Convention citoyenne : revitaliser la démocratie pour le climat ?

Décryptage

Suite au mouvement des Gilets Jaunes, le gouvernement a décidé d'installer une Convention citoyenne pour le climat. Quels sont les enjeux et les objectifs de cet exercice inédit de démocratie délibérative ?

Temps de lecture: 9 minutes

« Nous avons reçu aujourd'hui un SMS du 38948 qui nous demande si nous souhaitons participer à la Convention Citoyenne pour le climat. Est-ce un message légitime ou une arnaque ? » demande un internaute sur Twitter au Conseil économique, social et environnemental. Depuis quelques jours, le CESE, la troisième chambre de la République française, contacte près de 300 000 numéros de téléphones, tirés au sort, pour désigner les 150 membres de la Convention citoyenne pour le climat, suscitant au passage quelques réactions surprises, ou sceptiques. Une telle expérience de démocratie délibérative est en effet inédite en France.

Instance légitime ou arnaque ?

A l’issue de la crise liée au mouvement des Gilets jaunes, et alors que la défiance politique reste forte, en France, l’initiative est regardée par certains avec circonspection. Pourtant, elle n’émane pas directement du gouvernement, mais d’un collectif constitué en janvier 2019, Gilets citoyens, qui demandait dans une lettre ouverte la mise en place d’une assemblée citoyenne tirée au sort suite à la crise des Gilets jaunes. Cette proposition a été retenue par le gouvernement en conclusion du Grand Débat organisé pendant trois mois sur tout le territoire.

Alors que le Grand Débat entendait essentiellement apaiser la situation et mettre en scène une séquence politique « d’écoute » de la population par le gouvernement et la représentation politique dans un contexte de fortes tensions, la Convention citoyenne doit, elle, jouer un rôle clé dans la proposition de mesures concrètes à la fois justes sur le plan social et efficaces pour le climat. 

Si le contexte demeure toujours sensible sur le plan social, les Français n’ont jamais été autant préoccupés par les questions environnementales et climatiques – 77 % des Français affirment que le climat les préoccupe « au quotidien »[1], et les résultats des élections européennes ont montré une forte hausse du vote « pour le climat », et ce, alors même que, sous la présidence d’Emmanuel Macron, nommé « champion du climat », les objectifs ne sont pas tenus – c’est ce que montre une nouvelle fois, pour l’année 2018, l’observatoire climat-énergie. Afin d’atteindre ses objectifs et d’asseoir la légitimité des mesures qu’elle va proposer, cette Convention doit donc être suffisamment armée, tant dans ses attributions, sa composition, son fonctionnement que son accompagnement.

L’expérience irlandaise

L’initiative n’est pas complètement inédite dans sa forme, puisque plusieurs pays et régions ont déjà eu recours à des assemblées citoyennes. La Convention s’inspire fortement de l’expérience irlandaise. En 2012, ce sont 66 citoyens tirés au sort, représentatifs de la population irlandaise, et 33 élus de tous les partis qui débattent d’une dizaine de questions d’ordre constitutionnel au sein de ce qui est appelé la Convention Constitutionnelle. Le gouvernement s’engage à apporter une réponse à l’ensemble des propositions formulées par la Convention. Les travaux, condensés sur une dizaine de week-ends, aboutissent notamment à un référendum sur le mariage des couples de même sexe, approuvé par la population irlandaise deux ans plus tard. Une nouvelle « assemblée citoyenne » est installée en 2016, composée cette fois-ci exclusivement de citoyens tirés au sort. A 66 % favorable à la légalisation de l’avortement, l’Assemblée propose au gouvernement un référendum sur le sujet. En 2018, ce référendum légalise – à 66 % ! – l’avortement en Irlande. Plusieurs autres Assemblées citoyennes sont en cours ou en projet en 2019.

150 citoyen-ne-s, six week-ends, une mission

En France, ce sont 150 citoyen-n-es qui formeront la Convention, désignés par tirage au sort. Pour ce faire, 300 000 numéros de téléphone (85 % portables et 15 % de lignes fixes) seront contactés pour identifier un panel de 150 citoyen-n-es représentatif de la population française. La composition de la Convention doit en effet être le reflet en miniature de la population française et respecter pour cela un certain nombre de critères : 52 % de femmes, des représentants des 6 tranches d’âge, de toutes les catégories socio-professionnelles, de toutes origines géographiques, et des différents types de territoire d’origine (urbain / périurbain / rural). Cette « mini-France » se réunira pour la première fois les 4, 5 et 6 octobre 2019 dans les locaux du Conseil économique, social et environnemental, puis au cours de cinq autres week-ends jusqu’au 26 janvier 2020. Afin d’assurer la présence de chacun-e, tous les frais de déplacement, d’hébergement, mais aussi de garde d’enfants seront pris en charge par l’État. Le budget total de l’opération s’élève à 4 millions d’euros.

Au cours de ces six week-ends, les membres de la Convention devront répondre à la mission que leur a confié le Premier ministre, Edouard Philippe : « proposer des mesures structurantes pour parvenir, dans un esprit de justice sociale, à réduire les émissions de gaz à effet de serre d’au moins 40 % d’ici 2030 par rapport à 1990 ». La formulation de cette mission laisse les citoyens libres de proposer des mesures permettant une réduction plus forte des émissions de gaz à effet de serre que celle qui est visée dans la lettre de mission : les ONG et experts climatiques estiment en effet que l’objectif de réduction de 40% est largement insuffisant pour atteindre les engagements de l’Accord de Paris.

