Municipales 2020 : esquisse du monde – politique - d’après ?

Analyse

Hors-normes : c’est le qualificatif qui semble convenir le mieux pour définir les élections municipales de 2020 en France. Hors-normes en termes d’organisation du fait du contexte sanitaire : après des hésitations jusqu’à la dernière minute avant le premier tour, qui s’est tenu la veille de l’annonce du confinement, le second tour a dû être reporté, avant d’être fixé au 28 juin 2020. Hors normes, aussi, en termes de résultats, avec en premier lieu une abstention record au premier tour, liée, elle aussi, à la situation sanitaire. Quelles sont les grands enseignements du premier tour, et les enjeux du second tour ?

Bureau de vote pour les élections municipales 2020 à Saint-Lô

Les leçons du premier tour : abstention record, pari réussi pour les Verts

En France, les élections municipales ne sont pas de simples formalités locales, mais un temps important dans la vie démocratique locale et nationale. Elles concernent plus de 35 000 communes et sont autant de campagnes locales pour désigner les élus en lesquels les Français ont le plus confiance : selon le CEVIPOF[1], 74 % des Français ont confiance en leur maire, quand ils sont moins de 40 % à accorder leur confiance à leur député et à leur sénateur.

Un vainqueur incontestable : l’abstention

D’ordinaire, le taux de participation y est plutôt élevé. Le premier tour des élections municipales du 15 mars 2020 se distingue donc par la très forte abstention (plus de 54,5%) dans un contexte sanitaire très tendu : d’après un sondage de l’IFOP, pour 55 % des abstentionnistes, c’est la progression de l’épidémie qui a été le facteur déterminant du choix de ne pas aller voter. Fait marquant, alors qu’on pourrait penser que les personnes âgées - plus vulnérables face au coronavirus et auxquelles le président de la République avait recommandé, dans une allocution le jeudi précédent les élections, de limiter leurs déplacements et de rester chez elles - se seraient moins déplacées, l’abstention est en réalité plus forte chez les moins de 35 ans[2]. Autre fait marquant : les électeurs de la droite et du centre se sont davantage déplacés pour voter que les électeurs de la gauche et des écologistes (plus de 60 % des électeurs se disant proches d’Europe Écologie – Les Verts se sont abstenus – contre 46 % des électeurs de la République en Marche et 43 % des électeurs des Républicains).

Les partis traditionnels résistent face à LREM qui peine à s’implanter localement

Au soir du premier tour, près de 30 000 conseils municipaux ont été élus, essentiellement dans les communes de moins de 30 000 habitants : 61 % des français n’auront pas à se déplacer pour le second tour. Dans la plupart des petites communes, il y a une forte prime aux sortants : près de 21 000 maires sont ainsi reconduits dans leurs fonctions.

En dépit de la plus forte mobilisation des électeurs de la majorité présidentielle, LREM rate son pari et échoue à s’implanter localement. L’objectif – déjà peu ambitieux - d’atteindre 10 000 conseillers municipaux « LREM » (sur 500 000) ne semble pas si facile à atteindre. Et alors que le parti affichait en 2018 sa volonté de conquérir des grandes villes, et notamment les bastions municipaux de la gauche, il échoue en arrivant bien souvent à la troisième place dans de nombreuses communes au premier tour. La claque est sévère à Lyon ou à Paris où la campagne fut calamiteuse. La stratégie de polarisation de LREM, qui tente d’imposer un duel l’opposant au Rassemblement national, est mise en échec dans le contexte de ces 35 000 scrutins locaux.

En effet, les listes du parti présidentiel sont largement dépassées par les partis traditionnels, qui résistent plutôt bien – même si de nombreux candidats ont préféré se défaire de leur étiquette partisane. Le Parti socialiste, que l’on laissait pour mort à l’issue des élections européennes, sauve les meubles, tandis que les Républicains se maintiennent face aux candidats LREM – ou grâce à eux.

Rassemblement national : pas de vague, mais pas de reflux

La poussée du Rassemblement national semble, quant à elle, bien plus limitée que prévue –  alors que Marine Le Pen entendait conquérir plusieurs dizaines de villes, il semble que la seule prise notable puisse être la ville de Perpignan. Mais le parti d’extrême-droite réussit toutefois assez bien à se maintenir et même à se renforcer dans les territoires qu’il avait conquis en 2014. A Hénin-Beaumont, après 6 ans de mandat et une pratique du pouvoir particulièrement difficile pour les opposants locaux – élus, militants associatifs – le maire est réélu dès le premier tour avec 74 % des voix (profitant de la forte abstention).

