Le lobby du plastique profite de l’épidémie pour chercher un nouvel élan

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Le journal Le Monde a publié une enquête explicitant les stratégies du lobby du plastique pour tenter un retour en force à la faveur de la crise sanitaire. Zero Waste France a répondu aux nombreuses prises de parole pour rétablir quelques faits dans un article que nous republions ici.

Déchets plastique sur une plage

Samedi 12 avril, le journal Le Monde publiait une enquête explicitant les stratégies du lobby du plastique pour tenter un retour en force à la faveur de la crise sanitaire. Il est vrai que ces dernières semaines, ce secteur a été particulièrement “bavard”, multipliant les communiqués, tweets et courriers officiels.

Dans la plupart de ces communications, les arguments classiques de l’industrie du plastique, devenus en partie inaudibles à mesure que l’ampleur de la pollution causée par ce matériau était connue, sont de nouveau mis en avant. Plus inquiétant dans l’immédiat : l’industrie cherche à obtenir des reports ou réduire l’ambition des réglementations environnementales adoptées ou à venir.

“Hygiénique” et “indispensable” : les éléments de langages les plus éprouvés sont de retour sur le devant de la scène médiatique

Le courrier de l’EUPC (représentant des transformateurs de plastique européen) adressé à la Commission européenne le 8 avril est on ne peut plus clair. Il indique en introduction avoir pour objectif “d’attirer l’attention de la Commission sur les bénéfices des produits en plastique, en particulier ceux à usage unique durant ces temps difficiles”. S’en suit une attaque en règle de la Directive plastique à usage unique, adoptée l’année dernière, accusée d’être un texte “politique” qui n’aurait pas pris en compte la problématique de l’hygiène. Les auteurs du courrier demandent son report d’un an et l’annulation des interdictions de produits plastiques prévues (soit les couverts, assiettes ou encore pailles en plastique jetables : des objets dont on a du mal à comprendre en quoi ils seraient indispensables à la lutte contre le virus…).

Le même jour, Elipso (représentant les entreprises des emballages en plastique souple en France) publiait également un communiqué, vantant “les qualités même de l’emballage, qui en font un partenaire essentiel dans la lutte contre le virus” et expliquant que celui-ci “garantit un effet barrière”. 

“Effet barrière”, “essentiel”, “indispensable”, “protecteur”… Une terminologie bien choisie qui revient régulièrement ces dernières semaines dans les communications des représentants d’intérêt du secteur du plastique. 

De l’autre côté de l’Atlantique, une partie de l’industrie du plastique américaine ne s’embarasse pas de tant de subtilité. Elle va jusqu’à déclarer que “le sac en plastique jetable sauve des vies”, puisque son alternative réutilisable comporterait des bactéries si il n’est pas régulièrement lavé (mélangeant aisément des données d’études anciennes concernant des bactéries avec une pandémie causée par un virus). Une affirmation indécente quand on la met en miroir avec le rapport de l’ONG CIEL publié en 2019 et qui dénombrait les impacts sanitaires, y compris mortels, de l’industrie du plastique, notamment dans les phases d’extraction et de production du matériau dans les pays du sud.  

Des tentatives pour revenir sur les avancées réglementaires des dernières années

Ainsi, à la faveur de la crise sanitaire, ces argumentaires, qui n’ont rien de nouveau, trouvent un nouvel élan : le plastique à usage unique serait “hygiènique” et donc “indispensable” à nos sociétés. Partant de ce constat, on a vite fait d’expliquer, comme le fait l’EUPC dans son courrier à la Commission européenne, que les réglementations adoptées ces dernières années visant à limiter les produits jetables seraient une réponse “politique”, sous-entendu dictées par l’émotion populaire et non la rationalité face à une crise environnementale qui ne cesse pourtant de s’amplifier.

C’est là sans doute un des objectifs à court terme de ces communications : obtenir des reports ou des diminutions dans l’ambition des réglementations environnementales adoptées ou en cours d’adoption.

