Le Pacte vert européen table sur une baisse radicale des émissions dans le secteur des transports. Mais la mise en œuvre des mesures envisagées reste tributaire de la volonté politique dans les États membres.
En décembre 2019, la Commission Européenne (CE) a dévoilé le Pacte vert européen (PVE) – un vaste ensemble des mesures phares pour restructurer de manière soutenable les secteurs de l’énergie, de la mobilité, de l’industrie ainsi que de l’agriculture dans un cadre commun. Les transports sont responsables d’environ 30% des émissions de gaz à effet de serre (GES) dans l’Union européenne (UE), qui stagnent depuis plus qu’une décennie. Une nouvelle ambition s’imposait : le Green Deal table sur une réduction de 90% des émissions de GES provenant des transports afin d’atteindre la neutralité climatique avant 2050.
L’objectif principal du PVE est fondé sur la loi européenne sur le climat qui impose aux États membres de l’UE de réduire leurs émissions de GES de 55% d’ici à 2030 (comparé à 1990). Pour y parvenir, le paquet législatif « Fit-for-55 » (« Paré pour 55 »), présenté en juillet 2021, comprend 12 propositions de réformes de textes législatifs existants et de nouvelles mesures.
Le transport routier est une cible clé du paquet « Fit-for-55 ». Le renforcement des limites d’émissions de GES par les voitures est l’une des mesures phares, le but ultime étant de mettre un terme à la vente des véhicules thermiques en 2035. Les normes limites de GES pour les voitures doivent inciter en parallèle les fabricants à accélérer la production des voitures électriques. Pour renforcer cette dynamique, le déploiement d’une infrastructure pour carburants alternatifs, basée notamment sur des points de recharge électrique ou des points de ravitaillement en hydrogène, est envisagé. De plus, la CE a proposé d’étendre le système européen d'échanges de quotas d'émissions de gaz à effet de serre (SEQE) existant depuis 2005 aux secteurs des transports routiers et du bâtiment. Cette extension prendrait effet à partir de 2026 pour des véhicules commerciaux et à partir de 2029 pour les voitures privées. Sachant que 72% des émissions de GES du secteur de transport de l’UE provenaient du transport routier en 2019, cette mesure constitue un grand pas. Cependant, cette approche basée sur un marché de carbone tel que le SEQE plutôt que sur des règlementations induit des coûts de carburants élevés, avec, à la clé, de potentiels risques sociaux à l’image du mouvement des « gilets jaunes » qui a défrayé la chronique bien au-delà de la France.
Le PVE soulève parfois des critiques sur le plan de l’équité. De fait, certains textes législatifs proposés, notamment l’intégration de la circulation routière dans le SEQE, contraignent plus les consommateurs européens que les constructeurs de véhicules. Les plus touchés sont aussi ceux qui manquent le plus d’alternatives (du moins à court terme) : les PME et les citoyens, en particulier les ménages à bas salaires et ceux qui vivent dans des zones rurales délaissées par les transports publics. Pour beaucoup d’Européens, prendre la voiture est un choix qui est imposé par les contraintes budgétaires et l’absence de moyens de transport alternatifs. Pourtant sensée, l’approche consistant à appliquer plus largement le principe du « pollueur-payeur » est incompatible avec une mobilité européenne fondée sur la justice sociale et la solidarité.
La stratégie de mobilité durable et intelligente fait partie du PVE et détaille une vision européenne de long terme pour plus de soutenabilité. Elle vise, entre autres, un doublement du trafic ferroviaire à grande vitesse jusqu’en 2030 et le renforcement du réseau transeuropéen de transport (RTE-T) en l’équipant avec une connectivité à haut débit jusqu’en 2050. Cette stratégie comprend aussi l’amélioration de la mobilité urbaine, le verdissement du transport des marchandises avec des alternatives telles que le ferroutage, et le recours à la numérisation pour développer une mobilité multimodale connectée et automatisée.
Le secteur du rail européen offre un grand potentiel pour atteindre les buts du PVE et pourrait devenir la colonne vertébrale d’une mobilité européenne soutenable dépassant les frontières nationales. Sur la base de ce constat, la CE a proposé deux initiatives en décembre 2021 : d’une part, une réforme du RTE-T pour accorder un rôle plus important au rail et d’autre part, un plan d’action pour augmenter l’usage des trains de longue distance et renforcer la qualité des réseaux transfrontaliers, en améliorant par exemple l’accès aux billets transfrontaliers et en modernisant l’infrastructure.
Cependant, à l’exception de la réforme du règlement sur le RTE-T, cette stratégie n’est pas assortie d’un cadre législatif contraignant pour les États membres de l’UE. L’amélioration des infrastructures ferroviaires se heurte aussi aux particularités nationales et au manque d’interopérabilité des systèmes de billets nationaux. Le renforcement de l’électrification des lignes ferroviaires dans l’UE est ainsi freiné par les différents systèmes et fréquences d’électricité. De la même manière, il reste difficile de trouver des billets directs et au meilleur prix entre Paris et Bonn ou entre Rome et Munich.
L’aviation et le secteur maritime sont concernés par le paquet « Fit-for-55 » : afin de réduire les effets climatiques nuisibles de ces deux secteurs, la CE propose, entre autres, d’introduire une taxation de kérosène qui entrerait en vigueur en 2023 et augmenterait graduellement, ainsi qu’un cadre structurant l’accélération des investissements dans des carburants bas carbone. Dans l’aviation, il s’agit d’accompagner le développement d’un marché européen du kérosène synthétique (à base d’hydrogène) et dans le secteur maritime, l’ammoniac, qui n’émet pas de CO2 lors de sa combustion, est appelé à jouer un rôle clé. La proposition d’intégrer le secteur maritime dans le SEQE et les mesures visant à mettre fin aux quotas libres dans le secteur d’aviation ont constitué un succès politique.
Les mesures proposées par le PVE et le paquet « Fit-for-55 » posent un cadre contraignant pour les États membres européens et leurs citoyens, dont les ambitions vont largement au-delà des politiques de transport européennes des années précédentes. Cependant, leur succès dépend largement des négociations au Conseil européen et au Parlement européen qui pourraient se solder par des compromis nécessaires au niveau politique, mais décevants au regard des impératifs climatiques et des ambitions d’amélioration de la qualité de l’offre des mobilités. Les États membres jouent un rôle clé dans la mise en œuvre de la politique de mobilité proposée à l’échelle européenne. Le déploiement de ces mesures destinées à réduire radicalement les émissions dépend donc en grande partie de la détermination des sociétés civiles et de la volonté politique des gouvernements nationaux des États membres.
Sources :
European Commission, Delivering the European Green Deal, https://bit.ly/3O4CnTB | Représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne (2021), « Fit for 55 » : un nouveau cycle de politiques européennes pour le climat, https://bit.ly/3GAVtOw | European Commission (2021), A fundamental transport transformation: Commission presents its plan for green, smart and affordable mobility, https://bit.ly/3wZrgnY | Commission Européenne (2020), Communication de la Commission au parlement européen, au conseil, au comité économique et social européen et au comité des régions : Stratégie de mobilité durable et intelligente – mettre les transports européens sur la voie de l’avenir, https://bit.ly/3x5tX8J | European Parliamentary Research Service (2020), 2021 the European year of rail, https://bit.ly/3M1rjF3 | République Française, Les émissions de gaz à effet de serre du secteur des transports, https://bit.ly/3x2O4D4 -- European Parliament (2019), CO2 emissions from cars: facts and figures, https://bit.ly/3xflAaR