Mais le fait marquant de cette élection, qui, en 2014, résidait plutôt dans les victoires emblématiques du FN, est bien plus à chercher dans le score inédit des écologistes.

Une poussée verte – à confirmer

Ils semblent en effet continuer sur leur lancée des élections européennes et font une véritable poussée dans de très nombreuses communes. S’ils sont, à l’échelle nationale, concurrencés sur leur gauche par La France Insoumise, cette dernière a fait l’impasse sur les municipales : le parti de Jean-Luc Mélenchon a fait le choix de soutenir des listes de gauche ou des listes citoyennes au cas par cas, au lieu de présenter ses propres listes.

Pour EELV, diverses stratégies ont cohabité en fonction des contextes locaux : liste autonome dans la plupart des communes, liste d’union plus ou moins large de la gauche dans d’autres, soutien à des listes citoyennes écologistes dans quelques communes. Dans les villes de plus de 30 000 habitants où ils étaient à la tête d’une liste autonome ou d’une liste d’alliance, les écologistes obtiennent un score moyen de 16,4 % des suffrages[3]. Mieux, dans plusieurs grandes villes, les listes menées par les écologistes arrivent en tête : à Lyon (où Grégory Doucet à la tête d’une liste autonome, fait 28,5 % largement devant la liste soutenue par l’ex-ministre de l’Intérieur Gérard Collomb, à 15 %), Strasbourg (où Jeanne Barseghian, à la tête d’une liste d’alliance avec La France Insoumise atteint 27,87 %), ou à Besançon (Anne Vignot, à la tête d’une liste d’alliance, y obtient 31,2 %). À Grenoble, le maire sortant Éric Piolle échoue de peu à être réélu dès le premier tour avec 46,67 % des voix. Dans d’autres grandes villes françaises, les écologistes arrivent en seconde position avec de très bons scores au-dessus de la barre des 20 % : à Rennes (25,4 %), Lille (24,5 %), Metz (25 %), Rouen (23,2 %), Bordeaux (34,4 % à quelques dizaines de voix du maire sortant, Nicolas Florian), Toulouse (27,5 %), Annecy (27,9 %), Caen (25,6 %), ou encore Mulhouse (21,9 %). Ou en troisième position avec des scores honorables (19,6 % à Nantes). A Paris, David Belliard réussit à améliorer le score des Verts pour atteindre 10,9 % mais pas à concurrencer la maire socialiste Anne Hidalgo - une déception qui s’explique notamment par l’image très écologiste de la maire sortante. 

Ces résultats témoignent d’une véritable évolution de la société française. Les mobilisations pour le climat, la prise de conscience des effets du changement climatique dans les grandes villes ou encore la visibilité croissante des enjeux écologiques dans les médias y sont pour quelque chose. Si ces bons résultats s’observent toutefois avant tout dans les grandes métropoles régionales, intégrées à la mondialisation, et où l’électorat est plus sensibilisé aux questions environnementales, ils s’observent aussi, comme le soulignent Simon Persico et Florent Gougou dans une note de la Fondation de l’Écologie Politique, dans des villes de taille moyenne – Annecy, Besançon, Metz, Caen, Tours – où les écologistes ont mené des listes d’union de la gauche, témoignant d’un fait important : les écologistes sont désormais pris au sérieux pour incarner l’alternance – du moins à l’échelle locale.

Les dynamiques du second tour en pleine recomposition du paysage politique

Trois mois et demi après le premier tour, après le confinement et à l’aube d’une crise économique majeure, le second tour – repoussé au 28 juin après de nombreuses tergiversations gouvernementales - est déjà tout à fait hors normes, lui aussi.

Ces derniers jours, avant le dépôt officiel des listes pour le second tour fixé au 2 juin, d’âpres négociations ont eu lieu dans de nombreuses communes de plus de 1000 habitants : dans ces communes, il s’agit, pour chaque liste ayant dépassé les 10 % au premier tour, de faire le choix de se maintenir, de se retirer ou de fusionner avec une autre liste. L’enjeu est d’obtenir la première place, qui offre à la liste arrivée en tête une « prime majoritaire » et lui assure 50 % des sièges (voir encadré sur le mode de scrutin).

LREM : ni de gauche, ni de gauche ?