Dans cette même lettre, le gouvernement promet de répondre publiquement à l’ensemble de ces propositions formulées par la Convention, et à publier un calendrier prévisionnel de leur mise en œuvre. Le Président de la République s’était, quant à lui, engagé à ce que les propositions de la Convention soient soumises « sans filtre soit au référendum, soit au vote du parlement, soit à application réglementaire directe ». La question de l’utilisation et de la mise en œuvre des mesures proposées est, évidemment, cruciale. Le rapport de force politique dépendra en premier lieu de la qualité et de la légitimité des mesures proposées et de la Convention en tant que telle. Cette qualité et cette légitimité dépendent elles-mêmes de plusieurs facteurs.

Quatre conditions pour un succès

Loïc Blondiaux, professeur, expert des questions de démocratie participative, identifie quatre facteurs de succès de cette convention[2].

Premièrement, l’impartialité et l’indépendance de la Convention : pour réussir son pari, la Convention doit être clairement indépendante et ne pas être perméable à l’influence néfaste de fake news ou de certains lobbys. Le gouvernement a fait le choix de ne pas s’investir directement dans les débats et de respecter les orientations choisies par la Convention sur son fonctionnement et le contenu de ces débats. Le comité de suivi, co-présidé par Laurence Tubiana, cheville ouvrière de l’Accord de Paris sur le climat, et Thierry Pech, directeur général du think-tank Terra Nova, va également doter la Convention d’une bibliothèque de ressources et d’une liste d’expert-e-s et de personnes compétentes sur les sujets traités par la Convention. Cela devrait ainsi permettre aux membres d’alimenter leur réflexion et les propositions communes qui seront débattues. Afin de lutter contre les dérives potentielles, une attention particulière sera portée aux documents intégrant cette bibliothèque et à la véracité des informations qu’ils contiennent. Enfin, trois garants – parmi lesquels Cyril Dion, réalisateur du film Demain[3] – seront chargés de veiller au bon déroulement des débats et au contrôle des éventuelles ingérences indésirables.

Deuxièmement, les travaux de la Convention doivent être organisés de manière à privilégier les formes délibératives, qui permettent, par la mise en débat de propositions et d'opinions plurielles sur les différents sujets abordés, la formation d’un jugement collectif. Pour cela, la première session sera consacrée à une formation par des experts scientifiques sur les enjeux climatiques et les grandes valeurs clés à avoir en tête afin de formuler des propositions conformes aux objectifs de l’Accord de Paris. Partant de cette base commune, les citoyen-ne-s membres de la Convention pourront débattre dans un cadre commun, au sein duquel l’échange et la discussion doivent permettre de faire évoluer les opinions des uns et des autres.

Troisièmement, la Convention irait vers un échec si elle se cantonnait à discuter d’enjeux très techniques ou à entrer dans le détail de mesures déjà en cours de discussion. Il ne s’agit donc pas de définir « le montant de la subvention pour les installations de chaudières à haute performance énergétique » : la Convention a vocation à faire des propositions d’ordre politique, qui répondent aux enjeux climatiques tout en prenant à bras le corps la question de la justice sociale.

Quatrième condition, et non des moindres : afin de pouvoir asseoir sa légitimité et celle de ses propositions, la Convention et ses travaux doivent être relayés à un large public. Comme le formule Loïc Blondiaux, il est indispensable de connecter cette « mini-France avec la maxi-France ». La publicité des travaux et leur diffusion, par l’intermédiaire des médias et des réseaux sociaux est donc une condition indispensable de leur réussite. Cette publicité génère cependant des risques face auxquels le comité de suivi entend être vigilant : surmédiatisation de certain-e-s membres de la Convention, risque pour leur sécurité, risque de lobbying ciblé par certaines organisations souhaitant influencer les travaux. Cette publicité sera donc fortement encadrée. Les ONG environnementales, mais aussi plus largement l’ensemble des corps intermédiaires, et la « société civile organisée » dont le CESE est la chambre représentative auront un rôle crucial pour faire de cette Convention la Convention de toute la population française.

En prenant la décision de confier à cette Convention la définition des mesures maintes fois repoussées, qui pourraient permettre – enfin ! - à la France de tenir ses objectifs climatiques sans contourner l’impératif de justice sociale, le Président de la République et le Gouvernement ont fait un pari : celui de la démocratie délibérative. La Convention citoyenne a un défi à relever : celui de savoir générer des compromis tout en sachant gérer ses divergences. Mais c’est bien l’ensemble de la société civile française qui devra se saisir de ces propositions et les défendre pour relever enfin le niveau de l’ambition climatique à travers les actes. A travers cette Convention, c'est un enjeu bien plus large qui se dessine : comment conjuguer lutte contre le dérèglement climatique et revitalisation démocratique.

 

[1]  « Pour les Francais, le climat est l’impératif présent », Libération, 20/09/2019 https://www.liberation.fr/france/2019/09/20/pour-les-francais-le-climat…

[2] Conférence de l’IDDRI, « Participation citoyenne et transition écologique : enjeux et défis en Allemagne et en France », le 17 septembre 2019, https://www.iddri.org/fr/publications-et-evenements/conference/particip…

[3] Un film qui tente de présenter les solutions qui existent déjà pour résoudre les crises écologiques, économiques et sociales, voir : https://www.demain-lefilm.com/