elles montrent l’importance que revêtait cette face du monument pour les survivant·e·s, car elle représente le “peuple d’Israël” entamant son dernier voyage vers la mort, vers le néant.

Dans sa composition, Rapoport fait directement référence à “Golus”, l’œuvre emblématique de Samuel Hirszenberg. Hirszenberg s’est inspiré de la scène de la Marche du peuple juif représentée sur l’Arc de Titus, érigé à Rome après 81, à la suite de la victoire romaine sur les Juif·ve·s. On les voit vaincu·e·s défiler avec différents objets (dont une menora à sept branches) provenant du Temple de Jérusalem détruit par l’armée romaine. La destruction du Temple est une date symbolique qui marque le début de la diaspora, c’est-à-dire la dispersion des Juifs contraints de quitter Jérusalem.

Le “Golus” de Hirszenberg, achevé en 1904, représente une autre étape de cet éternel voyage solitaire des Juifs contraints de quitter leur patrie. Il est rapidement devenu une icône mondialement reconnue du destin juif.

La manière dont Rapoport concevait sa tâche ressemble à celle d’Hirszenberg. Comme il l’a dit lui-même : Je voulais présenter le martyre juif sous l’occupation nazie. En particulier l’héroïsme juif dont ont fait preuve les héros et les héroïnes du ghetto et les partisans et partisanes, avec dignité, en soulignant son sens historique profond et son lien avec le martyre et l’héroïsme juifs du passé. Je n’ai pas envisagé le martyre juif pendant l’occupation comme un épisode historique isolé. Je l’ai plutôt considéré comme un maillon de la chaîne de la souffrance juive qui dure depuis deux mille ans sous la forme de persécutions, d’oppressions, d’inquisitions et de pogroms” . (Der szafer fun denkmal natan rapoport wegn zajn werk [le créateur du monument, Natan Rapoport, sur son œuvre], sur: Der denkmal fun jidiszer gwure un martirertum/le monument du ghetto de Varsovie/Pomnik ku czci Ghetta warszawskiego, traduit par Anna Szyba, Paris 1948, p. 6–7). »

Nous nous efforçons d’attirer l’attention des gens sur l’autre côté du monument, car nous voulons qu’il redevienne un élément de l’histoire des civils, qui va désormais constituer l’essentiel du programme du Musée POLIN durant quelques mois.

 

Lors de notre dernière rencontre, en abordant ce sujet, vous m’avez motivée. Aujourd’hui, en me rendant au musée, je suis allée jeter un coup d’œil de l’autre côté du monument.

Je sais que ce message finira par passer et que les gens fleuriront aussi l’autre côté du monument. Celui qui commémore ces héros et ces héroïnes paisibles qui, eux·elles aussi, ont eu le courage de se battre pour leur vie.

 

C’est une exposition temporaire. Maintenant, revenons sur le concept même du Musée POLIN. Il jouit déjà d’une grande notoriété. Toute personne qui visite Varsovie commence par la visite du musée. Pourquoi le Musée POLIN est-il devenu un tel phénomène ? Pourquoi attire-t-il autant de gens ?

En tant qu’ancien critique d’architecture, je devrais commencer par faire l’éloge du bâtiment pour son caractère unique. Cependant, je pense aujourd’hui que la notoriété du Musée POLIN est avant tout due à son exposition permanente. Elle raconte des siècles d’histoire juive en Pologne. Cette histoire est méconnue des Polonais·e·s ainsi que des Israélien·ne·s, qui ne l’ont pas apprise, mais aussi des membres de la diaspora juive qui ont oublié ou n’ont jamais su qu’elles étaient leurs origines.

70 % des familles d’origine juives qui vivent dans le monde, principalement en Israël et aux États-Unis, sont issues de l’ancienne communauté polono-lituanienne. Leur histoire a été marquée par la Shoah. La Pologne, à savoir son territoire géographique et l’État lui-même, fut longtemps perçue comme étant le plus grand cimetière juif. Peu ont compris que ce sont les Allemands et non les Polonais qui ont construit les camps d’extermination. Leur choix s’est porté uniquement sur la Pologne, car la majeure partie de la communauté juive vivait dans la région englobant la Pologne, la Lituanie, la Biélorussie et l’Ukraine. Cela résolvait de nombreux problèmes de logistique et contribuait à réduire fortement les coûts d’extermination. Il était plus facile et plus efficace de construire des camps de la mort en Pologne pour assassiner les gens directement là où ils vivaient.

