Capital plastique

Atlas du Plastique

La croissance économique que le monde connaît depuis la Seconde Guerre mondiale n’aurait pas été possible sans le plastique. Il est à la fois une conséquence de la mondialisation et l’un de ses moteurs. Et le commerce en ligne ne fait qu’accentuer la quantité de déchets.

Plus d'argent = plus de déchets

Après la Seconde Guerre mondiale, le monde occidental a connu une croissance jusque-là inédite. C’était l’époque des Trente Glorieuses, marquée par l’augmentation régulière d’une productivité dopée par l’automatisation croissante et l’utilisation de sources d’énergie fossiles. Une partie importante de la population connaissait une prospérité nouvelle pour elle. Dans la classe moyenne, chaque foyer avait sa propre voiture, sa machine à laver et sa télévision, et pour cause : l’industrie produisait toujours plus de biens de consommation à des prix toujours plus bas.

Le plastique a joué un rôle important dans cette évolution. Les progrès technologiques accomplis par l’industrie pétrochimique ont rendu la production de plastique si flexible et bon marché, qu’il a été possible de l’utiliser pour fabriquer des articles à usage unique et des emballages, et vendre d’autant plus de produits de consommation. Pour les consommateurs, la période était synonyme de consommation constante et en tous lieux ; il suffisait de jeter les emballages. C’est également l’époque où les chaînes d’approvisionnement se sont considérablement allongées. Le transport des biens sur de plus longues distances a nécessité de nouveaux types d’emballages, et les plastiques ont répondu présents à l’avènement de ce monde nouveau et merveilleux.

Depuis l’invention de la bakélite – la première matière plastique moderne – en 1907 jusqu’aux innombrables composés synthétiques actuels, les plastiques sont devenus pour ainsi dire incontournables. Des sociétés comme Mobil Corporation (devenue ExxonMobil) mettent au point de nouveaux produits, créant des marchés pour leur pétrole et pour leur gaz, et des géants de la chimie comme Dow transforment les constituants primaires des hydrocarbures en substances chimiques intermédiaires, puis en polymères qu’ils façonnent pour donner une infinité de produits finis.

Si certains matériaux et produits sont conçus pour un usage spécifique, d’autres nécessitent la création d’applications commerciales. C’est ainsi que l’industrie du pétrole et du gaz, menacée par la transition vers les énergies vertes, tente de diversifier et de renforcer ses marchés. Elle se trouve en retour obligée de développer de nouveaux matériaux pour transporter les aliments toujours plus loin, pour offrir des emballages toujours plus attrayants ou pour maximiser la durabilité d’un bien pour un poids donné. L’industrie du plastique s’est donc solidement enracinée dans les secteurs de la conception de produit et des emballages. Ces derniers sont d’ailleurs voués à rester les plus gros consommateurs de plastique jusqu’en 2025 au moins.

Consommation de plastique et économie sont liées. La croissance entraîne une hausse de la consommation, elle-même synonyme d’un plus grand nombre d’emballages à jeter.

Cet extraordinaire essor des emballages à usage unique est à la fois une conséquence de la mondialisation et un moteur du commerce international. Lorsque la chaîne d’approvisionnement traverse la planète et que le consommateur est loin du lieu où le produit est fabriqué, renvoyer un emballage réutilisable sur le site de production est une opération coûteuse et compliquée. C’est pour cette raison que, dans les années 1960, des entreprises comme Coca-Cola ou PepsiCo ont fait pression contre l’adoption de lois sur la consignation qui les auraient obligées à récupérer leurs bouteilles en verre. La situation s’est ensuite aggravée avec la surabondance des matières premières utilisées dans la fabrication du plastique. Il est en effet devenu beaucoup plus pratique et rentable d’emballer les produits dans des contenants à usage unique. Les marques ont ainsi pu se débarrasser des coûts et du fardeau de la logistique de recyclage et décliner toute responsabilité quant à ce qui pouvait arriver au contenant une fois que le contenu était consommé.

Avec l’avènement du numérique, les consommateurs aussi ont adopté ce mode de fonctionnement et achètent de plus en plus en ligne pour économiser du temps et de l’argent. L’e-commerce, avec à sa tête des géants comme Amazon ou Alibaba – les entreprises les plus puissantes aujourd’hui aux États-Unis et en Chine –, représente une part importante de leurs achats et génère des ventes à hauteur de centaines de milliards de dollars par an. Mais avec la multiplication des expéditions de colis, l’impact sur l’environnement de la production et de l’élimination du plastique et du carton est devenu une préoccupation majeure et les industriels sont soumis à une pression grandissante pour utiliser des matériaux réutilisables, recyclables ou compostables. En 2017, la crise du plastique a ainsi conduit l’Inde à interdire certains emballages à usage unique.

Nous ne pourrons pas supprimer les plastiques et les emballages à usage unique sans modifier en profondeur le fonctionnement de l’économie mondiale. Il est clair désormais que l’ampleur du problème environnemental est telle que le recyclage ne pourra pas à lui seul y remédier. Les plastiques à usage unique continuent à être privilégiés et les solutions sans plastique ne peuvent s’appliquer qu’à un petit nombre de marchés de niche. Il manque donc l’impulsion nécessaire à un changement de paradigme vis-à-vis de ce matériau qui reste éminemment pratique et bon marché.

Il n’en reste pas moins que les habitudes de consommation doivent elles aussi changer. On observe d’ailleurs à cet égard les premiers signes d’une évolution : les emballages écologiques jouent en effet un rôle de plus en plus important sur les marchés locaux, pour les aliments mais aussi pour d’autres produits. Il s’agit d’un marché qui se développe lentement mais sûrement. Les premières épiceries ne proposant aucun emballage ont ouvert il y a quelques années : elles vendent leurs articles en vrac, à charge pour les consommateurs d’apporter leurs propres contenants. Les cafés sont de plus en plus nombreux à proposer des réductions aux clients qui apportent leurs récipients. Et au niveau européen, l’interdiction de certains articles en plastique à usage unique constitue un signal fort envoyé au reste du monde : les choses doivent changer.

Abondance et effluence

Chaque habitant sur la planète génère en moyenne 0,74 kg de déchets par an. Plus les revenus augmentent, plus ce chiffre croît.