La contribution carbone aux frontières pourrait passer par le marché du carbone, et démarrer avec le ciment.
Elle fut longtemps le « serpent de mer » que tout le monde voyait réapparaître d'un œil sceptique, voire amusé, tant elle paraissait utopique. La contribution carbone aux frontières fait partie des propositions phares de la Commission européenne dans le cadre du Pacte vert. Une évolution qui s'explique par la volonté de l'UE de s'orienter vers la neutralité carbone d'ici à 2050 et ce, alors que de nombreux secteurs industriels s'inquiètent des répercussions de cet objectif sur leur compétitivité. « Au cours des six prochains mois, nous allons entamer une réflexion sur ce mécanisme en nous basant notamment sur des modélisations, des contributions extérieures », a détaillé Gerassimos Thomas, directeur général de la DG taxation and Customs Union (TAXUD), lors d'une conférence: « les diverses options vont être analysées en détail avant d'aboutir à une proposition législative en juin prochain ».
Des propositions concrètes commencent à circuler. European Roundtable on Climate Change and Sustainable Transition (ERCST), a passé au crible les diverses combinaisons. Taxe à la consommation, « contrats pour différence » pour des projets bas-carbone innovants et enfin transposition extérieure du système européen d'échange de quotas d'émission (SEQE). Verdict ? C'est cette dernière approche qui, compte tenu des obstacles politiques et juridiques, semble « la plus probable ». « Ce mécanisme existe depuis une quinzaine d'années, tout le monde y est maintenant habitué, il est donc logique qu'il soit pour l'instant privilégié », explique Andrei Marcu, directeur de l'organisation et co-auteur de l'étude. Dans ce cas précis, le mécanisme en question serait étendu aux importations et aurait pour préalable la suppression du système des allocations gratuites.
« C'est effectivement cette piste qui a l'air d'être privilégiée », renchérit, de son côté, Geneviève Pons, directrice générale du cercle de réflexion Europe-Jacques Delors à Bruxelles. Co-autrice d'une enquête parue le 3 juin sur cette proposition, elle affirme que cette dernière devrait « servir de base », le 20 octobre prochain, aux discussions à la Commission du développement durable de l'OCDE. « Contrairement à une taxe, qui nécessite un vote à l’unanimité et court donc le risque de n'être jamais adoptée, ce mécanisme soumis à la majorité qualifiée ne pourrait pas être bloqué par un seul pays ». Dans ce scénario graduel, un ou deux secteurs pourraient être sélectionnés parmi ceux déjà soumis au SEQE – acier, ciment, aluminium, chimie, production d'électricité – en vue de mener à bien des tests. Ainsi, « le ciment, qui est un produit très lourd, dont on peut facilement connaître le contenu en carbone et qui voyage peu, pourrait être choisi à cette fin», explique Geneviève Pons.
Quotas gratuits ou pas ?
Cette initiative ayant été depuis longtemps soutenue par la France, les entreprises hexagonales sont déjà bien sensibilisées au sujet. « Un tel mécanisme aux frontières apparaît à leurs yeux comme une solution intéressante mais sous certaines conditions», rapporte-t-on à l'Association Française Entreprise Privée (AFEP), rappelant qu'en Allemagne, les sociétés, plus exportatrices, sont plus pointilleuses quant aux potentielles mesures de rétorsion de la Chine par exemple. « Pour l'heure, il s'agit d'un dialogue entre les secteurs volontaires et la Commission européenne mais il est naturel de se demander si les entreprises auront par la suite le choix de rester dans le système des quotas gratuits ou d'aller sur le mécanisme d'ajustement aux frontières, sachant que dans le premier cas, les conditions pourront être aussi très exigeantes ».
A présent que le champs des possibles a été défriché, les différents acteurs sont en attente d'une évaluation quantitative des outils fiscaux et environnementaux ainsi que de la politique commerciale, - par exemple en matière d'impact économique, sur l'emploi, en termes de réductions d’émissions de CO2 et de fuites de carbone - , et ce, afin de connaître les mesures présentant le meilleur bilan global et transectoriel. « Il va falloir considérer comment le système EU ETS est calibré par rapport au mécanisme d'ajustement carbone aux frontières et quelle combinaison d'outils est la plus appropriée. Par exemple : faudra-t-il combiner le CBAM (Carbon Border Adjustment Mechanism) avec un outil de discipline commerciale internationale? », s'interroge-t-on au sein de l'AFEP.
Une approche coopérative
Enfin, point crucial, seule une approche coopérative devrait porter ses fruits dans ce domaine, selon les experts. A cette fin, Thomas Sterner, économiste suédois expert du climat, plaide, lui, pour « un accord climatique global avec les Etats-Unis, la Chine et l'Inde ». Il convient cependant que si la Chine s'est récemment engagée sur un objectif de neutralité carbone d'ici à 2060, les négociations avec les Etats-Unis, elles, dépendent, du résultat des élections américaines. « Si Trump est réélu, cela pourrait occasionner un grand risque de guerre commerciale », insiste-t-il. L'UE sait déjà qu'elle n'aura d'autre choix que de rallier ses partenaires à sa cause. « Un certain nombre d'éléments incitatifs devraient nous permettre de les encourager à aller dans la même direction que la nôtre », espère Gerassimos Thomas.
Article réalisé en partenariat avec la Fondation Heinrich Böll