L’enjeu pour le gouvernement est de limiter la casse après une crise dont la gestion a été fortement critiquée par les oppositions, et face à une défiance forte de la population. Si les facteurs déterminants du vote sont avant tout locaux, le contexte national aura indéniablement une influence majeure. Dépassé sur sa gauche par la résistance du Parti socialiste, LREM a choisi, dans plusieurs grandes villes, une stratégie d’alliance opportune avec le parti Les Républicains : c’est le choix qui a été fait à Lyon où Gérard Collomb, ancien socialiste et ancien ministre de l’Intérieur du gouvernement Philippe, a décidé de s’allier à la liste des Républicains dans le but de « faire barrage aux écologistes » - une décision, et un motif fortement critiqué par les instances nationales de LREM. Mais c’est aussi la ligne qui a été suivie – sans être contredite cette fois -  à Bordeaux ou encore à Strasbourg, où le candidat LREM Alain Fontanel s’est allié au candidat LR Jean-Philippe Vetter - dont l’une des mesures phares consiste à rouvrir des voies pour le trafic automobile dans le centre de Strasbourg. Aucune alliance ou presque avec la gauche dans les communes clés de ce second tour, sauf à Annecy, où la candidate dissidente LREM s’est ralliée à la liste d’union de la gauche – tandis que le parti soutient officiellement… le candidat de la liste de droite.

Exit donc les propositions ambitieuses et les discours verdis pour séduire l’électorat écologiste : il s’agit désormais de rallier le vote conservateur, face à une gauche souvent unie autour des écologistes, quitte à grossir le trait et à alerter, comme le font Gérard Collomb à Lyon ou Jean-Luc Moudenc à Toulouse sur « le danger » de laisser « l’extrême-gauche » ou les « écologistes amateurs » accéder au pouvoir, et sur la nécessité de leur « faire barrage » - une expression plutôt utilisée contre l’extrême-droite.

EELV, nouvelle force « pivot » à gauche

Après avoir été élus à Grenoble en 2014, où le maire sortant Éric Piolle est en très bonne position pour l’emporter au second tour, les écologistes sont en effet cette fois en position de faire gagner des listes écologistes ou d’union de la gauche dans plusieurs grandes villes. Ils sont, dans de très nombreuses communes, devenus une force pivot incontournable pour gagner la majorité.

A Nantes, Rennes ou encore à Paris se reproduit un schéma classique où les listes écologistes, arrivées derrières les maires sortantes socialistes, ont renouvelé leur alliance avec elles afin d’assurer la victoire de la gauche – une victoire quasi assurée à Nantes et Rennes, et probable à Paris. A Marseille, les écologistes se sont ralliés à la liste socialiste arrivée en tête au premier tour, donnant à la gauche une occasion rêvée de conquérir la Cité phocéenne, entre les mains de la droite depuis 1995.

A Lyon, Besançon ou Tours, où ils sont en tête, les écologistes ont noué des alliances avec le reste de la gauche et sont en bonne position pour l’emporter le soir du 28 juin. A Toulouse, la liste de gauche menée par les socialistes (18,5 %) s’est ralliée à la liste citoyenne et écologiste portée par Antoine Maurice (27,6 %), mais sans sa tête de liste, Nadia Pellefigue, qui entendait obtenir la présidence de la métropole – une exigence jugée démesurée par la liste écologiste.

Dans d’autres communes, la forte poussée des écologistes n’est pas vue d’un bon œil par les socialistes, qui peinent à accepter de céder du terrain à un parti qu’ils ont souvent jusqu’alors considéré comme un supplétif. A Lille, où les écologistes talonnent la maire sortante Martine Aubry, figure de la gauche socialiste, les négociations ont échoué, cette dernière refusant d’attribuer le nombre de places traditionnellement accordé en vertu de l’application de la proportionnelle. A Strasbourg, où la gauche et les écologistes avaient une occasion en or de regagner la ville, les négociations de fusion se sont aussi soldées par un échec – les écologistes refusant de céder la présidence de la métropole à la candidate socialiste Catherine Trautmann, jugeant cette demande disproportionnée au regard du score obtenu par les socialistes (19,78 % contre 27,87 % pour la candidate écologiste).

Ces quelques bisbilles et des désaccords plus sérieux montrent que si les instances nationales affichent leur souhait de fédérer la gauche et les écologistes, il est encore difficile pour les barons locaux du parti socialiste d’accepter de devenir à leur tour les « partenaires juniors » des écologistes. Cela tient également au mode de scrutin, qui encourage les listes qualifiées au second tour à créer un bloc capable d’arriver en tête pour obtenir la prime majoritaire - quitte à faire le pari d’y arriver seul, pour ne pas avoir à composer avec une autre force politique.  

