Célia Rennesson : "Depuis la création de Réseau Vrac, le marché du vrac a été multiplié par six"

Interview

Comment réduire les emballages à usage unique ? La vente en vrac est une solution sur laquelle la France est pionnière. Réseau Vrac a été créé en 2016 pour démocratiser la vente en vrac. C’est une association interprofessionnelle qui fédère l’ensemble des professionnels de la filière vrac, producteurs, transformateurs, fournisseurs, services aux magasins, et magasins. Pour Célia Rennesson, co-fondatrice de Réseau Vrac, le vrac est une vraie alternative pour limiter les déchets liés aux emballages plastiques et le gaspillage alimentaire.

Célia Rennesson lors du lancement de l'Atlas du Plastique

Qu’est-ce qui vous a motivée à créer Réseau Vrac ?

CELIA RENNESSON : Tout est parti d’un constat personnel : en 2013 j’ai pris conscience que ma consommation, principalement bio, touchait ses limites car tout ce que j’achetais hors fruits et légumes était préemballé. Je me retrouvais parfois à jeter des produits parce que les quantités imposées étaient trop grandes. D’autre part, je jetais encore beaucoup d’emballages. Quand je me suis demandé quelles solutions pourraient exister pour réduire à la source ce gaspillage, j’ai immédiatement pensé au vrac. Mais en 2013 il était cantonné à quelques rayons, il était impossible de faire toutes ses courses en vrac. C’est à ce moment que j’ai voulu créer un point de vente où tout pourrait être en vrac.

Quels sont les avantages de consommer en vrac ?

Pour moi, les avantages à consommer vrac sont multiples car chacun vient trouver dans le vrac une réponse à ses préférences. Tout d’abord le vrac c’est le choix de la quantité : on peut s’adapter à ses besoins. Ensuite, on limite le gaspillage et les emballages jetables. Le vrac c’est aussi la possibilité de tester des nouveaux produits sans risque d’avoir à jeter ensuite. Quand on a pris le pli, le vrac est un moyen de mieux maitriser le budget parce qu’on peut prendre des quantités adaptées. De manière indirecte le vrac c’est aussi de jolies cuisines, avec des bocaux esthétiques. Enfin, le vrac permet de découvrir des produits : on est amenés à se nourrir autrement, à demander conseil à notre commerçant et à recréer du lien social. Enfin pour moi le vrac c’est aussi une réduction de temps passé à choisir : en général dans un rayon vrac on ne va pas avoir dix pâtes papillon, mais une. Pas besoin de se casser la tête.

Avez-vous rencontré des difficultés pendant la création de Réseau Vrac ?

Quand j’ai commencé à me lancer dans l’étude de ce projet, il n’existait rien autour du vrac : ni formation spécifique aux métiers du vrac, ni catalogue de fournisseurs du vrac, ni législation adaptée. Un jour, après de longues recherches personnelles, j’ai répondu à l'appel de Zéro Waste France pour monter une structure dédiée au vrac. C’est ainsi que Réseau Vrac est né en 2016. Le point le plus compliqué de cette démarche entrepreneuriale était l’absence de financement. Ayant quitté mon précédent emploi pour me consacrer au projet, j’ai bénéficié d’une assurance chômage que j’ai investie dans la création de l’association, soutenue par ailleurs par du mécénat de compétences. J’ai été aussi aidée par mon mari, développeur web, qui a créé notre site internet.

Au début, Réseau Vrac fonctionnait grâce à des groupes de travail de Zero Waste France, animés de façon bénévole. Par la suite, notre association ayant vocation à fédérer des professionnels, nous avons choisi de mettre en place des adhésions payantes. Ce passage d’un modèle gratuit à payant était une autre difficulté que nous avons surmontée en apportant une vraie valeur ajoutée pour les adhérents. 

Qu’est-ce que vous répondez aux gens qui vous disent que le vrac peut être contraignant ?

Comme pour tout changement d'habitude, se lancer n’est pas forcément évident. La première chose à faire pour moi c’est de pousser la porte d’un magasin vrac, et aller regarder un peu les produits qui s’y trouvent. La deuxième étape serait de tester un produit, faire cette expérience d’achat. Une fois qu’on a pris le pli en général on ne peut plus en sortir !

Je pense aussi que depuis que les sacs plastiques à usage unique ne sont plus donnés en caisse, les gens ont pris l’habitude de venir avec leur cabas. Cela met le pied à l’étrier au vrac, car on peut utiliser ce cabas pour y glisser quelques sacs en coton. De plus, les commerçants vrac mettent toujours à disposition des emballages comme des sachets kraft ou même des bocaux en verre. Aujourd’hui, de plus en plus d’innovations vont rendre le vrac de plus en plus pratique.