Je pense fermement que nous avons réalisé une avancée importante, car nous sommes le seul musée au monde qui expose presque mille ans d’histoire de la diaspora juive dans les frontières historiques de la Pologne. Lorsque vous dirigez un musée, il est important d’être crédible. Nous n’hésitons pas à aborder des sujets difficiles. Vous ne pouvez pas distinguer l’histoire de la Pologne de celle des Juif·ve·s. Ils se sont côtoyés, ont été en contact permanent, ont eu des différends et des conflits. Jusqu’à la Shoah. Nous montrons la contribution du peuple juif à la culture, à l’économie, à la science et à l’art polonais. Nous abordons aussi l’antisémitisme qui s’est formé lorsque les États nationaux ont commencé à émerger, pour atteindre son apogée en Pologne avant la Seconde Guerre mondiale.

 

J’ai aussi posé une question sur le phénomène POLIN. Que représente-t-il et pourquoi fonctionne-t-il ?

Le phénomène, c’est l’exposition. Pendant de nombreuses années, plus d’une centaine de spécialistes illustres y collaborèrent sous la direction de la professeure Barbara Kirshenblatt-Gimblett. Ces spécialistes venaient d’écoles, d’instituts et d’universités différentes. C’était des scientifiques, des historien·ne·s, des ethnographes et des anthropologistes. Pour résumer, c’était les meilleur·e·s spécialistes au monde. Ce sont les membres de l’Association de l’Institut historique juif de Pologne qui ont eu l’idée de créer ce qui s’appelait initialement le Musée de l’histoire des Juifs polonais (le nom POLIN a été ajouté quelques années après l’ouverture de l’exposition principale). À la suite de la visite du Musée du Mémorial de l’Holocauste de Washington, les membres de l’Association, de retour en Pologne ont déclaré : « Nous ne souhaitons pas un autre musée de l’Holocauste. Nous voulons un musée qui montre la manière dont ces gens vivaient, pas comme ils mourraient. » Ce n’est que l’avant-dernière galerie de l’exposition qui montre la destruction de la diaspora juive en Pologne. Toutes les autres, en commençant par la galerie de la « forêt » consacrée à l’arrivée des premier·ère·s Juif·ve·s en Pologne, montre l’histoire de l’essor de la communauté, de la culture juive, la tradition de tous les grands courants du judaïsme, de l’industrie, de l’économie et de la science juives. Elles présentent également des écrivains et écrivaines, des poètes, des peintres et des compositeurs et compositrices d’origine juive, ainsi que des personnalités exceptionnelles ayant appartenu à la communauté juive polonaise. La galerie « Héritage » raconte leur histoire. Les visiteurs et les visiteuses peuvent découvrir les Juif·ve·s qui ont fortement contribué au progrès de la civilisation mondiale, surtout les artistes d’Hollywood qui ont quitté la Pologne pour échapper à l’antisémitisme et ont ensuite travaillé dans l’industrie américaine du cinéma et du spectacle. Après l’ouverture de la galerie, on nous a tout de suite demandé pourquoi nous y avons inclus Rosa Luxemburg comme l’une des juives les plus illustres. C’est d’accord pour Arthur Rubinstein, pour Samuel Goldwyn. Même pour Ben Gurion, bien sûr, comme il est à l’origine de l’État d’Israël ! Des écrivains ou écrivaines notables, des récipiendaires du prix Nobel, des philosophes, Raphaël Lemkin (qui a inventé le terme de génocide), Helena Rubinstein, etc., d’accord. Mais pourquoi Rosa Luxemburg ? Eh bien, car Rosa Luxemburg appartient aussi à l’histoire des Juif·ve·s polonais·e·s. Son histoire méritait d’être racontée et l’a été. Ses opinions politiques ne nous intéressent pas ni le fait qu’elle pensait que les États nationaux devaient disparaitre pour permettre au prolétariat de gouverner. C’est précisément cela qui montre l’extraordinaire richesse de cet héritage.

 

Permettez-moi de revenir sur la question de la culture du souvenir. Qui décide de la manière dont l’histoire des Juif·ve·s, de la Shoah et du soulèvement du ghetto de Varsovie sera racontée ? Après tout, il s’agit également d’un outil politique.

Le Musée POLIN qui décide lui-même de son programme. Je dirais même que c’est son directeur ou sa directrice, mais ce n’est pas exact. En fait, le Musée POLIN est constitué d’une équipe de spécialistes notables qui élaborent les programmes qui remportent les prix les plus renommés dans le monde des musées. C’est avant tout leur réussite. J’assiste bien sûr à nos réunions sur le programme, et je suis diplômé en histoire. Mais pendant la plus grande partie de ma vie professionnelle, j’ai géré de grands projets, et suis donc en fait un gestionnaire classique.