Le second tour qui se tiendra – sauf nouvelle alerte sanitaire – le 28 juin prochain s’annonce pour le moins incertain, dans un contexte politique, économique et sanitaire inédit. Le président de la République a d’ores et déjà annoncé qu’il en tirerait les conséquences – des annonces sont prévues à l’issue du second tour. Si les partis traditionnels semblent ne pas avoir dit leur dernier mot, la recomposition du paysage politique et des rapports de forces, notamment à gauche, continue. Ces élections municipales sont en quelque sorte un premier test pour mesurer le succès de l’union de la gauche et des écologistes que chacun semble invoquer de ses vœux au niveau national. Pour les écologistes, il s’agit de relever le défi et de gagner les mairies de plusieurs grandes villes, pour prouver qu’ils peuvent incarner une autre voie à l’échelle locale, mais aussi pour prendre date pour les prochains scrutins locaux et nationaux et pour montrer, surtout, à leurs alliés potentiels à gauche qu’ils sont capables de mener la bataille pour conduire une force sociale-écologique au pouvoir.


[1]Selon la nouvelle vague de l’Enquête Électorale Française, réalisée du 3 au 8 mars par Ipsos/Sopra Steria pour le CEVIPOF, la Fondation Jean Jaurès et Le Monde

[2] Municipales 2020 – Sondage jour du vote : Profil des électeurs et clefs du scrutin (1er tour), 15 mars 2020 – Réalisé par Ifop-Fiducial pour CNews et Sud Radio

[3] Florent GOUGOU & Simon PERSICO, La poussée (inachevée) de EELV : leçons tirées du 1er tour des municipales,  Note de la Fondation de l’Écologie Politique publiée le 26 mai 2020

 

Le mode de scrutin dans les communes de plus de 1000 habitants


Le premier tour

Cas 1 : une liste obtient plus de 50% des suffrages :

 Elle obtient automatiquement la prime majoritaire et 50 % des sièges au conseil municipal.

Les 50 % de sièges restants sont répartis à la proportionnelle des résultats du premier tour, et intègrent également la liste majoritaire.

Cas 2 : aucune liste n’a atteint les 50 %, un second tour est organisé.

L’entre-deux-tours

Les listes ayant dépassé la barre des 10 % sont qualifiées pour le second tour. Elles peuvent se maintenir, se retirer ou fusionner avec une autre liste qualifiée pour le second tour.

 Les listes ayant dépassé la barre des 5 % peuvent fusionner avec d’autres listes qualifiées au second tour.

Le second tour

 Les listes qualifiées au second tour – en général entre 2 et 4 – s’affrontent pour obtenir la première place.

La liste arrivée en tête obtient automatiquement la prime majoritaire et 50 % des sièges au conseil municipal.

 Les 50 % de sièges restants sont répartis à la proportionnelle des résultats du second tour, et intègrent également la liste majoritaire.


Exemple concret : dans une ville où 50 sièges de conseillers municipaux sont à pourvoir, les listes A, B, C, D, E et F s'affrontent.

1- Premier tour. Les résultats sont : A : 35 %, B : 30 %, C : 18 %, D: 9 % et E : 4 %, F: 4 %. Les listes A, B, C sont qualifiées. Les listes E et F sont éliminées. La liste D peut fusionner, ou est éliminée.

2- Négociations d'entre-deux-tours. Les listes A et B ce maintiennent, la liste D fusionne avec la liste C.

3- Second tour. Les résultats sont : A : 40 %, B : 35 %, C&D : 25 %.

4- Répartition des sièges. La liste A obtient 50 % des sièges, soit 25 sièges. Les 25 sièges restant sont répartis à la proportionnelle du second tour : A : 10 sièges, B : 9 sièges, C & D : 6 sièges. Soit un total de 35 sièges sur 50 pour la liste A, 9 pour la liste B, 6 pour les listes fusionnées C&D.

Ce mode de scrutin permet donc à la liste arrivée en tête d’obtenir à elle seule une très confortable majorité. Il affaiblit fortement l’opposition. L’enjeu majeur est donc d’arriver en première place et de construire pour cela, ou non, des alliances plus fortes que les adversaires, avant le premier tour ou à l’issue de celui-ci.