Comment garantissez-vous un niveau d’hygiène minimum dans un secteur comme le vrac ? Notamment pendant la crise du Covid-19 ?

Actuellement, nous avons fait des recommandations par rapport à la vente en vrac avec la situation exceptionnelle de Covid 19 pour limiter le risque de propagation. Le premier niveau d’hygiène se situant dans le moment de conditionnement du produit, il est le même pour un sac de 20 kilos que pour un sachet de 200 grammes. Le deuxième niveau d’hygiène se trouve au niveau des manipulations des produits et des surfaces dans le magasin par le commerçant ou les clients. Réseau Vrac recommande de ne plus accepter les contenants fournis par le consommateur mais qu’ils soient fournis par le commerçant. Mais si on manipule un produit dans un emballage en plastique qui a été manipulé auparavant et infecté, le risque est donc aussi grand.

Par ailleurs tout au long de l'année, nous proposons des formations spécifiques pour la réglementation vrac qui ont été adaptées à partir de la méthode HACCP européenne du secteur de l’alimentaire, et étendues aux cosmétiques et produits d’entretien vendus en vrac. Elles sont payantes, et leur suivi n’est pas obligatoire pour nos adhérents. Les magasins spécialisés vrac et les magasins équipés d'un rayon vrac peuvent donc s'y former pour être en conformité.

Si vous deviez faire un bilan de Réseau Vrac jusqu’ici, lequel serait-il ?

La première grande victoire marquante pour nous après seulement 4 ans d’existence c’est l’entrée officielle de la vente en vrac dans la loi, dans le cadre du projet de loi économie circulaire. Nous avons inscrit une définition de la vente en vrac dans la loi, et nous avons rendu possible la vente en vrac de tous les produits sauf pour des raisons de santé publique, ce qui est une réussite puissante pour nous. Le droit du consommateur à se faire servir dans son contenant réutilisable a été inscrit dans la loi. En posant ce cadre législatif on va pouvoir accélérer le développement de la filière.

Nous sommes aujourd’hui plus de 1400 adhérents : ce sont donc 1400 entreprises et personnes engagées dans ce but commun de démocratisation du vrac. Depuis la création de Réseau Vrac, le marché du vrac a été multiplié par six. Actuellement, on dénombre plus de 400 magasins spécialisés vrac, 88% des magasins bio sont équipés d’un rayon vrac, de même que 70 % des hyper et des supermarchés.

La France est réputée pour être un pays pionnier dans le vrac : pourquoi ? où en sont les autres pays d’Europe ?

Pour moi, la présence de Réseau Vrac donnant un un cadre pour les professionnels rassure pour se lancer. Le salon du vrac, un événement professionnel qui permet à l’offre et la demande de se rencontrer, est aussi un vrai accélérateur du développement du vrac. Aujourd’hui la France compte plus de 400 points de vente spécialisés vrac, alors que la Belgique en compte 100, l’Allemagne et la Grande-Bretagne 200. Une autre différence c’est que les points de vente ouvrent en France mais ferment peu, alors qu’ailleurs les fermetures semblent plus fréquentes, faute d'organisation spécialisée pour les accompagner notamment. Enfin on a aussi un gouvernement qui a inscrit le vrac dans le code de la consommation, à l’inverse des autres pays européens.

Est-ce que vous avez des contacts avec des homologues européens ? Quelles sont pour vous les perspectives du vrac en Europe ?

En vérité, nous n’avons pas encore d’homologues en Europe, mais on a des adhérents francophones dans 14 pays qui peuvent adhérer en ligne s’ils comprennent le français. Cela a permis à des adhérents de Nouvelle-Calédonie, de Hong-Kong de venir puiser dans nos ressources. Récemment, une association s’est montée en Allemagne, mais uniquement pour les épiciers vrac, elle ne fédère pas toute la filière et ils n’ont pas d’équipe dédiée pour entretenir cette association : tout repose sur le bénévolat.

Au niveau des perspectives en Europe, nous y réfléchissons actuellement : depuis juin dernier on a lancé Réseau Vrac en Belgique avec une responsable sur place. Nous voulons travailler à la levée de barrières au niveau européen. Nous devons mener un travail de réflexion pour savoir comment nous pourrions nous dupliquer et mutualiser nos outils, étant actuellement sollicités par d’autres pays pour créer d’autres « Réseau Vrac ». L’idée étant que tout ce travail de fond puisse servir pour faire gagner du temps aux autres pays et leur éviter de réinventer cela. Notre travail de démocratisation peut donner envie d’investir pour développer le secteur.

Célia Rennesson lors du lancement de l'Atlas du Plastique: confrontée au vide des réglementations du vrac
Célia Rennesson lors du lancement de l'Atlas du Plastique: confrontée au vide des réglementations du vrac