Nous décidons ensemble des thèmes des prochaines expositions temporaires. Nous voulons qu’elles soient diversifiées et qu’elles abordent des questions variées. Parfois, nous présentons un thème donné par le biais de l’art, de la cuisine juive parfois ou du sort des civils lors de du soulèvement du ghetto de Varsovie. C’est nous qui choisissons nos partenaires en matière de contenu et de médias.

Nous sommes bien entendu favorables aux discussions et aux différends avec les universitaires et les chercheur·euse·s. Nous savons qu’il faut des années pour gagner en crédibilité et quelques secondes pour la perdre.

Jusqu’au début de la pandémie, 50 % de nos visiteurs et visiteuses étaient des touristes cosmopolites, principalement des États-Unis, d’Israël, d’Allemagne, de France, d’Angleterre, d’Espagne et du Canada. Aujourd’hui, nous nous réjouissons de compter aussi des Ukrainien·ne·s qui ont trouvé refuge en Pologne. Le service de l’éducation leur a concocté un programme inédit, destiné en premier lieu aux élèves. Il leur permet de connaître l’histoire juive, et de s’intégrer plus facilement à leur nouveau pays d’accueil. La Pologne est un pays dont l’histoire est très difficile et dramatique, à l’image de ce que vivent aujourd’hui ces personnes. Nous ne sommes pas insensibles. Le drapeau ukrainien a été hissé devant notre musée le premier jour de l’invasion russe en Ukraine. Nous comptons douze Ukrainien·e·s parmi les membres du personnel. Nous leur avons permis de poursuivre leur vie professionnelle dans un pays étranger qui pourrait s’avérer être leur pays de résidence définitive. Nous ne pouvons pas dire quelle sera l’issue de la guerre et si ces personnes décideront de retourner en Ukraine ou de rester en Pologne.

 

Comment vous représentez-vous les prochaines commémorations du soulèvement du ghetto de Varsovie ? À quoi devrait ressembler la culture du souvenir ?

Nous disposons d’enregistrements et de récits uniques, de témoins déjà décédés, de sorte que l’éducation basée sur l’histoire orale, qui joue un rôle clé, ne changera pas. Nous serons les gardien·ne·s de la mémoire du soulèvement du ghetto de Varsovie. Nous combattrons ouvertement toute forme d’exclusion, de ségrégation, de racisme et d’antisémitisme. Je suis sûr que mes collègues de l’équipe du Musée POLIN, plus jeunes que moi, y veilleront.

En 2022, plus de 500 000 élèves à travers la Pologne ont participé à la campagne des jonquilles. Cette année, elle aura lieu à Varsovie et dans d’autres villes telles que Bialystok, Lublin, Lodz, Cracovie et Wroclaw. Chaque année, nous compterons de plus en plus de villes partenaires. Le Musée POLIN a signé l’accord conclu entre Ronald Lauder, président du Congrès juif mondial, et Rafał Trzaskowski, maire de Varsovie. Nous avons envoyé des jonquilles et du matériel pédagogique à plus de cent communautés juives dans le monde, choisies par le Congrès juif mondial, ainsi qu’au Parlement européen, à la Knesset, au Sénat et au Congrès.

Des partenaires à l’étranger contactent régulièrement notre musée, ce qui confirme que la campagne est de plus en plus connue et appréciée. J’ai récemment reçu un courriel d’une enseignante travaillant à Christchurch, en Nouvelle-Zélande. Elle me demandait de lui envoyer des jonquilles et du matériel pédagogique. J’ai tout envoyé et ça vient d’arriver. Christchurch, Nouvelle-Zélande ! C’est à 10 000 km de Varsovie. C’est à 27 heures d’avion !

Il y aura de plus en plus de réactions de ce type. Ce qui confirme que le programme de notre musée (y compris la campagne des jonquilles et la promotion du onzième commandement « Tu ne seras pas indifférent·e ») a du sens. Car il touche des valeurs universelles importantes dans le monde entier. Notre tâche au fil des ans n’a pas été vaine. L’année dernière, environ 50 millions de personnes dans le monde ont consulté le hashtag #RememberingTogether. Combien seront-elles cette année ? Je me garderais bien de faire des pronostics…

 

Conseils de lecture :

https://polin.pl/en

https://polin.pl/en/thou-shalt-not-be-indifferent-program

 

Traduction par Pascal Pierron | Voxeurop