Ainsi, le débat sur la contribution des sacs en plastique jetables à la lutte contre les bactéries aux Etats-Unis intervient alors que plusieurs Etats américains avaient ou envisageaient d’interdire ces sacs, suivant en cela la voie tracée par de nombreux Etats européens et africains. Le courrier adressé à la commission européenne demandant un report de l’application de la Directive arrive quant à lui alors que les “implementing acts”- ces textes qui visent à préciser les définitions et le périmètre exacte des interdictions à venir en 2021- ne sont pas encore finalisés et revêtent de nombreux enjeux pour les industriels du secteur. En France, on peut également craindre que l’épidémie finisse par menacer l’ambition des décrets d’application de la loi anti-gaspillage adoptée en février, qui doivent notamment fixer des objectifs quinquennaux de réduction du plastique à usage unique. 

Si la stratégie des industriels aux Etats-Unis commence à payer, plusieurs états américains ayant reporté ou annulé leur décision d’interdiction des sacs plastiques jetables, l’Europe tient bon. La Commission a opposé au courrier de l’EUPC une fin de non recevoir, réaffirmant que les dates d’application des interdictions de produits plastiques devaient être respectées et que dans un contexte où l’activité de gestion des déchets était elle-même perturbée, il était d’autant plus important de continuer les efforts pour réduire les déchets.

L’épidémie ne doit pas acter un retour en arrière dans la lutte contre l’usage unique

Cette réponse ferme de la Commission européenne est à saluer. En effet, il est essentiel de tenir bon face aux stratégies opportunistes d’une partie de l’industrie du plastique et de la pétrochimie.

D’une part parce qu’en plein coeur de l’épidémie, l’industrie du plastique joue elle-même un jeu dangereux avec la sécurité sanitaire en profitant de la crise pour faire passer l’idée que l’emballage plastique “protège” et aurait “un effet barrière”. Plusieurs études ont démontré que le virus pouvait rester plusieurs jours sur les surfaces plastiques comme sur d’autres matériaux et l’on manque encore aujourd’hui de connaissances sur les voies de propagation du virus et les risques effectifs de contamination via les surfaces. Tout comme le port du masque ne doit pas diminuer la vigilance sur les autres gestes barrières en donnant l’impression à celui qui le porte qu’il est protégé de tout, l’emballage plastique ne doit surtout pas diminuer la vigilance de ceux, professionnels ou consommateurs qui l’utilise, au prétexte que l’industrie en vante les mérites. 

D’autre part, le discours de l’industrie de l’emballage sur le rôle hygiénique du plastique ne doit pas faire oublier que l’essor de l’usage unique dans nos sociétés est avant tout le fruit de choix et d’opportunités économiques et non hygiéniques. Le “tout-jetable” permet surtout une augmentation des cadences de conditionnement, un gain de quelques secondes par commande dans la restauration rapide, la suppression des chaînes logistiques retour avec l’abandon de la consigne… Loin des considérations purement hygiénistes, cela se traduit par des économies pour certains acteurs de la chaîne, mais aussi par une montagne de déchets, qui ont eux-mêmes des conséquences environnementales et sanitaires importantes. Ainsi, en 2020, le plastique continue de fuiter et de s’accumuler dans l’environnement dans des proportions alarmantes, et les investissements prévus par l’industrie de la pétrochimie mondiale prévoit une croissance exponentielle de la production de plastique, fondée sur l’extraction d’énergies fossiles et notamment l’exploitation du gaz de schiste américain. Si il est logique que la crise sanitaire monopolise l’attention et l’énergie à court terme, elle ne doit pas occulter les enjeux environnementaux et sanitaires de plus long termes, moins perceptibles actuellement mais bien réels.

Enfin, cet épisode de crise et de confinement révèle inévitablement les vulnérabilités du fonctionnement de nos sociétés. Les pénuries de sur-blouses par exemple interrogent sur la stratégie du “tout-jetable”, y compris dans nos établissements de santé. Des équipements produits plus localement, réutilisables, couplés à une infrastructure de lavage et de stérilisation bien développée à l’échelle du territoire auraient-ils permis de palier plus efficacement les pénuries ? De manière plus générale, les appels à la relocalisation et à la recherche d’une résilience alimentaire après la crise ne va-t-elle pas de pair avec une diminution des emballages plastique jetables individuels, qui sont surtout utiles au transport sur de longue distance et au modèle de distribution en supermarchés, beaucoup moins à celui des marchés et des circuits-courts ?

Les incertitudes liées à l’après-crise devraient au moins permettre de poser ces questions, loin des affirmations d’une partie de l’industrie qui espère voir dans le plastique le grand gagnant de cette crise.